•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Les micro-organismes au secours des agriculteurs

Le recours à des micro-organismes récoltés en forêt permet de réduire les odeurs des élevages. Il améliore aussi le potentiel fertilisant du fumier et pourrait même contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Des porcs dans une porcherie.

Chaque jour, cette porcherie de L’Islet, dans Chaudière-Appalaches, est douchée d'un liquide qui diminue les odeurs des excréments.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Dans la porcherie d’Alexandre Caron et de Nathalie Paquet, à L’Islet, dans Chaudière-Appalaches, des cochons lèvent le groin au ciel. Ils ont reconnu le signal de leur douche quotidienne. Pendant quelques minutes, de petites buses fixées au plafond pulvérisent un liquide incolore.

À quelques kilomètres de là, à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, Frédérick Blais, un producteur laitier, parcourt l’enclos de ses vaches, équipé d’un pulvérisateur dorsal. Il asperge la litière souillée par les déjections des animaux.

Un homme utilise un pulvérisateur qu'il porte sur son dos.

À Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, c'est avec un pulvérisateur dorsal que ce producteur laitier épand un liquide similaire.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Dans les deux cas, le liquide a un effet étonnant : les odeurs émanant des bâtiments sont grandement atténuées.

Ça sent beaucoup moins fort dans les ventilateurs, [...] ça sent moins fort aussi à l'épandage. Étant donné que la ferme est proche de la maison, on est juste contents, confie Nathalie Paquet.

À la ferme de Frédérick Blais, l’agronome Félix Gobeil s’agenouille dans le parc des veaux. Il gratte la surface de la litière et en saisit une poignée, qu’il porte à ses narines. C’est gorgé d’urine et ça ne sent rien!

Félix Gobeil hume de la litière.

L’agronome Félix Gobeil est celui qui a recommandé l'épandage de cet intrigant liquide.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

C’est lui qui a recommandé aux éleveurs d’ajouter des pulvérisations à leur routine.

Mais qu’y a-t-il, au juste, dans le liquide vaporisé dans ces fermes d’élevage?

Faire entrer la forêt dans la ferme

Pour mieux illustrer de quoi il s’agit, Félix Gobeil nous donne rendez-vous dans un boisé au bout d’un champ.

L’agronome âgé de 29 ans gratte la litière de feuilles mortes au pied d’un grand érable. Ce qu’il récolte, sur ces feuilles humides et déjà bien décomposées, ce sont des bactéries, des levures, des champignons et d’autres micro-organismes présents naturellement dans l’environnement. Invisibles à l'œil nu, ils forment la base de l’écosystème.

Des feuilles mortes et décomposées.

Parmi les feuilles mortes et décomposées, il y a des bactéries, des levures, des champignons et d’autres micro-organismes.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

C'est grâce à eux qu'on n'est pas ensevelis sous deux mètres de feuilles mortes, dit-il en souriant.

Dans une forêt, les éléments nutritifs provenant des débris végétaux et des excréments d’animaux sont sans cesse recyclés et les arbres cumulent une biomasse impressionnante, sans aucune intervention humaine.

La forêt est un système naturel qui est autonome. Personne ne va fertiliser, personne ne va arroser la forêt. Rares sont les maladies qui vont s'y implanter.

Une citation de Félix Gobeil, agronome

Dans le sol, à l’abri des regards, des bactéries ont la capacité de capter l'azote de l'air, azote qui pourra ensuite être utilisé par les végétaux.

D’autres micro-organismes arrivent à solubiliser le phosphore et le potassium qui se trouvent dans le sol, rendant ces éléments accessibles aux plantes. Tout un village de micro-organismes travaille ici dans l’ombre.

L'idée, c'est de venir récolter ces micro-organismes-là, puis de les intégrer dans notre système agricole, explique Félix Gobeil.

Une approche venue de loin

Récolter les micro-organismes de la forêt pour ensuite exploiter leur potentiel à la ferme peut sembler complètement farfelu. Pourtant, cette technique a été inventée en Corée du Sud il y a plus de 50 ans et elle est aujourd’hui utilisée dans des dizaines de pays, surtout dans les régions tropicales.

Dans les années 1960, Cho Hankyu, un fils d’agriculteur, voyait les fermiers de son pays devenir de plus en plus dépendants des engrais chimiques et des pesticides. Il a donc mis au point une méthode qui allait permettre aux producteurs agricoles de fabriquer leurs propres intrants, avec des ingrédients récoltés à la ferme.

Cette méthode est connue sous le nom d’ agriculture naturelle coréenne, ou KNF (pour Korean natural farming).

Pour recueillir les micro-organismes, Cho Hankyu se servait d’une boîte de riz posée en forêt. C’est aussi ce qu’utilise Alexandre Caron.

Le fond de la boîte, fait d'une moustiquaire, permet aux micro-organismes de le traverser et d’aller coloniser la céréale. Je suis allé porter deux petites boîtes de riz dans mon érablière. [Après une semaine], on a récolté ce riz-là, qui était vraiment inoculé de petites mousses, de couleurs, de vert, de rose, de jaune…

Une boite de bois qui contient du riz colonisé par de bonnes bactéries

Comme le fond de cette boîte est fait d’un moustiquaire, les micro-organismes peuvent le traverser et aller coloniser le riz qu'elle contient.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Ramasser directement la litière de feuilles mortes est une autre façon de prélever des micro-organismes.

Pour éviter de devoir récolter à répétition en forêt, Cho Hankyu a eu l’idée de faire fermenter ces êtres microscopiques avec du sucre et un substrat, comme du son de blé, histoire de les multiplier.

Chez Alexandre Caron, la solution mère de micro-organismes est dans un grand baril bleu à l’entrée de la porcherie.

Ça fait un an et demi qu'elle est vivante et qu'elle se comporte très bien, dit-il.

Et au même titre qu’il doit veiller à l’alimentation de ses cochons, il doit nourrir ses micro-organismes, avec du sucre notamment. Je viens les nourrir au moins une fois par semaine pour garder en vie tout le microbiote, les levures, les champignons, les bactéries.

Alexandre Caron ajoute du sirop dans le liquide que contient un baril.

Alexandre Caron nourrit la solution de micro-organismes avec du sucre, entre autres.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Chez Alexandre Caron, le fait d’inoculer des micro-organismes dans la litière de paille des porcs a eu un impact non négligeable sur la charge de travail à la ferme.

Autrefois, le producteur devait nettoyer fréquemment les parcs et changer la litière, qu’il maintenait très mince. Aujourd’hui, ses cochons sont logés sur une épaisse couche de paille, beaucoup plus confortable.

En combinant ça avec des micro-organismes, on s'est rendu compte qu’on n’était plus obligé d'écurer ou de nettoyer aussi souvent pour la sortir, cette litière-là, souligne M. Caron. Il y a eu une diminution de la charge d'ouvrage.

La décomposition du fumier s’amorce directement dans les bâtiments.

Un porc couché dans une litière propre

Puisqu'il n'est plus nécessaire de changer la litière aussi souvent qu'avant, l'éleveur en met davantage, ce qui la rend plus confortable pour les porcs.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Une pratique reconnue

Depuis 2012, le Département de l’agriculture des États-Unis reconnaît les systèmes sur litière profonde inoculée de micro-organismes comme faisant partie des bonnes pratiques d’élevage, notamment parce qu’ils réduisent les odeurs et qu’ils respectent le bien-être animal.

Au Collège d’agriculture tropicale de l’Université d'Hawaï, on étudie ces systèmes depuis plusieurs années.

En entrevue téléphonique, Michael Duponte, conseiller agricole récemment retraité de l’université, explique que les fermes qui ont adopté la litière profonde inoculée sont aujourd’hui très nombreuses dans l’archipel.

Des poulets dans un élevage.

Cette technique est aussi utilisée chez les éleveurs de poules.

Photo : Radio-Canada

La croissance la plus rapide est désormais auprès des petits poulaillers de basse-cour. Des solutions de micro-organismes sont d’ailleurs vendues dans les supermarchés, raconte-t-il, ajoutant que cela permet de maîtriser les odeurs, mais aussi de combattre la présence des mouches.

Même si l’usage de micro-organismes est relativement récent chez lui, Alexandre Caron se réjouit déjà des résultats.

On est des producteurs de porc, alors on est reconnus, malheureusement, comme des producteurs qui dérangent un peu à cause des odeurs, admet-il.

Réussir à diminuer les odeurs, dit-il, c'est déjà un grand gain pour la cohabitation entre nous et nos voisins.

Des cochons à l'extérieur.

Les porcheries viennent le plus souvent avec certaines odeurs désagréables.

Photo : Radio-Canada

Des sols plus fertiles

Au-delà des odeurs, cette nouvelle façon de faire procure d’autres avantages, car ajouter des micro-organismes indigènes aux sols cultivés contribue à en améliorer la fertilité, selon différentes études menées un peu partout dans le monde.

Mais qu’en est-il ici? Pour y voir plus clair, Félix Gobeil a lancé cet automne un projet de recherche, en partenariat avec le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ), l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) et l’Université Laval.

Parmi ses objectifs : comprendre la dynamique de l’azote dans des litières inoculées de micro-organismes et mesurer les émissions de gaz à effet de serre. En effet, ces êtres microscopiques auraient aussi le potentiel de réduire les émissions polluantes (Nouvelle fenêtre).

Félix Gobeil dans un laboratoire de recherche.

Après avoir fait fermenter les micro-organismes, Félix Gobeil prépare un liquide qui pourra être appliqué sur les plantes ou le fumier.

Photo : IRDA

Ramener de la vie microbienne dans les champs aiderait donc à réduire à la fois la facture d’engrais des agriculteurs et leur empreinte carbone.

Beaucoup de sols au Québec sont très riches en phosphore qui est pris dans la matrice du sol, dans les argiles. Et beaucoup de bactéries ont la capacité de solubiliser ce phosphore pour le rendre disponible. C'est vraiment un travail d'équipe entre les plantes et les micro-organismes.

Une citation de Félix Gobeil, agronome

Au détour, cette méthode d’agriculture plus naturelle pourrait redonner de l’autonomie aux agriculteurs, ce qui était exactement le but initial de son inventeur, Cho Hankyu.

Ce que j'aime le plus là-dedans, c'est que c'est fait maison, insiste Alexandre Caron. C'est fait pour mon entreprise, adapté à ma réalité locale. Je suis allé chercher des micro-organismes qui poussent dans ma cour, quasiment. Ça n’a pas été fait par une multinationale. J'ai fait ça moi-même. C'est simple et ça ne coûte à peu près rien. C'est ça qui m'a attiré!

Des sabots propres de vaches laitières.

Le reportage de Catherine Mercier et de Geneviève Brault présenté à l'émission « La semaine verte »

Photo : Radio-Canada

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.