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AnalyseLa très mal-aimée taxe sur le carbone

Un pistolet à essence dans un réservoir d'automobile.

Les citoyens de l’Alberta, du Manitoba, de l’Ontario, de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse reçoivent une «remise canadienne sur le carbone» sous forme de dépôt direct ou par chèque, tous les trois mois.

Photo : Kevin Yarr/CBC

Il y a, dans le monde, 73 initiatives en matière de tarification sur le carbone, sous forme de taxe, comme c’est le cas avec le régime fédéral canadien, ou encore sous forme de marché du carbone, comme c’est le cas au Québec depuis plus d’une décennie. La campagne que mène le chef conservateur Pierre Poilievre contre la tarification du carbone est à contre-courant de la tendance mondiale.

Dans les faits, depuis 10 ans, la part des émissions mondiales couvertes par des taxes et des marchés sur le carbone est passée de 7 à 23 %, selon un rapport de la Banque mondiale. C’est une solution de plus en plus prisée, mais c’est loin d’être la seule. Et il n'y a pas d'unanimité mondiale à ce sujet, il faut bien le dire.

N’empêche, donner un prix à nos émissions polluantes a pour but de tenter d’amener les décideurs publics et la population à faire des choix qui viennent réduire leur empreinte carbone. Cela permet d’investir dans l’innovation et dans la productivité, et c’est surtout un outil qui peut aider les gouvernements à atteindre leurs cibles climatiques.

L’introduction d’un signal de prix pour tenter d’atténuer les changements climatiques est essentielle pour stimuler les investissements et les changements de comportement visant à réduire les émissions, écrit Jennifer Sara, responsable de la question des changements climatiques à la Banque mondiale, dans son rapport 2023. Elle ajoute : La tarification du carbone doit continuer à croître, tant en termes de couverture que de prix, pour mener au changement transformationnel nécessaire pour atteindre les objectifs de Paris.

Imprévisibilité et incertitude

Donner un prix au carbone, c’est aussi fournir de la prévisibilité aux entreprises. Sachant que la grande majorité des pays du monde se donnent un cadre pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, les entreprises et les investisseurs ne cherchent plus à éviter les règles environnementales, mais davantage à les comprendre et à les intégrer. Elles veulent réduire au maximum l’incertitude et souhaitent travailler avec un cadre clair sur le prix du carbone.

Instaurer un marché du carbone comme le Canada l’a fait, puis l’annuler, comme souhaite le faire Pierre Poilievre s’il devient premier ministre, c’est un scénario qui plonge les entreprises dans l’imprévisibilité. C’est tout sauf prévisible, sachant qu’un autre gouvernement pourrait décider de réinstaurer ensuite un prix sur le carbone.

S’imaginer en 2024 qu’on peut polluer gratuitement, c’est littéralement pelleter les problèmes dans l’avenir. C’est remettre à plus tard des coûts qui pourraient être encore plus élevés.

Anxiété et fatigue face aux taxes environnementales

Le chef du Parti conservateur du Canada gagne des points électoraux en menant une offensive populaire très efficace contre la taxe sur le carbone. Pierre Poilievre réussit à capter l’anxiété économique de beaucoup de ménages, aux prises avec une poussée du coût de la vie au cours des dernières années. Il réussit aussi à capter une fatigue populaire face aux mesures et aux discours sur l’environnement qui semblent ne donner aucun résultat.

Cette fatigue est palpable et les décideurs politiques ne peuvent pas faire semblant qu’elle n’existe pas. La solution de la tarification sur le carbone semble contre-productive ces jours-ci, et le premier ministre Justin Trudeau doit en tenir compte.

En retour, si on devait éliminer cette taxe, Pierre Poilievre doit expliquer aux Canadiens par quoi on la remplacerait. Y aurait-il une forme de tarification sur le carbone? Quel serait le prix du carbone? Quel serait le nouveau mécanisme? Est-ce que polluer, sous les conservateurs, redeviendrait gratuit? Et si on ne taxe pas le carbone et qu’on privilégie des projets de technologie verte, on va le faire à quel prix? Un gouvernement conservateur serait-il encore plus généreux que les libéraux en matière de subventions aux projets verts?

Si la taxe carbone du gouvernement Trudeau doit être abolie, quel est donc le plan conservateur pour atteindre les objectifs climatiques du Canada? Surtout, il faut se poser la question : est-ce que les conservateurs se préoccupent des changements climatiques?

Dans une entrevue à La Presse canadienne, le 8 avril 2023, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, affirmait que tout ce que l’on fera pour lutter contre les changements climatiques aura un coût. On a le choix entre une taxe sur le carbone ou une réglementation pour réduire l’utilisation des carburants fossiles. La réglementation aussi a un coût. Ne rien faire aussi a un coût.

Ne rien faire aussi a un coût. C’est important de se le rappeler.

Une taxation mal expliquée

Cela dit, le rapport de la Banque mondiale sur la pollution souligne que les revenus provenant de la tarification sur le carbone sont utilisés de différentes façons : près de 40 % de l’argent est destiné à des investissements verts. Et c’est seulement 10 % qui compensent les ménages ou les entreprises, ce qui est la formule actuelle du gouvernement fédéral.

Or, cette formule est tout sauf optimale. Un sondage d’Angus Reid de l’automne dernier, dont le Globe and Mail faisait mention encore en début de semaine, nous apprenait que 42 % des Ontariens disaient n’avoir jamais reçu de remises financières du gouvernement en lien avec la taxe carbone, ou du moins n’en étaient pas certains.

Faut-il s’étonner de cette confusion? La réponse courte, c’est non. Le gouvernement Trudeau a mis en place un système qui est difficile à comprendre pour le commun des mortels. Vous savez quand vous payez vos taxes, mais vous ne vous rendez pas vraiment compte de la remise financière qui est faite tous les trois mois et surtout de son lien avec les taxes que vous avez payées.

Le gouvernement fédéral a échoué à expliquer la politique aux Canadiens, écrit Christopher Ragan, directeur de l’École Max Bell en politiques publiques de l’Université McGill, dans le Globe and Mail, jeudi matin. Il a été président de la Commission canadienne sur l’écofiscalité.

Pourtant, 8 ménages sur 10 soumis à la tarification fédérale sur le carbone vont recevoir plus d’argent sous forme de compensation que ce qu’ils vont payer en taxe carbone. Et c’est 90 % des recettes provenant de la tarification qui sont rendues aux ménages.

Le directeur parlementaire du budget à Ottawa a publié plusieurs analyses sur le sujet. Dans une étude diffusée en 2022, il écrivait que la plupart des ménages réaliseront un gain net, car ils recevront davantage en remboursements de la tarification fédérale du carbone dans le cadre du plan climatique du gouvernement que le montant total qu’ils paient en redevances fédérales sur les combustibles (directement et indirectement).

Ce que le gouvernement Trudeau nomme maintenant « la remise canadienne sur le carbone » est versé aux citoyens de l’Alberta, du Manitoba, de l’Ontario, de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse sous forme de dépôt direct ou par chèque, tous les trois mois. Une famille de quatre personnes peut recevoir de 200 $ à 450 $ approximativement par trimestre.

Au Québec, les contribuables n’ont pas droit à cette remise alors que le gouvernement mise sur un marché du carbone. Les recettes sont entièrement versées dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques et sont investies dans des projets visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation aux changements climatiques et l’électrification de l’économie.

Viser davantage les industries?

Le gouvernement Trudeau s’est tiré dans le pied en décidant d’alléger la taxation du carbone sur le mazout en octobre dernier. Cette décision, ayant pour but de soulager momentanément les utilisateurs de ce type de carburant, est un élément destructeur de la politique sur le carbone. Aujourd’hui, tous les secteurs et la majorité des provinces demandent un gel du prix du carbone ou une suspension de son application pour certains types d’énergie, comme le gaz naturel.

Selon une étude de l’Institut canadien sur le climat, le Canada doit se demander, dans le contexte actuel, si les politiques environnementales ne devraient pas se concentrer essentiellement sur les industries. Le prix sur le carbone dans le secteur industriel est le plus important contributeur à la réduction du carbone au pays, affirme Rick Smith, le président de l’organisme, dans une entrevue au Globe and Mail.

Selon cette étude, de 2025 à 2030, la tarification sur le carbone dans le secteur industriel sera responsable de 20 à 48 % des réductions d’émissions alors que la tarification qui vise les consommateurs va représenter de 8 à 14 % des réductions.

Avec le coût de la vie qui est élevé et un gouvernement qui est usé après huit années au pouvoir, le chef conservateur Pierre Poilievre a beau jeu de tirer profit de la taxe carbone sur le plan politique. Il entend les critiques des Canadiens à l’endroit de cette taxe et il leur donne une réponse qui peut sembler séduisante.

Mais que propose M. Poilievre en retour pour les prochaines générations qui devront vivre avec les conséquences du réchauffement climatique, dont les effets sont exponentiels? A-t-il une proposition réaliste et efficace pour remplacer la tarification du carbone et assurer un cadre prévisible et stable pour les entreprises?

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