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AnalyseUn bol de céréales pour souper?

Un bol de céréales blanc avec du lait et une cuillère.

Dans une entrevue télévisée, le PDG de Kellogg a suggéré de manger des céréales au souper pour faire baisser la facture d'épicerie.

Photo : Getty Images / iStock

Des céréales au souper représentent « un choix fantastique pour les consommateurs qui sont sous pression financièrement », a déclaré le PDG de Kellogg dans une entrevue à CNBC, le 21 février. Cette proposition a été pour le moins mal reçue sur les réseaux sociaux. Dans le pays le plus riche du monde, comment en est-on arrivé à proposer, comme si de rien n’était, de manger des céréales au souper pour contrer l’inflation?

Il faut dire que, depuis plusieurs années, Kellogg diffuse des publicités qui proposent aux consommateurs de s’offrir des céréales au repas du soir. Pour une entreprise qui produit des céréales, on peut comprendre qu’elle vous suggère d’en manger! Jusqu’ici, tout va bien.

Mais de voir et d’entendre le PDG de l’entreprise, Gary Pilnick, proposer en entrevue à la télévision de consommer ses produits au souper pour faire baisser la facture d’épicerie, tout en présentant cela comme une solution à l’inflation, c’est une ligne qu’il n’aurait pas dû franchir, selon certains consommateurs s'étant exprimés sur le web.

Si l’on compare le coût des céréales pour une famille par rapport à ce qu’on peut faire autrement, c’est beaucoup plus abordable, selon le grand patron de Kellogg, qui a touché une rémunération totale de plus de 4 millions de dollars américains en 2023.

Des Froot Loops au souper, une tendance?

L’animateur de CNBC Carl Quintanilla a demandé à M. Pilnick si le fait d’encourager les gens à manger des céréales au souper pourrait être mal reçu au bout du compte. En fait, c’est très bien reçu en ce moment, a répondu Gary Pilnick. Des céréales pour souper, c’est quelque chose qui est de plus en plus tendance, et on s’attend à ce que ça se poursuive alors que les consommateurs sont sous pression.

Le PDG de Kellogg n’avait visiblement pas bien mesuré la portée de ses commentaires. Sans se tromper, on peut évoquer un réel manque de sensibilité. Ses propos marquent une grande déconnexion avec la réalité du ménage moyen. On peut se demander si Kellogg tente de profiter financièrement des difficultés d’un grand nombre de ménages, qui doivent composer avec une chute de leur pouvoir d’achat.

Pour plusieurs internautes, Kellogg veut exploiter la faim pour faire des profits. C’est du capitalisme extrême, de la pure cupidité que d’inviter, sourire aux lèvres, les Américains à économiser en mangeant des céréales au souper. Pensez-vous que Gary Pilnick nourrit ses enfants aux céréales pour souper? demande un utilisateur de TikTok. Dans quel monde infernal dystopique sommes-nous rendus? demande un autre.

Faut-il le rappeler, jamais, depuis 30 ans, les Américains et les Canadiens n’ont dû payer aussi cher pour se nourrir. Les Américains doivent débourser 26 % de plus pour leur panier d’épicerie depuis 2020, et les prix des céréales, spécifiquement, a grimpé de 28 % durant la même période, selon le Bureau of Labor Statistics aux États-Unis. Au cours du dernier exercice budgétaire, Kellogg a haussé ses prix de 12 %.

La campagne publicitaire de Kellogg sur ses céréales au souper a été lancée en 2022, année au cours de laquelle les prix des aliments ont grimpé de 9,9 % aux États-Unis, du jamais vu depuis 1979, selon le département américain de l’Agriculture.

Des difficultés financières chez les jeunes

Selon une enquête du Pew Research Center aux États-Unis, 44 % des jeunes de 18 à 34 ans ont reçu de l'aide financière de leurs parents au cours de la dernière année pour payer des besoins de base, que ce soit l’épicerie, des factures de télécommunications ou le logement.

De tous les parents qui aident financièrement leurs enfants âgés de 18 à 34 ans, plus du tiers le font, de surcroît, au détriment de leur propre situation financière. Les familles les plus démunies, qui aident plus souvent leurs enfants adultes, voient leur situation se détériorer de façon marquée.

L'aide des parents va surtout aux 18-24 ans. Pas moins de 52 % de ces jeunes adultes doivent faire appel au soutien financier de leurs parents. En outre, 23 % des 25-29 ans et 18 % des 30-34 ans ont besoin de l'aide de leurs parents.

Le tiers (33 %) des jeunes de 18 à 34 ans affirment, en retour, avoir aidé leurs parents sur le plan financier au cours de la dernière année.

Au stress financier, le mépris

Les propos du PDG de Kellogg ont été tenus à la télé américaine, mais il proposerait sans doute la même solution s’il se présentait à nos micros parce que la faim gagne aussi du terrain chez nous, même si les inégalités socioéconomiques ne sont pas aussi importantes qu’aux États-Unis.

On le signalait avant les Fêtes, les banques alimentaires ont fourni de l'aide à 30 % plus de gens en 2023 que l’année précédente au Québec; l'augmentation est de 73 % par rapport à 2019. Selon le Bilan-Faim 2023, le réseau des banques alimentaires aide 872 000 personnes tous les mois. La forte hausse des demandes dans les banques alimentaires est une tendance répandue partout au Canada.

Début février, dans le cadre des consultations prébudgétaires du ministre des Finances, Eric Girard, les banques alimentaires du Québec réclamaient un soutien de 30 millions de dollars de la part du gouvernement pour l’année 2024. Au moins un Québécois sur 10 a eu recours aux banques alimentaires dans les derniers mois.

L’inflation alimentaire commence à ralentir au Canada, mais la hausse des loyers n’a jamais été aussi forte en trois décennies au Canada. Sur 12 mois, de janvier 2023 à janvier 2024, l’indice des loyers a grimpé de 7,9 % au pays, selon les dernières données de Statistique Canada.

Les pressions avec lesquelles des millions de personnes doivent composer en ce moment sont stressantes et très pénibles à vivre. Suggérer de manger des céréales pour souper à titre de solution anti-inflation ne fait qu’ajouter l'insulte et le mépris à l’angoisse et à l’incertitude financières.

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