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Et si l’avortement redevenait illégal?

Le dessin d'un utérus est entouré d'un stéthoscope pour représenter la médecine et d'un maillet pour symboliser la justice.

Le droit à l'avortement ne doit pas être tenu pour acquis, démontrent deux autrices dans une pièce de théâtre sur le sujet. (Photo d'archives)

Photo : getty images/istockphoto / Laura Rosina

Il faut suivre le protocole. Aucun nom. Des chiffres et des lettres pour vous désigner. Des lieux qui changent constamment pour échapper aux autorités. De l'équipement médical de fortune. C'est dans de telles conditions que se font les avortements dans les sociétés où ils sont illégaux. Et si cette interdiction se rendait jusqu'au Québec? C'est ce qu'ont imaginé Marie-Claude St-Laurent et Marie-Ève Milot dans la pièce de théâtre Clandestines, qu'elles considèrent comme un « appel à la vigilance ».

Au cours des dernières années, les droits des femmes et l'accès à l'avortement ont considérablement reculé aux États-Unis. L'avortement est redevenu illégal dans une douzaine d'États et a été restreint dans de nombreux autres. Plus près de nous, au Nouveau-Brunswick, la seule clinique privée qui procédait à des interruptions volontaires de grossesse a fermé ses portes au début de l'année. Et un peu plus au nord, à Terre-Neuve, ces services sont quasi inexistants en zone rurale et se font dans le plus grand secret.

L'avortement demeure un sujet délicat au pays et le débat sur cette question revient sporadiquement, chaque fois que des élus tentent de faire des brèches dans la législation qui porte sur cette question.

Ainsi, l'histoire racontée dans Clandestines – où on suit deux femmes qui font des avortements clandestins – est une fiction, mais elle n'est pas très loin de la réalité.

C’est une menace qu’on peut ressentir jusqu’ici, je trouve […]. C’est sûr que ça fait peur. Ce recul-là [aux États-Unis] s’est organisé durant des dizaines d’années. Un renversement de cette ampleur-là, ça ne se passe pas du jour au lendemain. C’est vraiment du travail qui se fait sur de nombreuses années et ce travail se fait aussi en parallèle ici, rappelle l'autrice et comédienne d'origine rimouskoise Marie-Claude St-Laurent.

Ce travail occulte, on le sent bien dans la pièce, où on découvre les embûches que doivent surmonter non seulement les femmes enceintes qui souhaitent mettre un terme à leur grossesse ainsi que celles qui leur viennent en aide, mais aussi celles qui tentent par tous les moyens de convaincre les femmes de ne pas avorter.

Café à la main, deux femmes sont autour d'une table avec des étriers.

La pièce «Clandestines» a été présentée au Théâtre d'Aujourd'hui à l'hiver 2023 puis publiée aux Éditions Somme toute l'automne dernier. Ci-dessus, les comédiennes Marie-Claude St-Laurent (qui cosigne également le texte) et Myriam Leblanc.

Photo : Valérie Remise

Je suis contre la peine de mort, ce serait un peu fou d'être pour qu'on tue des enfants! argumente un des personnages dans la pièce.

Ces arguments sont aussi utilisés au Québec dans la société d'aujourd'hui. Dans la province, une trentaine de centres voués à contrer les avortements existent, selon des données de l'Association canadienne pour la liberté de choix qui datent de 2013, un portrait qui sera bientôt actualisé.

En faisant des recherches pour écrire leur pièce, Marie-Claude St-Laurent et sa comparse se sont rendues compte que le visage de ces groupes a beaucoup changé au fil des années.

Les personnes antiavortement ne correspondent plus vraiment à l’image qu’on avait de personnes religieuses, plus âgées, plus conservatrices. Il y a vraiment une montée de jeunes personnes politisées, éduquées, qui portent ces valeurs antichoix, dit-elle.

Toutefois, lorsque l'avortement devient illégal ou tabou, cela comporte de grands risques pour les femmes. C'est notamment ce que les autrices ont voulu mettre en lumière.

Quand l’avortement est illégal, il n’y en a pas moins : il se fait juste dans des conditions plus dangereuses.

Une citation de Marie-Claude St-Laurent, autrice et comédienne

Il va y avoir plus d’avortements au deuxième et au troisième trimestre dans les endroits où l’avortement au premier trimestre n’est pas suffisamment accessible, rappelle pour sa part la sage-femme Mélina Castonguay, qui a collaboré à titre de consultante à l'élaboration de la pièce. Le plus tôt qu'on peut y avoir accès, le mieux c'est, dit Mme Castonguay, qui est aussi cofondatrice de l'organisme Les Passeuses, qui fournit des formations d'accompagnement à l'avortement.

Le danger porte non seulement sur la santé des femmes enceintes mais aussi sur la sécurité de celles qui les avortent.

Trois semaines depuis que K. s'est fait arrêter. Le regard que je pose sur les externes que je supervise à l'hôpital n'est plus le même. S'il fallait que j'échappe des indices de ma vie de nuit quand je leur parle de médecine familiale... Je suis dans un état de fatigue constant, raconte le personnage de Marie, qui pratique des avortements illégaux dans Clandestines.

La couverture d'un livre.

Le texte de la pièce de théâtre de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent est publié aux Éditions Somme toute.

Photo : Radio-Canada / Pier-Olivier Busque

Des embûches, même au Québec

Même si le Québec fait partie des provinces canadiennes où l'avortement est le plus accessible, il y a encore des obstacles. Les cliniques sont parfois loin du lieu de résidence des femmes qui ont besoin de ce service et l'avortement médicamenteux, qui a été approuvé en 2015 au Canada, demeure difficile d'accès. Peu de médecins le prescrivent et bon nombre de pharmaciens n'en ont pas en inventaire, déplore Mélina Castonguay.

La télémédecine fait partie des voies d'avenir pour améliorer l'accès à l'avortement, mais cette avenue demeure à l'étude au Québec et ce service n'est toujours pas offert.

D'ailleurs, l'avortement n'est pas un droit, mais il est décriminalisé au Québec depuis les années 1980. Ça reste un enjeu, même au Québec, plaide Marie-Claude St-Laurent. À preuve, Québec a octroyé 1,4 million de dollars en janvier dernier à des organismes pro-choix dans le but de lutter contre la désinformation véhiculée par les groupes anti-choix présents dans la province.

Une femme assise, dont on ne voit que les jambes et les mains, tient une échographie imprimée.

L'avortement est difficile d'accès à certains endroits du Canada et des États-Unis. (Photo d'archives)

Photo : Reuters / Evelyn Hockstein

Quant à la pièce Clandestines, elle a été présentée au Théâtre d'Aujourd'hui à Montréal l'hiver dernier et a été publiée il y a quelques mois aux Éditions Somme toute. L'histoire effroyable de ces femmes donne à réfléchir et, surtout, fait prendre conscience du fait que la chose la plus inquiétante, c’est de tenir le droit à l'avortement pour acquis, conclut Mélina Castonguay.

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