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Cultiver l’ail des bois dans le but de le protéger

Rangées de plants d'ail dans un sous-bois.

La culture d'ail des bois de François Laliberté.

Photo : François Laliberté

Quelque 200 000 plants d’ail des bois se dressent en rangées sous nos yeux en ce mois de mai encore frais. La neige a fondu, les feuilles pointent. Cette plante indigène est très convoitée pour son goût. Depuis 1995, son commerce est interdit au Québec et sa récolte est limitée. Mais des passionnés ont réussi à la cultiver et demandent une révision de la loi pour « mieux la protéger ».

Le lieu sera tenu secret. Il pourrait attirer la convoitise gourmande ou contrebandière.

Les bulbes et les feuilles de l’ail des bois sont comestibles. Ces plants sont les premiers à apparaître au printemps dans les parterres de forêts de feuillus, comme les érablières. Ainsi, ils prennent toute la lumière dont ils ont besoin pour leur croissance avant que les feuilles des arbres ne leur fassent de l’ombre.

François Laliberté a décidé d’apprivoiser l’ail des bois à l’âge de 18 ans. Il sait que c’est une plante fragile et voit sa culture comme un défi.

Je voulais recréer une grande colonie, montrer que c'était possible, explique-t-il. Pour lui et pour des dizaines de producteurs amateurs au Québec, cultiver l’ail des bois permet d’assurer sa survie.

Cette plante a été en 1995 l’une des premières à être désignée vulnérable par le ministère de l’Environnement du Québec, en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables adoptée quelques années plus tôt.

Sa croissance lente rend sa culture et sa cueillette délicates.

En milieu naturel, il lui faut environ sept ans avant de se reproduire. Une étude d’Andrée Nault, biologiste aujourd’hui à la retraite, a montré qu’une cueillette annuelle de 5 à 15 % des bulbes d’une colonie suffit pour engendrer un déclin de l’espèce.

Plant d'ail des bois.

Les feuilles et les bulbes de l'ail des bois sont comestibles.

Photo : Diane Barriault

L’ail des bois a longtemps fait partie de la culture québécoise. Dans les années 1980, il était tellement populaire que ses colonies ont nettement diminué à cause de cueillettes abusives.

Les développements urbain et agricole dans le sud du Québec ont aussi réduit son habitat.

Pour freiner ce déclin et dans un souci de conservation de l’espèce, le gouvernement du Québec a opté en 1995, pour la première fois de son histoire, pour la protection juridique d’une espèce végétale. La récolte de l’ail des bois a été limitée à 200 grammes ou 50 plants par année par personne, à des fins de consommation personnelle et non à des fins commerciales.

Braconnage dans les sous-bois

Ce statut est propre au Québec, alors que l’ail des bois pousse aussi dans les forêts de feuillus du sud de l’Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et dans l’est des États-Unis.

D’après François Laliberté, il est d’ailleurs probable qu’une partie de l’ail des bois vendu sur les marchés en Ontario provienne du Québec.

Chaque année, des dizaines de braconniers sont pris la main dans le sac... rempli de plants d’ail des bois. D’après le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, plus de 300 000 bulbes ont été saisis depuis 2011, ce qui ne représente très probablement que la pointe de l’iceberg.

Les agents de protection de la faune ne peuvent pas être partout en même temps. D’ailleurs, depuis 2020, la surveillance de l’ail des bois est aussi assurée par des équipes du Contrôle environnemental du ministère de l’Environnement.

Les amendes ont été augmentées en 2022 pour avoir un peu plus de mordant, explique Benoît Tremblay, botaniste à la Direction de la protection des espèces et des milieux naturels au ministère de l'Environnement.

Pour les infractions mineures, le ministère émet des sanctions administratives pécuniaires d’un montant de 2000 $ à 10  000 $, indique M. Tremblay. Pour les infractions plus graves, là, on tombe au pénal, avec un montant de 10 000 $ à 6 millions de dollars.

Des graines d'ail des bois.

Les graines de l'ail des bois sont noires et luisantes, et elles sont groupées par trois, d'où son nom latin : Allium tricoccum.

Photo : Thérèse Legault

Protection par usage

Le gouvernement du Québec a adopté un type de protection par cloche de verre, mais plusieurs passionnés, comme François Laliberté, proposent une protection de l’ail des bois par son usage.

Pour assurer sa survie et limiter le marché noir, des producteurs amateurs, des chercheurs, des agronomes, des associations et des restaurateurs ont envoyé une requête au ministère de l’Environnement en 2021 pour demander la légalisation de la vente d'ail des bois cultivé, tout en continuant d’interdire la vente de plants récoltés à l’état sauvage.

Jean Arsenault, qui cultive de l’ail des bois depuis plus de 20 ans, est à l’origine de cette requête, envoyée par l’Association de commercialisation des produits forestiers non ligneux (ACPFNL). Il cultive aussi de nombreuses plantes rares et médicinales qui sont protégées par la loi mais qu’il a le droit de vendre, comme l'asaret du Canada, la sanguinaire ou l’adiante.

L'intérêt pour ces plantes est d'ordre horticole et non culinaire, comme pour l’ail des bois, fait valoir Benoît Tremblay. Donc, la pression est beaucoup moins grande.

Répondre à la demande en limitant la pression sur les colonies naturelles est l’un des arguments des 26 signataires de la requête.

En se donnant le droit de la produire, et en étant certain qu'elle a été produite et qu'elle n’est pas prise dans le bois, on suppose – c'est tout à fait logique – qu’on va réduire un peu la pression sur les colonies naturelles.

Une citation de François Laliberté, qui cultive l'ail des bois

Mais on ne peut pas présumer qu’une telle commercialisation aurait nécessairement un impact positif, avertit le ministère de l’Environnement.

Il n'y a rien qui dit que l'effet ultime ne serait pas le contraire, finalement, signale Benoît Tremblay. Qu’on n'aurait pas comme conséquence d'augmenter le braconnage et d'augmenter peut-être aussi la récolte, même légale, en milieu naturel, par la population, parce qu'on ramènerait [...] l'intérêt populaire pour l'ail des bois. Donc, c'est très difficile de se prononcer.

Des plants d'ail des bois cultivés dans un sous-bois.

Le reportage de Carine Monat et Stéphan Gravel, présenté à « La semaine verte ».

Photo : Radio-Canada

De l’ail cultivé et tracé

Pour s’assurer que l’ail des bois vendu provienne bien d’une culture et non d’une cueillette de plants sauvages, les producteurs et l’ACPFNL insistent sur l’importance de la traçabilité du produit, qui serait alors assuré par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ).

Pour l’instant, le MAPAQ ne se prononce pas sur son rôle dans le contrôle d’éventuelles cultures commercialisables d’ail des bois parce que le statut juridique de cette plante dépend du ministère de l’Environnement.

Cependant, dans les années 2010, le MAPAQ a financé des projets de recherche sur les besoins culturaux de cette espèce.

Ces projets de recherche pourraient servir à diverses fins comme à une campagne de réintroduction de l’espèce dans son milieu naturel ou éventuellement à des fins de production suite à une révision de son statut juridique au Québec, écrit le relationniste Yohan Dallaire Boily.

L’ail des bois est apprivoisable

Lorsqu’il est cultivé, l’ail des bois produit plus de graines et se développe plus rapidement qu’à l’état sauvage.

Après quatre ans, certains plants vont produire des fleurs et vont commencer à se diviser, alors qu’en milieu naturel, ça prend sept à dix ans avant que le plant soit mature, qu’il puisse produire des fleurs et se diviser, explique Jean Arsenault. François Laliberté partage ce constat.

Lorsque la loi a été adoptée, personne n’avait encore fait la preuve que l’ail des bois pouvait être apprivoisé au point de pouvoir en cultiver des mètres carrés.

Pour calculer la rentabilité d’une telle culture, François Laliberté s’est basé sur la vente des feuilles, des bulbes et des graines. Avec les chiffres de M. Arsenault et les siens, on pouvait évaluer une quarantaine de dollars par mètre carré de profit. Soit 40 000 $ de profits par année sur un 1000 mètres carrés de culture, qui est la superficie idéale.

D’après les chiffres du MAPAQ de 2020, ce montant représente presque le double de la rentabilité des bulbes d’ail classique.

Des restaurateurs ont signé la requête et d’autres ont manifesté leur intérêt pour se procurer de l’ail des bois cultivé, note Jean Arsenault.

Certains transformateurs de produits du terroir pourraient aussi être intéressés, ajoute-t-il. Des semenciers qui pourraient offrir des semences à des gens qui veulent démarrer des cultures.

De l'ail des bois cultivé.

Les feuilles de l’ail des bois ne vivent que quelques semaines, elles ressemblent à celles du muguet.

Photo : François Laliberté

Un ail des bois sauvage encore vulnérable

Après presque 30 ans de conservation, le ministère de l’Environnement compte 418 occurrences d’ail des bois, alors qu’il y a 30 ans, on pensait qu'il y en avait à peu près 70 au Québec. Donc, on en a trouvé beaucoup de nouvelles, indique Benoît Tremblay.

Même si le ministère indique qu’il n’y a pas d’études démontrant une amélioration de sa situation depuis sa désignation comme espèce vulnérable, sa position est que les mesures ont un effet dissuasif sur une partie des cueilleurs.

L’ail des bois est une plante patrimoniale qui a longtemps fait partie du paysage culturel québécois. On sait désormais qu’il est cultivable.

Le ministère de l’Environnement dialogue maintenant avec l’Association de commercialisation des produits forestiers non ligneux et plusieurs signataires pour le droit à la commercialisation d’ail cultivé.

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