•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La santé de la forêt Montmorency suscite des inquiétudes

Une forêt de sapins en hiver.

La forêt Montmorency sert de puits de carbone, mais pour combien de temps encore?

Photo : Radio-Canada / David Remillard

Les chercheurs responsables de l'aménagement forestier à la forêt Montmorency s'inquiètent de la santé de ses écosystèmes, et en particulier de leur capacité à agir comme un puits de carbone permettant d'assurer la carboneutralité de l'Université Laval. Si les inquiétudes s'avèrent, « ça va être catastrophique pas juste pour nous, mais pour tout le monde », affirment-ils.

Ressources naturelles Canada est catégorique : les forêts du Canada sont devenues des sources de dioxyde de carbone (CO2), en rejetant davantage de CO2 dans l’atmosphère qu’elles n’en accumulent durant toute l’année.

Au cours du dernier siècle, les forêts aménagées ont donc stocké plus de gaz à effet de serre (GES) qu'elles n'en ont émis (feux, décomposition). Cette tendance s'est cependant inversée au cours des dernières décennies.

Le feu ravage une forêt.

La forêt canadienne brûle davantage qu'au cours du dernier siècle. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Gouvernement de l'Alberta

La superficie totale incendiée par les feux de végétation s’est considérablement accrue. Des infestations d’insectes sans précédent sont survenues. Et, les taux de récolte annuels ont changé radicalement sous l’influence des exigences économiques, résume le ministère fédéral dans ses documents officiels.

Une étude réalisée au Canada et dévoilée en 2019 dans la revue Nature est venue solidifier la thèse d'un bilan carbone négatif pour la forêt boréale (Nouvelle fenêtre).

Enclave

La forêt Montmorency, elle, n'a pas brûlé en près de 3000 ans. Prise individuellement, elle échappe aux statistiques.

Elle demeure à l'abri, pour le moment, de la tordeuse des bourgeons de l'épinette, un insecte responsable de graves épidémies ailleurs dans la province et de la perte de millions d'hectares de forêts chaque année.

Ses peuplements, encore relativement jeunes, permettent la séquestration d'une grande quantité de CO2 comparativement à des forêts plus âgées.

L'aménagement forestier y est également différent des pratiques sylvicoles courantes en terres publiques. Coupes partielles, suivis serrés des plantations et un niveau de coupe plus faible font partie de notre recette, explique Évelyne Thiffault, présidente du comité scientifique et d'aménagement à la forêt Montmorency.

Un paysage d'hiver.

La forêt Montmorency n'a pas brûlé en près de 3000 ans. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Résultat : la forêt d'étude, telle une enclave, est encore considérée comme un puits de carbone.

L'équipe de la forêt Montmorency estime qu'un gain net de près de 15 000 tonnes de GES est stocké chaque année dans les arbres, des racines aux feuilles. Pour en arriver à cette conclusion, Évelyne Thiffault compare deux modèles d'aménagement. Je prends notre scénario à nous et je refais le même calcul, mais en utilisant ce qui se fait en forêt publique.

L'Université Laval utilise ensuite le bilan carbone comme un outil, parmi d'autres, pour son bilan environnemental et pour se déclarer comme une organisation carboneutre.

Avec une superficie de 397 km2, la forêt Montmorency, fondée en 1964 et agrandie en 2014, est la plus vaste forêt faisant l'objet de recherche au monde. Située à 70 km au nord de la ville de Québec, elle se trouve en pleine sapinière à bouleau blanc, l'une des trois sous-zones de la forêt boréale québécoise.

Signes inquiétants

Mais la qualité du puits de carbone pourrait être compromise.

Des signaux ont en effet commencé à inquiéter les chercheurs qui arpentent la forêt Montmorency. D'une part, la présence d'orignaux a provoqué des dommages aux plantations de résineux. Les cervidés, qui préfèrent généralement les pousses d'espèces feuillues, ont aussi brouté les conifères, essences priorisées pour le reboisement.

C'est visible dans des sites en régénération, explique Évelyne Thiffault. La croissance des plantations et leur rendement quant à la séquestration du carbone pourraient donc en être compromis dans le futur. L'arbre va survivre, mais va développer une drôle de forme, note l'ingénieure forestière.

Le phénomène a déjà été observé au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, où la surpopulation d'orignaux a causé des dégâts.

Un gros plan d'un jeune sapin dont les tiges ont été broutées.

Un jeune sapin mangé par les orignaux dans le Bas-Saint-Laurent. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

En collaboration avec des biologistes, l'équipe de la forêt Montmorency veut maintenant cartographier la pression de broutement sur le territoire et déterminer les impacts sur les arbres plantés. Les ingénieurs forestiers veulent surveiller leur croissance, mais aussi la qualité de la fibre du bois à des fins économiques.

Selon Mme Thiffault, la densité d'orignaux dans la forêt Montmorency était plus élevée au cours des dernières années qu'ailleurs autour de ses frontières, la chasse n'y étant pas permise. La population aurait cependant chuté de façon marquée ces deux dernières années, ce qui pourrait avoir freiné cette pression. Si l'inventaire demeure peu précis pour la forêt Montmorency, les cheptels d'orignaux de la région de Québec ont eu la vie dure au nord du fleuve en raison de la tique d'hiver.

On est quand même pris avec l'effet passé du broutement. On doit vérifier la capacité de séquestration des arbres broutés à plusieurs reprises et calculer leurs courbes de rendement réel.

Chlorose de l'épinette

La chlorose de l'épinette blanche, possiblement causée par des carences nutrionnelles, soulève également plusieurs interrogations à la forêt Montmorency. Depuis le début des années 2000, des observations d'épinettes jaunies ont piqué la curiosité des chercheurs.

L'inquiétude est telle que la précédente équipe de gestion de la forêt Montmorency a décidé, il y a quelques années, de ne plus planter cette essence pour le reboisement, en attendant de connaître les phénomènes derrière l'apparition de la chlorose. Depuis, aucune étude complète n'a été lancée.

Il n'y a pas eu d'inventaire de chlorose, c'était juste des observations anecdotiques. Je viens d'obtenir du financement pour un projet de recherche là-dessus, pour avoir un vrai portrait statistique de l'ampleur du problème, poursuit Évelyne Thiffault.

Une femme tient la branche d'une épinette blanche à la forêt Montmorency, en hiver.

Évelyne Thiffault montre le jaunissement d'une épinette blanche à la forêt Montmorency. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / David Remillard

L'un des objectifs sera de vérifier à quel point c'est répandu à la forêt Montmorency, mais aussi dans la réserve faunique des Laurentides. Ça se peut que ce problème-là existe ailleurs, mais que personne ne va vérifier les plantations, c'est une hypothèse, lance-t-elle.

L'observation des plantations d'épinettes blanches, une espèce chouchou de l'industrie forestière, sera beaucoup plus serrée. Est-ce qu'une épinette chlorosée le reste année après année? C'est ça qu'on veut comprendre. Est-ce qu'elle devient chlorosée et sa croissance est ralentie pour de bon, ou elle se reprend plus tard?

Des épines d'épinette blanche jaunies.

La chlorose de l'épinette blanche inquiète les chercheurs à la forêt Montmorency.

Photo : Radio-Canada / David Remillard

Calculs à refaire

Si les résultats des deux recherches démontrent des pertes de rendement des arbres quant à la séquestration de CO2, le puits de carbone n'aurait plus la même efficacité.

Les gains estimés par le plan d'aménagement forestier spécifique à la forêt Montmorency seraient alors compromis, tout comme la stratégie de carboneutralité de l'Université Laval, qui devra alors trouver d'autres leviers. On va refaire les calculs et ça va peut-être venir affecter les rendements futurs.

Selon Évelyne Thiffault, il faut voir si les problèmes qu'on rencontre à la forêt Montmorency sont propres à celle-ci. Est-ce que c'est spécifique à la forêt Montmorency? S'ils touchent des forêts publiques, la forêt d'étude conservera alors sa marge d'efficacité par rapport aux autres forêts aménagées, mais ce serait de mauvaises nouvelles concernant le rendement global des forêts. Ça va être catastrophique pas juste pour nous autres, mais pour tout le monde.

Il y a une grande préoccupation à la forêt Montmorency, mais cette préoccupation-là, elle est partagée avec l'ensemble de la forêt québécoise, et même mondiale.

Une citation de Évelyne Thiffault, présidente du comité scientifique et d'aménagement

Qui plus est, les deux perturbations à l'étude ne comprennent pas les effets anticipés du climat à long terme. On le sait que les changements climatiques empirent les perturbations naturelles.

Outre les aménagements forestiers, le sort de la forêt Montmorency donnera également des indicateurs pour la qualité de la matière ligneuse. Car l'un des objectifs du site est d'offrir des solutions concrètes à l'industrie pour produire du bois de qualité tout en maintenant des activités durables sur le plan environnemental.

Évelyne Thiffault rappelle enfin que ce qui se passe en forêt n'est qu'un pan du développement durable et que d'autres stratégies seront aussi à créer, en parallèle, pour conserver le carbone dans la biomasse que représentent les arbres. Nos travaux récents montrent que c'est presque plus important ce qu'on fait avec notre bois que ce qui se passe en forêt.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre ICI Québec

Une fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité régionale.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre d’ICI Québec.