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Filière batterie : Bécancour face au spectre de l’étalement urbain

Des milliers de travailleurs et leurs familles sont attendus dans la Vallée de la transition énergétique. Pour les loger, il va falloir construire vite, mais vite ne veut pas toujours dire bien.

Vue aérienne d'un quartier de maisons où l'on trouve peu d'appartements.

La ville de Bécancour est à l’aube d’une croissance longtemps espérée. Mais saura t-elle prendre le chemin de la densification urbaine?

Photo : Radio-Canada / François Genest

Le quartier résidentiel de la Seigneurie Godefroy a vu le jour dans les années 1990. Il est composé principalement de maisons unifamiliales et on y trouve peu de services de proximité, parce qu'il est isolé des villages historiques qui composent la municipalité de Bécancour. Il a été implanté ici parce qu'il se trouve en bordure de l’autoroute 55.

C'est un développement résidentiel très typique, très banlieue, la voiture est roi et maître, décrit le biologiste Éric Harvey, professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il se questionne depuis plusieurs mois à propos des possibles nuisances de la filière batterie sur l’environnement.

Le déploiement de nouveaux quartiers comme celui-ci a tendance à fragmenter les territoires naturels fragiles de la municipalité, rappelle-t-il. En joignant le geste à la parole, il pointe les bras aux quatre vents pour désigner les secteurs en question.

Là, tout près du lac Saint-Paul, on a identifié une zone importante pour les oiseaux aquatiques. Là, il y a des frayères. En fait, au sud du Saint-Laurent, il ne reste plus beaucoup d'habitats naturels, donc généralement chaque zone est relativement critique.

Éric Harvey, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les échanges entre les écosystèmes

Éric Harvey dans le quartier Seigneurie de Godefroy à Bécancour

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

La filière batterie

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Un bras robotisé sur une chaîne de production de batteries électrique.

Est-ce qu’il faudrait oublier tout nouveau développement?, se questionne-t-il à haute voix. Pas nécessairement, mais selon M. Harvey, il faudrait faire un véritable effort de planification et les nouvelles constructions devraient se faire en priorité dans des secteurs déjà urbanisés. Ce n’est pourtant pas le chemin que semble suivre la ville de Bécancour, déplore-t-il.

On pense souvent que la densification, c'est seulement bon pour Montréal et Québec, mais c'est faux. L'ensemble des villes ont le devoir de réfléchir à la densification.

Une citation de Éric Harvey, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les échanges entre les écosystèmes

La densification face à l’acceptabilité sociale

Densifier le quartier de la Seigneurie Godefroy, c'était le projet d'un promoteur local qui voulait construire une centaine d'unités de logements, répartis dans quatre bâtiments. Cette initiative, impliquant l'adoption d’un changement de zonage, a été contestée par le voisinage qui voyait sa tranquillité menacée.

Plan du futur projet de construction de 108 logements des Terrasses Godefroy, à Saint-Grégoire.

Plan du futur projet de construction de 108 logements des Terrasses Godefroy, à Saint-Grégoire

Photo : Radio-Canada

Malgré des modifications notables et un long processus de consultation, le projet a été rejeté lors d'un référendum qui s'est tenu l'automne dernier.

Et pourtant, pour la mairesse de Bécancour, il n’y a pas de temps à perdre. Selon Lucie Allard, la filière batterie est une opportunité pour sa ville, mais aussi un beau casse-tête.

C'est comme un grand échiquier qui se met en place, une formule qu’elle risque de répéter souvent dans les prochaines années alors que son équipe doit composer avec les effets collatéraux de la filière batterie.

Lucie Allard assiste à une grande table avec une carte devant elle.

Lucie Allard, mairesse de Bécancour. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Pour nous, les élus municipaux, c'est toute une gestion de croissance et il faut être agiles parce qu’on se prépare au fur et à mesure des grandes annonces de l’industrie, explique-t-elle. En langage pandémique, elle aurait pu dire qu’il faut construire l’avion en plein vol.

5000 nouveaux logements d’ici 10 ans

Dans un horizon de 7 à 10 ans, elle estime qu’il va falloir construire jusqu'à 5000 logements pour loger les travailleurs de la filière batterie. Pour une municipalité de 15 000 habitants, c’est énorme, s’exclame-t-elle

La marche est d'autant plus haute qu’il y a déjà une pénurie de logements. Le taux d'inoccupation est actuellement inférieur à 1 %. Pour répondre aux besoins, des développements domiciliaires sont en cours dans presque tous les secteurs. Le défi pour Mme Allard s'avère de trouver une formule satisfaisante pour tout le monde.

On souhaite s'assurer de garder un milieu de vie intéressant, attrayant et inspirant pour les nouvelles familles, mais aussi la population actuelle qui craint de perdre sa qualité de vie, détaille-t-elle.

Bécancour est encore une ville à la campagne, on veut garder cet aspect-là des choses, mais on sait très bien que certains secteurs sont appelés à se développer et se densifier.

Une citation de Lucie Allard, mairesse de Bécancour
Le projet May Bourg à Bécancour.

Le projet May Bourg, quartier en développement parmi d'autres à Bécancour. Il est situé à l'écart du village de St-Grégoire.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Un risque d'étalement urbain injustifié

Des enjeux que surveille Andréanne Blais, directrice générale du Conseil régional de l'environnement du Centre-du-Québec. Elle s'intéresse en particulier au développement du Plateau-Laval qui est situé sur les bords du fleuve, en face de Trois-Rivières.

Cette zone a été identifiée pour requalifier et développer des terrains, explique-t-elle. Toutefois, on s'inquiète sur la façon dont ça va être fait.

Mme Blais constate que des résidences poussent comme des champignons, mais que les services ne suivent pas. À terme, elle anticipe des quartiers plus pauvres au niveau de la qualité de vie, des quartiers plus monotones.

Il y a un risque, selon elle, d’étalement urbain injustifié, parce qu’il y a des outils disponibles pour penser autrement. Elle prend pour exemple le guide de densification urbaine développé par la municipalité de Victoriaville.

Le citoyen veut un bungalow, une piscine, un grand terrain, mais il faut offrir des alternatives qui sont plus innovantes. On ne veut pas non plus aller vers le modèle cage à poules, il faut donc offrir une densification conviviale.

Une citation de Andréanne Blais, directrice générale du CRE du Centre-du-Québec
Andréanne Blais du Conseil régional de l'environnement du Centre-du-Québec.

Andréanne Blais, directrice générale du Conseil régional de l'environnement du Centre-du-Québec

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Résister à la tentation

Pour faire face à ces changements, les élus de Bécancour ont fait appel à Vivre en ville, un organisme qui accompagne les communautés pour le développement de milieux de vie de qualité.

Son directeur général, Christian Savard, concède que la partie n'est pas gagnée d’avance. C'est tout un défi, parce qu'il faut penser vite et planifier vite, dit-il. Il peut être tentant de faire des choix plus faciles, mais qui vont malheureusement avoir un impact à long terme.

Christian Savard, de l'organisme Vivre en ville.

Christian Savard est le directeur général de Vivre en ville

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

La configuration historique de la ville n'arrange pas les choses, puisqu’elle est divisée en plusieurs noyaux villageois et il y a un risque d’éparpillement, analyse M. Savard.

Face à la faible acceptabilité sociale de la densification, il pense qu’élus et promoteurs pourraient céder à la tentation de construire des quartiers un peu au milieu de nulle part.

À notre avis, ce n'est pas la bonne direction à prendre, poursuit-il, parce qu’à long terme, cela va créer d'autres problèmes. Il faudra alors multiplier les infrastructures publiques, comme les aqueducs, les égouts ou les routes.

La circulation routière, le grand défi

Dans un contexte favorisant l’étalement urbain, son principal sujet d’inquiétude demeure la mobilité. Le territoire de Bécancour est vaste et, pour le moment, la voiture est la seule option. Selon M. Savard, il faut planifier habitats et zones de service afin de limiter au maximum la longueur des déplacements. C'est ça le grand défi, tranche-t-il.

L'afflux de travailleurs cause déjà de la congestion routière dans le secteur de la zone industrielle, où vont se trouver les usines de la filière batterie. Le camionnage a aussi beaucoup augmenté.

Andréanne Blais s'inquiète des conséquences sur toute la région, puisque les entreprises de Bécancour ne vont pas fonctionner en vase clos. Elle prévoit une augmentation du trafic un peu partout, que ce soit vers Trois-Rivières, Nicolet, Victoriaville ou Montréal.

Est-ce que le système routier actuel est assez développé pour accueillir le camionnage et l'auto solo? Quel avenir pour l’offre en transports collectifs interurbains, quasi inexistante à l’heure actuelle? Des questions que se pose M. Blais, mais qui demeurent sans réponse puisqu’il n’y a pas d’étude.

De son côté, la mairesse Lucie Allard attend avec impatience les résultats d’une étude sur la sécurité routière sur l’autoroute 30. Cette semaine, le secteur proche de la zone industrielle a été le théâtre d’un tragique accident de la route. Trois personnes sont mortes.

Une scène d'accident.

La force de l'impact a été telle qu'un incendie s'est déclaré.

Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Un nouveau plan d’urbanisme

La ville fusionnée de Bécancour a été créée en 1965, en même temps que sa zone industrielle. On lui a promis à plusieurs reprises un développement économique rapide et conséquent. Des promesses jamais tenues. Est-ce que cette fois sera la bonne?

Mme Allard y croit. Pour encadrer l’évolution de sa ville, elle vient de piloter la refonte du plan d'urbanisme qui va être présentée dans les prochaines semaines.

J'en ai des inquiétudes, comme se retrouver dans 10 ou 15 ans, puis au final que tout ce qu'on a remis en place n'aura pas fonctionné pour une raison que j'ignore actuellement, dit-elle.

C'est aussi de se retrouver face à un développement qui se ferait de façon peut-être plus violente.

Une citation de Lucie Allard, mairesse de Bécancour

Pour le moment, elle assure avoir tout le soutien nécessaire de la part du gouvernement provincial, même s'il reste des incertitudes quant à l'implantation d'écoles, de garderies ou de services de santé qui pourraient s'avérer nécessaires. Entre autres.

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