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La crise des surdoses et ses solutions, une patate chaude politique

En Ontario, un rapport du médecin hygiéniste en chef suggérant des réformes a été balayé du revers de la main par le gouvernement Ford.

Un homme torse nu sur un banc de parc.

Un homme tenant une pipe en verre et deux briquets s'efforce d'extraire un bonbon de son emballage alors qu'il est assis sur un banc dans le centre-ville de Portland, en Oregon, aux États-Unis. (Archives)

Photo : Associated Press / Beth Nakamura

La qualité des drogues de rue est-elle un sujet toxique en politique?

Un rapport du médecin hygiéniste en chef de l’Ontario publié jeudi soir – à la veille du congé pascal – suggère la décriminalisation de petites quantités de drogues illégales. On y préconise aussi l’offre de drogues de qualité pharmaceutique aux toxicomanes.

Un portrait du Dr Kieran Moore.

Le Dr Kieran Moore est le médecin hygiéniste en chef de l'Ontario. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette

Immédiatement après sa publication, une porte-parole de la ministre de la Santé de la province a balayé du revers de la main les recommandations du rapport : selon elle, les problèmes importants de sécurité publique rencontrés par d'autres juridictions qui ont mis en œuvre des propositions similaires signifient que la solution est ailleurs.

Le gouvernement Ford n’est pas seul à avoir cette opinion. Pour bien des Canadiens, les mesures proposées sont une pilule difficile à avaler, même si elles semblent faire consensus dans la communauté scientifique.

La crise des surdoses ainsi que les images qui nous proviennent des grands centres du pays – Downtown Eastside à Vancouver ou l'allée du crack à Montréal, entre autres – marquent les esprits. Le problème mérite une solution, rappellent les experts.

La rue Berger, en plein jour.

La rue Berger, à Montréal, a été surnommée l'allée du crack. (Archives)

Photo : Radio-Canada / Marie-Josée Paquette-Comeau

L'approche, l'attitude qui dit que les sans-abri et [toutes] les personnes qui sont le plus touchées par des substances toxiques, "c'est pas des gens comme moi, [...] c'est des criminels, [...] je m'en fous, je ne pense pas à ces gens là", c'est... on ne peut pas [faire] ça. Et je pense que la société semble avoir conscience qu'on ne peut pas [faire] ça, affirme Dr Patrick Fafard, de l'Université d'Ottawa.

Conséquences involontaires

Nous apprécions le point de vue spécifique adopté par le médecin hygiéniste en chef dans ce rapport, mais ses recommandations visant à restreindre les substances légales tout en décriminalisant les drogues dures sont incohérentes et ne tiennent pas compte des conséquences involontaires et des problèmes importants de sécurité publique rencontrés par d'autres juridictions qui ont mis en œuvre des propositions similaires. C'est en ces mots que Hannah Jensen, porte-parole de la ministre de la Santé Sylvia Jones, a réagi aux recommandations du rapport.

Celle-ci fait probablement référence à la situation à Vancouver, entre autres, où des mesures similaires à celles proposées par le Dr Moore ont été implantées il y a plus d’un an. Or, le nombre de morts par surdose y est toujours en hausse et des images cauchemardesques continuent de circuler sur les médias sociaux.

Des gens sur un trottoir à Vancouver.

Le quartier Downtown Eastside, à Vancouver. (Archives)

Photo : The Canadian Press / DARRYL DYCK

Il y a aussi la situation de l’Oregon. L’État américain a été le premier, en 2021, à décriminaliser la possession de petites quantités de drogues. Or, le 1er mars, on y a adopté un projet de loi visant à renverser la décriminalisation. Celui-ci doit maintenant être approuvé par la gouverneure Tina Kotek, selon Associated Press.

Un policier près d'une personne au sol.

Donny Mathew, de la brigade cycliste du Bureau de police de Portland en Oregon, se tient à côté d'une personne qui semble évanouie, le jeudi 18 mai 2023, dans le centre-ville de Portland.

Photo : Associated Press / Beth Nakamura

Le simple fait que des résultats probants n'aient pas été observés rapidement une fois ces mesures implantées peut sonner le glas de la carrière d'un politicien, explique Peter Graefe, professeur agrégé de sciences politiques à l'Université McMaster. Il y aura une volonté de changer le cap [dans la population].

Il n'y a pas tellement de de comtés où c'est payant de promettre [...] un centre de traitement sécuritaire sur la rue ou près de chez [les électeurs].

Une citation de Peter Graefe, professeur agrégé de sciences politiques à l'Université McMaster

En fait, selon Dre Gillian Kolla, professeure adjointe à l’Université Memorial de Terre-Neuve, les politiciens qui sont à la remorque de l’électorat font partie du problème.

Pendant la pandémie, nous avons vu les taux de décès liés aux surdoses augmenter de façon spectaculaire. Et c'était le silence, le silence radio, à presque tous les niveaux de gouvernement, dit la spécialiste en recherche sur la consommation de substances.

C’est dû à la stigmatisation qui entoure la consommation de substances psychoactives. C’est dû à des notions très dépassées selon lesquelles les gens sont en quelque sorte responsables de leur propre consommation de substances. En fait, nous n'avons jamais développé les services et les aides dont nous avons besoin pour résoudre ce problème. Et je pense que c'est à cause de cette réticence des gouvernements à jouer un rôle de premier plan dans ce domaine.

Une manifestation à Vancouver.

Le 16 janvier 2024, des manifestants se sont rassemblés devant la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, à Vancouver, pour soutenir le Drug User Liberation Front (Front de libération des usagers de drogues).

Photo : La Presse canadienne / Ethan Cairns

Les trois experts ont souligné que cette crise des surdoses s'inscrit dans une tendance de problèmes systémiques tels que la pauvreté, le sans-abrisme, la crise du logement et le manque de ressources en santé mentale, entre autres.

Les Canadiens, réticents?

Selon les résultats d’une recherche sur l’opinion publique de la firme Léger Opinion, commandée par le National Post et publiée en juin 2023, les Canadiens s’opposent aux mesures proposées par le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario.

Les répondants de la recherche sur l’opinion publique de firme Léger Opinion intitulée  (Nouvelle fenêtre)Crime and Illegal Substance Use : How are Canadians Feeling (Nouvelle fenêtre) (en anglais seulement) ont été sélectionnés à partir du Léger Opinion Panel. Les répondants – 1525 résidents canadiens âgés de 18 ans ou plus – ont été recrutés au hasard à partir du panel. Ils ont répondu à un questionnaire en ligne.

À la question suivante : Selon vous, quel est le problème le plus important que les décideurs gouvernementaux canadiens devraient aborder en matière de criminalité?, les répondants des provinces de l’Atlantique ont affirmé que l'abus de drogues et de substances est la priorité absolue, devant les crimes violents (ce qui comprend le meurtre) et la possession illégale d'armes à feu. En Colombie-Britannique, les drogues sont au deuxième rang derrière les crimes violents.

Toujours selon la recherche de Léger Opinion :

  • 72 % des répondants pensent que la crise de la drogue dans leur communauté est grave;
  • 72 % veulent plus de policiers pour gérer la crise;
  • 71 % veulent que les Canadiens qui sont dépendants aux drogues soient forcés d’aller en désintoxication;
  • 69 % des répondants veulent des lois plus sévères interdisant la consommation de drogues dures telles que les opioïdes, la cocaïne, la méthamphétamine et l'ecstasy;
  • 58 % s’opposent à la décriminalisation de certaines drogues de rue illégales telles que les opioïdes, la cocaïne, la méthamphétamine et l'ecstasy, 33 % la soutiennent;
  • 40 % des répondants s'opposent aux sites d'approvisionnement plus sûrs où des drogues de qualité pharmaceutique sont fournies aux toxicomanes pour qu'ils les ramènent chez eux afin de remplacer les drogues de rue, 48 % les soutiennent.

Les mesures punitives sont donc toujours populaires. Le premier ministre ontarien Doug Ford est fermement dans ce camp, d’ailleurs. Je crois toujours aux centres de réhabilitation et au soutien des communautés, a déclaré M. Ford le 13 février, selon La Presse canadienne, ajoutant que les policiers devaient traquer les trafiquants qui vendent des drogues toxiques. Nous devons les arrêter et les jeter en prison et c'est exactement ce que nous allons faire.

Le premier ministre ontarien Doug Ford.

Le premier ministre ontarien, Doug Ford. (Archives)

Photo : La Presse canadienne / Cole Burston

En 2018, M. Ford s‘est aussi déclaré fermement contre les centres de consommation supervisée qui offrent des drogues sûres aux toxicomanes. Je demande à n'importe qui, si votre fils, votre fille ou un être cher vivait avec une dépendance, voudriez-vous qu'il aille dans un petit coin et consomme plus de drogue? Je suis totalement contre cela.

C’est une réaction traditionnelle, souligne le Dr Fafard, qui est professeur titulaire à l'Université d'Ottawa dans la faculté des sciences sociales et la faculté de médecine.

Depuis une centaine d'années, notre réponse dominante à tout problème relié à de telles substances c'est de dire qu’elles sont illégales. Les gens qui consomment ces drogues-là sont des criminels. C'est un discours dominant qui existe depuis bien longtemps.

Une citation de Dr Patrick Fafard, professeur titulaire à l'Université d'Ottawa

Celui-ci affirme que la tendance a changé depuis une trentaine d’années et souligne que la marijuana, autrefois criminalisée, est aujourd’hui vendue par les gouvernements eux-mêmes, notamment au Québec.

Le Dr Graefe abonde dans le même sens. Selon lui, l'opinion publique, souvent influencée par des préoccupations morales, peut parfois résister aux solutions de santé publique.

La Dre Kolla, elle, affirme que nous devons considérer la criminalisation des personnes qui consomment des drogues comme une expérience ratée. Parce que cela fait plusieurs décennies que nous faisons cela, et cela fait plusieurs décennies que nous n'avons aucune preuve que cela fonctionne, en fait, c'est le contraire.

Le Dr Kieran Moore, dans son rapport, affirme qu'il y a actuellement entre 2500 et 3000 décès dus à la toxicité des opioïdes en Ontario chaque année, soit un décès tragique et évitable toutes les trois heures.

Avec des informations de Lounan Charpentier

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