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Northvolt : gestion de crise interne au ministère de l’Environnement

Un fonctionnaire dénonce « une commande politique ». La sous-ministre réunit les employés dans la « tempête ». Le syndicat intervient.

Benoit Charette debout derrière un lutrin, en conférence de presse.

Le ministre de l'Environnement, Benoit Charette

Photo : Radio-Canada / Charles Contant

Des fonctionnaires du ministère de l'Environnement du Québec ont exprimé des « préoccupations » à leurs supérieurs au sujet de l'autorisation accordée à Northvolt pour la construction de son usine de batteries en Montérégie, démontrent des lettres et l'enregistrement d'une rencontre interne obtenus par Radio-Canada.

J’ai mal à mon ministère, écrit le coordonnateur de l’équipe d’analyse et d’expertise du ministère de l'Environnement pour la région du Bas-Saint-Laurent, Ghislain Côté, dans deux longs messages adressés, les 21 et 25 février, au ministre Benoit Charette ainsi qu’à sa hiérarchie.

Selon M. Côté, l'autorisation accordée par le ministère à l'entreprise suédoise pour détruire des dizaines de milieux humides en Montérégie est une commande gouvernementale. Il pense que le ministère a accepté de jouer le jeu de la politique et de mettre de côté, l’instant d’un dossier, sa mission.

La semaine dernière, Radio-Canada révélait que Québec a retiré des arguments scientifiques de son analyse du projet. Quelques mois plus tôt, ces références scientifiques avaient justifié le rejet d’un autre projet, celui-là résidentiel, au même endroit.

Je vous somme d’être transparent [...]. Si c’est une décision qui relève du ministre, assumez-la. La Loi sur la qualité de l’environnement vous en donne le droit, mais ne faites pas porter de fardeau aux équipes qui œuvrent, normalement, en toute indépendance.

Une citation de Ghislain Côté, coordonnateur de l'équipe d'analyse et d'expertise du ministère de l'Environnement du Québec au Bas-Saint-Laurent

La filière batterie

Consulter le dossier complet

Un bras robotisé sur une chaîne de production de batteries électrique.

Dans la dernière année, le biologiste Ghislain Côté a occupé le poste de directeur régional par intérim pour le ministère. Il n'a pas été possible de lui parler. Sa lettre a eu beaucoup d'échos en interne et a circulé parmi les fonctionnaires à l'Environnement et même au-delà du ministère.

Réunion en plein tourbillon

Certains fonctionnaires se posent des questions légitimes, a déclaré le sous-ministre adjoint aux autorisations environnementales et aux opérations régionales, Daniel Labrecque, au cours d'une réunion virtuelle convoquée jeudi dernier, à laquelle étaient conviés tous les employés chargés des analyses et des évaluations environnementales ainsi que de la faune.

Il a tenu à réaffirmer sa pleine confiance dans le travail des analystes. Nos méthodes sont éprouvées, on travaille sur la base de connaissances scientifiques, c’est ça qui nous guide, a dit le sous-ministre adjoint. On le fait avec rigueur et professionnalisme.

Protéger l'environnement, protéger la faune, c’est ce qui nous motive, c’est ce qui nous passionne.

Une citation de Daniel Labrecque, sous-ministre adjoint aux autorisations environnementales et aux opérations régionales

Lors de la réunion, M. Labrecque a rappelé que le dossier était délicat, puisque le bien-fondé de l'analyse environnementale est contesté en Cour supérieure. La sous-ministre Marie-Josée Lizotte a parlé d'une tempête médiatique qu'elle trouve déplorable et injuste.

Le gouvernement Legault nie avoir donné un passe-droit au projet de méga-usine de batteries. Il rappelle que dans le cadre d’une demande d’injonction pour faire cesser les travaux, le juge n’avait pas trouvé de raison sérieuse de conclure que la décision était déraisonnable. La Cour doit toutefois analyser la cause sur le fond, avec de nouvelles preuves.

Les deux ministres en mêlée de presse.

Les ministres de l'Économie et de l'Environnement, Pierre Fitzgibbon et Benoit Charette (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

L’inconfort de la chronologie des événements

Dans sa lettre, Ghislain Côté rappelle que le ministre Benoit Charette s'est déclaré publiquement favorable au projet, en novembre, avant même que le processus d'analyse de son ministère soit terminé.

Cette sortie génère une forte apparence de décision prise à l’avance, qui vient alimenter des questions relatives à notre processus d’analyse, écrit Ghislain Côté. Comment comptez-vous accompagner les équipes afin de montrer que notre travail est indépendant? demande-t-il.

Où était le processus d’analyse rigoureux que je connais, celui qui ne permet pas la destruction de milieux naturels sans projet concret, celui qui n’accepte pas des engagements futiles et futurs de protection de milieux potentiels à titre de compensation, celui qui ne connaît pas la réponse de la décision à rendre avant d’avoir commencé à étudier une demande?

Une citation de Ghislain Côté, coordonnateur de l'équipe d'analyse et d'expertise du ministère de l'Environnement du Québec au Bas-Saint-Laurent

Des travaux autorisés avant d’autoriser l'usine

Ghislain Côté se demande pourquoi avoir autorisé les travaux de remblayage des milieux humides, alors que le projet de l'usine est toujours, à l’heure actuelle, objet d'une analyse par les fonctionnaires. Rien ne sert de détruire un milieu [...] si nous ne connaissons pas les détails de ce projet, qui pourrait lui-même être jugé non acceptable.

Il s'interroge sur ce qui se passerait si la deuxième analyse aboutissait à un rejet du projet, puisque les milieux humides sont déjà en train d'être détruits.

Le fonctionnaire s'inquiète aussi d'une forme de deux poids, deux mesures. Il donne l'exemple d'un promoteur, dans le Bas-Saint-Laurent, qui souhaitait détruire des milieux humides sur un terrain en vue de la construction éventuelle d'une usine. Cette autorisation lui a été refusée, notamment sur la base qu’aucune activité subséquente n’était présentée dans la demande.

Un engin manipule des troncs d'arbre.

Une partie du terrain de Northvolt, à Saint-Basile-le-Grand

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le fonctionnaire ne comprend pas non plus comment le ministère a pu donner son aval au projet sans connaître les détails du plan de Northvolt pour compenser la destruction des milieux humides. L'entreprise suédoise a en effet 36 mois pour soumettre son plan qui vise à créer, restaurer et/ou conserver une superficie de milieux naturels de 30 à 50 hectares, hors de l'emplacement du projet.

Encore une fois, Ghislain Côté donne un exemple, au Bas-Saint-Laurent, où un promoteur avait fait une promesse au ministère pour obtenir une autorisation. Nous n’avons pas pu inclure cet argument dans le cadre de l’analyse du projet, explique-t-il.

Le fonctionnaire se demande ce que les promoteurs lui diront dorénavant.

Pas de pression politique, affirment le ministre et le syndicat

Aucune pression politique n'a été exercée sur les fonctionnaires pour modifier les rapports et autoriser la construction de l'usine de Northvolt, a déclaré le ministre Benoit Charette, mercredi, à la suite de la publication de ce texte.

La mission de mon ministère consiste à "jouer un rôle clé dans la transition climatique, dans une perspective durable afin de contribuer aux enjeux prioritaires de la société québécoise".

Une citation de Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Mardi, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a défendu la biologiste qui a agi comme analyste principale du projet de Northvolt. Le SPGQ a assuré à La Presse canadienne que la fonctionnaire n'a pas subi de pressions politiques pour modifier ses rapports.

L’Association des biologistes demande un meilleur encadrement

La présidente de l'Association des biologistes du Québec, Marie-Christine Bellemare, déplore qu'on ne puisse pas contre-vérifier comment s’est déroulée l’analyse environnementale du projet de Northvolt, car il n’existe pas d’ordre professionnel pour les biologistes.

Un biologiste membre d'un ordre pourrait refuser d'agir si ça contrevient à ses obligations de protection du public et de l'environnement, indique-t-elle.

On se demande si tout a été fait dans les règles de l'art. Est-ce qu'il y a eu de la pression? Est-ce que les personnes qui sont intervenues ont eu de la marge de manœuvre?

Une citation de Marie-Christine Bellemare, présidente de l'Association des biologistes du Québec

Selon Mme Bellemare, il y a un manque de transparence dans le dossier de Northvolt. S'il y avait eu de la transparence dès le début, on n'en serait pas là.

Dans sa lettre, le fonctionnaire Ghislain Côté critique aussi la déclaration du ministre Fitzgibbon, qui remettait en question la valeur écologique du terrain (en évoquant la présence de poissons à trois yeux), ainsi que les propos du premier ministre François Legault, qui s'est présenté devant les médias avec des fruits pour expliquer qu'on ne peut comparer plusieurs projets entre eux.

Ces sorties médiatiques sont une insulte à la rigueur, qui est une valeur du ministère, et viennent même nuire à notre travail de professionnel, écrit M. Côté.

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