•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Des fonctionnaires fédéraux trans épuisés de « se battre » pour changer leur identité

Une personne derrière son ordinateur.

Le fonctionnaire Zak Dezainde-Dubuc tente, sans succès, de changer son nom dans les différents systèmes informatiques du gouvernement fédéral.

Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon-Tessier

Des employés transgenres et non binaires du gouvernement fédéral pressent leur employeur de revoir ses pratiques pour qu’ils puissent changer leur identité dans tous les systèmes informatiques. Invoquant des raisons techniques et financières, Ottawa prévient qu’il faudra attendre encore « plusieurs années » avant de pouvoir modifier son nom ou utiliser le marqueur de genre « X » partout.

Quand on essaye de faire un changement de nom, c’est un peu le­ free-for-all, lance Zak Dezainde-Dubuc. Depuis les formalités légales effectuées l’été dernier, ce fonctionnaire trans multiplie les démarches pour changer son nom auprès de son employeur.

Il a répertorié une vingtaine d’emplacements où son nom apparaît, comme les ressources humaines, le département de la paye et différents systèmes informatiques.

Une personne dans son salon, les bras croisés.

« Je dois me battre pour prouver ma propre identité », dit Zak Dezainde-Dubuc, un fonctionnaire trans.

Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon-Tessier

Malgré des courriels et des appels auprès de plusieurs personnes, mon ancien nom apparaît encore à plusieurs endroits, affirme le Gatinois qui travaille pour le gouvernement fédéral depuis cinq ans.

On se fait un peu lancer la balle, d’un département à l’autre, [...] on se fait dire n’importe quoi dans le fond parce qu’il n’y a pas de processus formel, déplore M. Dezainde-Dubuc.

Il ne compte plus les heures passées à expliquer et réexpliquer sa situation auprès des mêmes départements.

Je dois me battre pour prouver ma propre identité, c’est déshumanisant.

Une citation de Zak Dezainde-Dubuc, fonctionnaire fédéral

Sans gêne, il avoue que c’est extrêmement drainant.

Parfois, il affirme qu’on l’appelle encore par son morinom, le prénom donné à sa naissance. À chaque fois, cela révèle sa transidentité, déplore-t-il, en mentionnant avoir peur de se faire discriminer ou harceler.

M. Dezainde-Dubuc affirme être fier d’être un homme transgenre, mais en même temps, ce sont des informations personnelles.

Difficile d’utiliser le marqueur de genre X

Pour les fonctionnaires non binaires, faire reconnaître son identité par le gouvernement fédéral est tout aussi ardu, car l’utilisation du marqueur de genre X n’est pas toujours possible dans les différents systèmes informatiques.

Pour être payé, j’ai été obligé de choisir un genre binaire, homme ou femme, témoigne un fonctionnaire trans non binaire qui s’est exprimé de façon confidentielle.

Radio-Canada a accepté de protéger cette source, car elle craint de subir des répercussions professionnelles si elle critique publiquement son employeur sur ce sujet.

L'ombre d'une personne sur un mur.

Ce fonctionnaire croit que le gouvernement devrait changer son processus d’embauche pour qu’il soit plus inclusif.

Photo : Radio-Canada / Reno Patry

Peu surpris, le fonctionnaire ressent néanmoins de la frustration, car le marqueur de genre X figure sur ses pièces d’identité provinciale et fédérale. Ça ne fait pas de sens pour moi, [l’identité de genre que j’utilise légalement] devrait être acceptée, devrait être valide dans chaque domaine, en particulier en tant qu’employé du gouvernement, relate-t-il.

Il s’agit d’une contradiction, selon lui, puisque le gouvernement fédéral délivre des passeports avec le marqueur X.

La quintessence de l'expérience trans, c'est d’entrer dans une boîte pour ne pas faire de vagues [et] pour ceux d'entre nous qui ont choisi d'être publiquement eux-mêmes, c'est frustrant d'être remis dans cette boîte.

Une citation de Un fonctionnaire fédéral s'exprimant de manière confidentielle

Le message que ça envoie, c’est que le gouvernement du Canada n’embauche pas de personnes non binaires et je ne pense pas que c’est le message qu’il veut envoyer, argue le fonctionnaire.

Il a cependant la conviction que les choses peuvent changer. Selon lui, ça donnerait le bon ton pour le reste du Canada.

Des enjeux aux ramifications complexes

L'ajout d’une case avec le marqueur de genre X dans un système informatique n’est toutefois pas aussi simple que cela peut paraître, avance le professeur en génie logiciel à l’Université McMaster, Sébastien Mosser.

Techniquement, ça prend cinq minutes, mais garantir que si on fait ça, on ne casse rien, ça va prendre des années, résume-t-il.

Puisque les systèmes informatiques du gouvernement sont nombreux, complexes, âgés, et souvent conçus par des tiers, un simple changement peut avoir des répercussions totalement délirantes par une espèce d’effet domino, explique M. Mosser.

C’est une grosse problématique de synchronisation des données, [...] ce sont des projets qui sont potentiellement faramineux en termes de coûts.

Une citation de Sébastien Mosser, professeur en génie logiciel, Université McMaster

Le professeur en génie logiciel croit que sans réelle volonté politique, le gouvernement ne parviendra pas à offrir de nouvelles options d’identification aux fonctionnaires.

Les décideurs devront statuer si le gain qu’on obtient [...] vaut le coup par rapport au coût financier, indique M. Mosser.

Un drapeau de la Fierté flotte sur la colline du Parlement lors d'une activité de la Fierté.

Le Conseil du Trésor estime qu'il faudra encore plusieurs années avant que les fonctionnaires puissent choisir l'option non binaire dans tous les systèmes informatiques du gouvernement. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Sean Kilpatrick

Encore plusieurs années d’attente

En 2018, le greffier du Conseil privé a approuvé une orientation stratégique sur le sexe et le genre visant notamment à introduire une option non binaire pour l’ensemble des Canadiens.

Or, il s’agit d’une transformation complexe qui nécessitera des changements concertés aux processus et aux systèmes [et] ceci prendra plusieurs années, concède par courriel Martin Potvin, des relations avec les médias du secrétariat du Conseil du Trésor.

Bien qu’il s’agisse d’une politique pangouvernementale, [...] le Conseil du Trésor a décidé de consacrer des ressources limitées dans le temps afin d’élaborer l’orientation et d’aider les ministères et organismes à commencer à mettre en œuvre les recommandations.

Une citation de Martin Potvin, porte-parole, secrétariat du Conseil du Trésor

Le porte-parole précise que chacun des ministères doit mettre en œuvre ces directives de manière pratique, graduelle et rentable.

Une personne assise dans un bureau.

Avec d’autres fonctionnaires, Jason Bett a fondé le Réseau de la fierté de la fonction publique en 2018. Doté d’un budget limité, le regroupement vise à aider les fonctionnaires LGBT+ à faire valoir leurs droits.

Photo : Radio-Canada / Émilien Juteau

Je ne pourrais pas dire que tout va super bien et que nous sommes où nous voulons être, note le responsable du Réseau de la fierté à la fonction publique, Jason Bett.

Ce militant de longue date observe toutefois un changement de culture. Lorsqu’il discute avec les hauts dirigeants, Jason Bett assure qu’il perçoit une volonté d’aller de l’avant.

M. Bett souligne qu’il y a tout de même des petits succès dans certains [ministères] où les gens sont capables de changer leur nom, alors on travaille avec ces organisations pour implanter de nouveaux processus ailleurs.

Le ministère de Femmes et Égalité des genres, qui chapeaute le dossier depuis 2020, a refusé de nous indiquer comment il s’assure de l’application des orientations stratégiques.

Après la publication de cet article, Femmes et Égalité des genres a précisé que le secrétariat du Conseil du Trésor avait la responsabilité du dossier, alors que celui-ci nous avait pourtant référé à ce ministère pour répondre à nos questions spécifiques à l'application des orientations stratégiques.

Ne pas faire les erreurs du passé

Les problèmes auxquels font face les fonctionnaires trans et non binaires remuent de sombres souvenirs chez Martine Roy. Comme des centaines de fonctionnaires, cette ancienne militaire a été congédiée en raison de son orientation sexuelle dans les années 1980. Un épisode douloureux qui l'a traumatisée et qui lui arrache encore des larmes.

Une personne assise derrière un bureau, les mains croisées.

Martine Roy affirme avoir souffert pendant longtemps de son renvoi injustifié de l’armée canadienne. Depuis plusieurs années, elle milite pour faire avancer le respect des droits des personnes membres de la communauté LGBT+.

Photo : Radio-Canada / Nick Persaud

En 2016, des victimes de la purge LGBT ont intenté un recours collectif contre le gouvernement. Un an plus tard, Ottawa a reconnu ses torts en présentant des excuses officielles. Avec d’autres victimes, Martine Roy gère maintenant le Fonds purge LBGT, qui doit servir à la construction d’un monument commémoratif et à l’organisation d’une exposition.

Il est très urgent qu’Ottawa agisse pour que ses employés transgenre et non binaires puissent s’identifier comme ils le souhaitent, pour que d’autres ne revivent pas le même type d’injustice que les victimes de la purge LGBT, argue Martine Roy.

Ma grande peur, c’est le prochain gouvernement.

Une citation de Martine Roy, présidente du Fonds purge LGBT

La popularité du Parti conservateur du Canada dans les sondages lui fait craindre le pire pour le respect des droits des membres de la communauté LGBTQ+. Elle souhaite voir des changements dans la fonction publique avant qu'un nouveau gouvernement arrive. Autrement, croit-elle, la personne discriminée en ce moment va continuer à être discriminée.

Zak Dezainde-Dubuc enjoint au gouvernement d'agir, sans quoi des fonctionnaires pourraient songer à changer d’emploi, comme lui.

Je ne me sens pas respecté en tant qu’employé.

Une citation de Zak Dezainde-Dubuc, fonctionnaire fédéral

Si ça continue à avoir un impact sur ma santé mentale, je ne peux pas dire que je continuerai à travailler pour un employeur qui ne respecte pas mes droits, révèle M. Dezainde-Dubuc.

Toute personne ayant besoin d’aide ou de services d’écoute en lien avec des questions relatives à la diversité sexuelle ou la pluralité des genres peut communiquer 24 heures sur 24 avec l’organisme Interligne (Nouvelle fenêtre) par téléphone ou par messages textes. 1 888 505-1010

La section Commentaires est fermée

Compte tenu de la nature délicate ou juridique de cet article, nous nous réservons le droit de fermer la section Commentaires. Nous vous invitons à consulter nos conditions d’utilisation. (Nouvelle fenêtre)

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre ICI Ottawa-Gatineau

Une fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité régionale.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre d’ICI Ottawa-Gatineau.