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Cauchemar sur ordonnance : des solutions existent

«Enquête» a fait le bilan des ravages causés par la surprescription des benzodiazépines et des hypnotiques en Z au pays, un fléau que plusieurs qualifient de crise de santé publique.

«Enquête» a fait le bilan des ravages causés par la surprescription des benzodiazépines et des hypnotiques en Z au pays, un fléau que plusieurs qualifient de crise de santé publique.

Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

Un nombre record de personnes ont contacté l'équipe d'Enquête pour raconter leur expérience avec les benzodiazépines et les hypnotiques en Z, dans la foulée du reportage Cauchemar sur ordonnance.

Plusieurs nous font part de la souffrance qu’ils ont vécue ou qu’ils continuent de vivre avec ces médicaments. Certains se demandent vers qui se tourner et réclament des ressources. Les experts insistent : ceux qui souhaitent se sevrer doivent le faire à leur rythme, et les médecins ne doivent pas couper les vivres à leurs patients tolérants.

 Arrêter tout d’un coup (ces médicaments) est dangereux, souligne le gériatre David Lussier. Devant l’afflux de réactions provoquées par le reportage d’Enquête, il implore les patients touchés à ne pas cesser abruptement de prendre leurs benzodiazépines ou hypnotiques en Z. Des symptômes graves tels que des convulsions peuvent survenir en cas d’arrêt abrupt. La première étape est de parler d’un sevrage à son médecin, rappelle ce spécialiste des aînés.

Le reportage d’Enquête diffusé le 15 février présentait des témoignages de patients qui ont souffert d’une dépendance aux médicaments de la famille des benzodiazépines ou des hypnotiques en Z. Ces derniers reprochent à leur médecin de leur avoir prescrit ces médicaments pendant de longues périodes, ce qui est contraire aux recommandations, et de ne pas avoir communiqué adéquatement les risques associés à ces traitements.

Ils estiment également que ces professionnels n’ont pas su reconnaître les symptômes de tolérance et de dépendance et qu'ils n’ont pas bien encadré leur sevrage.

De nombreux téléspectateurs se disent touchés par une dépendance à ces médicaments, pourtant pris tels que prescrits. Si certains ont l’appui de leur médecin pour se sevrer, d’autres se sentent isolés et se demandent où trouver l’aide dont ils ont besoin.

Plusieurs personnes ont confié à Enquête avoir entrepris un sevrage seul, sans l’aide d’un professionnel de la santé. Certaines d’entre elles ont eu recours aux plans de sevrage proposés dans le Manuel Ashton, rédigé par une médecin britannique, Heather Ashton, qui est devenue une référence mondiale en matière de sevrage de benzodiazépines. Son manuel a été traduit en plus d’une dizaine de langues, dont le français, et est accessible en ligne gratuitement.

Pharmacienne et directrice adjointe du Réseau canadien pour l'usage approprié des médicaments et la déprescription, Camille Gagnon affirme que la sensibilisation aux risques de ces médicaments et aux recommandations en matière de sevrage est l’élément clé pour parvenir à cesser la prise de médicaments avec succès.

Elle souligne qu'un sevrage peut être encadré par un médecin, une infirmière praticienne et par un pharmacien. L’idéal, c’est que le médecin fasse équipe avec le pharmacien pour entamer un processus de déprescription, explique-t-elle, mais un pharmacien peut en principe accompagner seul un patient dans un sevrage.

« Il faut y aller tranquillement »

Le gériatre David Lussier se montre optimiste : un sevrage de benzodiazépines, ce n’est pas toujours compliqué, il faut y aller tranquillement , dit-il. Il parle d’un sevrage de six mois à un an, parfois moins, parfois plus, adapté en fonction du patient. Le fait de diminuer la dose progressivement permet de minimiser les potentiels symptômes de sevrage.

Il faut accepter qu’on va avoir un petit rebond d’anxiété, ajoute le Dr Lussier, ce qui signifie que la réduction de la dose peut entraîner le retour des symptômes qu’on souhaite traiter ou bien des effets secondaires paradoxaux (c’est-à-dire l’anxiété et l’insomnie).

Plan moyen du Dr David Lussier.

David Lussier, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM).

Photo : Radio-Canada

Nicole Lamberson, membre du conseil médical du Benzodiazépine Information Coalition aux États-Unis, communique quotidiennement avec des dizaines de personnes dépendantes de ces médicaments. Elle remarque que plusieurs médecins semblent vouloir imposer un horaire de sevrage structuré, alors qu’il est important de s’adapter au patient.

Une personne pourrait être capable de se sevrer en réduisant sa dose de 10 % tandis qu'une autre sera trop sensible et devra s’en tenir à 2,5 % de réduction tous les 30 jours, explique-t-elle. Nous devons être flexibles et permettre au patient de piloter sa réduction au rythme qui fonctionne pour son corps.

Le seul moyen de procéder à des réductions de doses aussi précises, c’est d’avoir recours aux versions liquides des benzodiazépines, des préparations magistrales adaptées aux sevrages.

Bertrand Bolduc, copropriétaire de la pharmacie préparatrice Gentès et Bolduc, explique que ces préparations sont, en principe, à la disposition de tous les patients qui en font la demande à leur médecin ou à leur pharmacien.

On peut y aller très, très, très doucement, baisser d'une fraction à la fois, on peut faire à peu près n'importe quoi, une capsule de plus bas dosage, ou une suspension orale liquide si c'est plus pratique, dit-il. Les outils sont disponibles pour les pharmaciens et les médecins, tout est possible.

La thérapie plus efficace que les somnifères

Les patients touchés par une dépendance à ces médicaments peuvent aussi se tourner vers des groupes de soutien tels que le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ).  On a un guide pour permettre aux gens d’évaluer leurs besoins, l’impact des médicaments sur leur qualité de vie, pour les aider à démêler tout ça, explique Mathilde Lauzière, coresponsable à la formation et au développement des pratiques.

Le regroupement - constitué de différents organismes en santé mentale - fournit un accompagnement tant aux personnes qui envisagent de réduire leur consommation qu’à celles qui veulent l'arrêter.

Si les personnes souhaitent diminuer (leur consommation) ou se sevrer, on a un volet d’accompagnement sur le processus de sevrage, pour préparer le rendez-vous chez le médecin, pour bien s’entourer pour que ce processus se passe au mieux.

En 2022, un comité de citoyens, soutenu par le RRASMQ, a conçu un site d'informations (Nouvelle fenêtre) et de témoignages à propos des médicaments, du sevrage et des solutions de rechange à la prise de médicaments.

Car des solutions non pharmaceutiques existent : une récente étude de l’Université Laval a montré que la psychothérapie est aussi efficace que les somnifères pour traiter l’insomnie et permet également de réduire ce que les experts appellent « l’anxiété de performance nocturne » , soit la crainte de souffrir d’insomnie.

Le sevrage, trop souffrant pour certains aînés?

En dépit des risques à long terme associés aux benzodiazépines et aux hypnotiques en Z, plusieurs experts s’entendent pour dire que, parfois, le mieux pour un patient est de continuer à prendre ces médicaments, tout particulièrement dans le cas des personnes âgées qui prennent ces molécules depuis des décennies.

Spécialiste des aînés, le Dr Lussier abonde dans le même sens : On ne le fait pas (entamer des sevrages chez certaines personnes âgées), parce que ce serait un processus trop souffrant.

Nicole Lamberson souligne que pour certains, un sevrage n’est pas la meilleure option. S’ils ne veulent pas arrêter (les médicaments), ou s'ils ne sont pas dans une position dans leur vie, par exemple, quelqu'un qui est âgé ou déjà fragile, il pourrait être préférable de les laisser sous benzodiazépines et de ne même pas tenter un sevrage.

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