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Les déboires de Canada Vie poursuivent les fonctionnaires fédéraux à l’étranger

Une dame assise sur un divan regarde la caméra.

Roseline Roy, une retraitée de la fonction publique canadienne, a dû débourser près de 30 000 $ après avoir subi une fracture de la cheville lors d'un voyage en Grèce.

Photo : Radio-Canada / Patrick Louiseize

Des employés et retraités de la fonction publique fédérale peinent à se faire rembourser des frais médicaux engagés à l’étranger depuis qu’ils sont assurés par Canada Vie. Les problèmes sont tels que le gouvernement a prêté 1,8 million $ à des travailleurs, a appris Radio-Canada.

La retraitée Roseline Roy garde des souvenirs très difficiles de son voyage de randonnée en Grèce, en octobre dernier.

Au troisième jour, mon pied a glissé sur une pierre et j'ai eu une double fracture de la cheville, relate la sexagénaire rencontrée dans sa résidence de Gatineau. En pleine forêt, Mme Roy a dû être évacuée par des pompiers qui l’ont transportée en civière jusqu’à une plage accessible seulement par bateau. Le lendemain, elle a subi une opération.

Deux jambes, dont une avec un pied dans un bandage, allongées sur une civière à l'intérieur d'un véhicule d'urgence.

Photo prise lors du transport d'urgence de Roseline Roy

Photo : Gracieuseté Roseline Roy

Le niveau de stress de Roseline Roy est à son comble. Ni elle, ni ses filles, ni ses amies ne réussissent à entrer en contact avec MSH International, le sous-traitant de Canada Vie responsable de l’assistance voyage d’urgence et de l’administration du Régime de soins de santé de la fonction publique (RSSFP) à l’étranger.

Ce n’est que quelques jours après l’intervention chirurgicale que Roseline Roy réussit à parler à une employée de MSH International. Celle-ci se fait rassurante.

Elle lui confirme que l’opération sera payée et que Mme Roy peut rentrer au pays en classe affaires pour que sa jambe soit dans une position surélevée pendant le trajet – une condition imposée par le médecin pour prendre l’avion.

Une dame assise sur un divan travaille avec un ordinateur posé sur ses genoux et avec une cane à ses côtés.

Des employés et des retraités de la fonction publique ont beaucoup de difficulté à se faire rembourser des frais médicaux encourus à l’étranger depuis qu’ils sont assurés par Canada Vie. Le reportage d'Estelle Côté-Sroka.

Photo : Radio-Canada / Patrick Louiseize

Elle devait contacter l’hôpital pour prendre la facture, [mais] ça n’a pas été fait, indique Mme Roy. Avec le billet d’avion et les autres frais afférents, la retraitée a dû débourser près de 30 000 $, une somme payée avec sa carte de crédit, puis transférée sur sa marge de crédit.

Le 27 octobre, Roseline Roy soumet en ligne sa demande de réclamation auprès de MSH International. Et depuis, aucune nouvelle.

J'ai même pas rappelé [pour essayer de faire un suivi], j'ai pas le courage de faire face à ça une autre fois, j’attends, explique Mme Roy, qui n’a pas encore retrouvé la pleine capacité de marcher après son accident.

Je paye pour un service que je n'obtiens pas et je trouve ça tout à fait injuste que j'aie à payer [des] intérêts [là-dessus].

Une citation de Roseline Roy, retraitée de la fonction publique fédérale

Après avoir vu de nombreux témoignages dans les médias sociaux de fonctionnaires n’arrivant pas à joindre MSH International, elle préfère garder son énergie pour aller à ses rendez-vous médicaux.

Je trouve ça un petit peu aberrant, lance la retraitée qui ne sait pas vers qui se tourner pour se faire rembourser. Je me dis, si c'était un contrat que j'avais pris moi-même, il me semble que j'aurais des recours [...], mais là, ce contrat-là, c'est pas moi qui l'ai signé, alors je me sens un peu victime d'un système, déplore-t-elle.

Un problème quotidien

Des employés du gouvernement fédéral qui résident à l’extérieur du Canada dénoncent eux aussi la piètre qualité du service offert par MSH International avec qui ils doivent traiter pour rembourser des dépenses médicales courantes.

Depuis la prise en charge du service d’assurance par Canada Vie en juillet, j’ai probablement essayé de contacter [MSH International] 20 fois ou plus par téléphone, lance la fonctionnaire Sonia Hooykaas, qui réside à Londres avec sa fille autiste de six ans.

Une fille de six ans couchée dans un lit d'hôpital avec un chien d'assistance.

La fille de Sonia Hooykaas et son chien d’assistance.

Photo : Gracieuseté Sonia Hooykaas

Dans les derniers mois, toutes les deux devaient subir une chirurgie, une procédure qui doit être approuvée préalablement par l’assureur. J’ai probablement passé 40 heures, si ce n’est pas plus, en attente, à écouter leur horrible musique de piano qui joue en boucle, s’exclame Sonia Hooykaas.

C’était la panique, le stress, [...] c'est drainant. C'est fatigant d'essayer d'appeler, d'écouter les téléphones, personne ne peut répondre à vos questions.

Une citation de Sonia Hooykaas, employée d'Affaires mondiales Canada

En tant que mère élevant seule son enfant à l’étranger, Sonia Hooykaas explique être effrayée à l’idée de dépenser 13 500 $ sans avoir la moindre idée de ce qui va être couvert et du temps que cela va prendre pour avoir un remboursement.

Mme Hooykaas affirme avoir fait 17 réclamations auprès de MSH International pour un total d’environ 45 000 $. Cinq réclamations auraient été traitées, dont deux n’auraient pas été correctement payées, en raison d’un problème de taux de change. La fonctionnaire attend toujours le remboursement d’un peu plus de 41 000 $.

Quand le gouvernement accorde des prêts

Comme d’autres employés relevant d’Affaires mondiales Canada (AMC), Sonia Hooykaas n’a d’autre choix que de demander un prêt à son employeur pour l’aider à payer ses factures en attendant un remboursement.

Ce matin encore, je remplis furieusement tous les documents de prêt et j'espère pouvoir en obtenir un autre – le troisième pour moi depuis la mi-août – pour couvrir les dépenses, expose-t-elle pour démontrer le ridicule de la situation.

Une dame tient sa fille de six ans dans ses bras. Les deux regardent au loin par la fenêtre.

Sonia Hooykaas et sa fille

Photo : Gracieuseté Sonia Hooykaas

Depuis le changement d’assureur, AMC a avancé 1,8 million $ à des employés pour payer des frais médicaux ou dentaires, indique Pierre Cuguen, porte-parole d’AMC. Seulement 300 000 $ ont été remboursés à ce jour, précise-t-il dans un courriel.

Au cours des quatre dernières années, une moyenne de 9 à 12 avances ont été émises chaque mois pour aider les employés à accéder aux services de soins de santé à l’étranger, note M. Cuguen. Toutefois, depuis juillet 2023, les moyennes sont passées à 23 avances par mois.

Les employés d’AMC à l’étranger peuvent compter sur une avance exempte d’intérêts pour frais médicaux, car ils doivent généralement assumer ces frais eux-mêmes et ensuite être remboursés par l’assureur.

Sonia Hooykaas s’estime chanceuse de pouvoir compter sur cette aide financière, mais elle juge que son employeur doit tout de même s'assurer que le régime est géré de manière appropriée.

La présidente de l’Association professionnelle des agents du service extérieur, Pamela Isfeld, craint que les problèmes avec Canada Vie et MSH International poussent des gens à reporter des soins médicaux.

Je suis très inquiète. [...] Je pense que c’est injuste, c’est dangereux.

Une citation de Pamela Isfeld, présidente de l’Association professionnelle des agents du service extérieur

Mme Isfeld affirme que son syndicat a reçu une centaine de plaintes, mais que cela représente probablement seulement le pic de l'iceberg. Elle souhaite que le gouvernement règle ce dossier en priorité et qu’il envisage d’autres solutions au besoin, comme utiliser temporairement les services d’un autre fournisseur d’assurance.

Se tourner vers un autre assureur

La fonctionnaire Elizabeth Weissman, qui réside aux États-Unis, accumule aussi plusieurs réclamations non remboursées par MSH International depuis juillet. Elle estime que la compagnie lui doit environ 2000 $. J’ai mis ça sur ma carte de crédit, ça sort de ma poche, laisse-t-elle tomber.

Ils sont payés pour un service qu’ils ne fournissent pas, c’est honteux.

Une citation de Elizabeth Weissman, fonctionnaire

Devant ses courriels qui restent sans réponse, ses tentatives de suivis téléphoniques et ses réclamations non remboursées, Mme Weissman commence à s’inquiéter. C’est vraiment stressant, confie-t-elle.

À l’aube de sa retraite, elle a donc décidé de prendre les grands moyens et de se prévaloir d’une assurance privée, qui lui coûte plus de 1000 $ par mois.

J'ai pas confiance [en MSH International] et s'il y a quelque chose de catastrophique qui arrive, un accident, une chirurgie d'urgence, moi je ne peux pas débourser 30 000 $, analyse-t-elle.

Démarches de la compagnie

Quelques heures après que Radio-Canada eut interpellé MSH International, la compagnie a contacté chacune des personnes qui témoignent dans cet article. Un porte-parole de Canada Vie confirme que MSH International se penche actuellement sur chacun des cas et que les réclamations seront traitées lorsque toutes les informations nécessaires auront été transmises.

Pas de sanction pour Canada Vie

Étant donné la situation actuelle, le gouvernement fédéral continue de tenir des réunions quotidiennes avec la direction de Canada Vie au sujet de l’administration du [régime d’assurance], spécifie Joie Huynh, porte-parole du secrétariat du Conseil du Trésor.

Canada Vie a avisé le gouvernement que MSH a embauché davantage de personnel disposant d’une cote de sécurité et ayant suivi une formation sur le RSSFP pour le centre d’appels et le traitement des réclamations, détaille Joie Huynh.

Un immeuble vitré au centre-ville de Toronto.

Les bureaux de MSH International se trouvent au centre-ville de Toronto.

Photo : Radio-Canada / Sue Godspeed

L’assureur bénéficiait d’une période de transition jusqu’au 1er janvier 2024, date à partir de laquelle le gouvernement devait commencer la surveillance des performances du niveau de service, peut-on lire dans le contrat de 514 millions $ conclu avec Canada Vie dont Radio-Canada a obtenu copie.

Malgré la persistance des problèmes vécus par les fonctionnaires et retraités, le gouvernement ne prévoit pas, pour l’instant, sanctionner Canada Vie. Mais des sanctions financières ou des retenues de paiement font partie de l’arsenal du gouvernement, confirme Stéfanie Hamel, porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC).

Dans la plupart des cas où un fournisseur connaît des retards, SPAC cherche en priorité à collaborer avec le fournisseur pour remédier à la situation, détaille Mme Hamel. Jusqu’à maintenant, des progrès continuent d’être réalisés en adoptant cette approche avec Canada Vie, ajoute-t-elle.

Anita Anand regarde au loin, baignée de lumière bleue dans une salle de conférence.

La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

La présidente du Conseil du Trésor dit partager les inquiétudes des membres qui souffrent de délais de remboursement de leurs demandes.

Mon équipe continue de faire pression sur la Canada Vie pour qu'elle travaille avec son sous-traitant MSH afin de réduire les temps d'attente, a fait savoir par courriel la ministre Anita Anand.

Canada Vie sur la défensive

Canada Vie se défend de ne pas respecter les niveaux de service établis dans le contrat signé avec le gouvernement fédéral.

Par courriel, la compagnie assure avoir répondu dans un délai de 40 secondes à plus de 90 % des appels reçus la semaine dernière. Les demandes de réclamations soumises en ligne ont quant à elles été traitées dans un délai d’un jour, précise-t-elle.

Canada Vie blâme d’ailleurs l’ancien assureur des fonctionnaires fédéraux pour les problèmes liés à MSH International.

Lorsque MSH a commencé à gérer le service [à l’extérieur du Canada], il y avait plus de 12 000 réclamations non traitées émanant du fournisseur précédent, nuance un porte-parole. MSH s’est efforcé de réduire d’un tiers cet arriéré inattendu, tout en traitant les nouvelles réclamations.

L’ancien fournisseur, Sun Life, et son sous-traitant Allianz Global Assistance, nient tous deux avoir transmis des réclamations non traitées à Canada Vie et MSH International.

Allianz est demeuré responsable de toute réclamation soumise avant la date de transition [du régime d’assurance à Canada Vie], précise dans un courriel Dan Keon, vice-président chez Allianz Global Assistance.

MSH International n’a pas voulu répondre aux questions de Radio-Canada dans le cadre de cet article. La directrice des revenus de MSH International, Pamela Kwiatkowski, indique dans un courriel que Canada Vie a répondu [aux questions] au nom des deux organisations.

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