Fredericton finance en priorité les écoles en « surcapacité critique », un seuil secret
Des écoles du Nouveau-Brunswick débordent d'élèves.
Photo : Radio-Canada / Océane Doucet
Il existe une manière de contourner la grille d'analyse utilisée par le ministère de l'Éducation pour déterminer quelles écoles recevront du financement.
Il s'agit du seuil de surcapacité prioritaire urgente.
Méconnu, son rôle dans l'attribution des fonds pour l'agrandissement et la construction des écoles du Nouveau-Brunswick a été clarifié en décembre, lors de deux breffages techniques offerts par le ministère de l'Éducation.
En résumé, le ministère de l'Éducation explique que lorsqu'une école atteint un ratio élèves/espace qui dépasse un certain pourcentage, tout projet d'agrandissement ou de construction sera automatiquement financé.
La liste de priorité du gouvernement du N.-B. est connue, mais pas le pointage attribué qui a déterminé le rang de chaque projet.
Photo : Capture d'écran / Gouvernement du N.-B.
Ces projets d'agrandissements auront priorité sur les autres demandes de financement soumises par les districts scolaires dans la liste de priorité du ministère (Nouvelle fenêtre).
Dans le dernier budget d'infrastructure déposé en novembre, trois écoles anglophones, situées à Dieppe, Tabusintac et Fredericton, ont profité de cette clause.
Un seuil confidentiel
Mais le seuil qu'il faut atteindre pour profiter de ce laissez-passer vers le sommet de la liste ne peut pas être partagé publiquement, indique le ministère de l'Éducation.
Le ministère ne peut pas partager le pourcentage puisque ces données sont confidentielles.
Pour les districts scolaires, parvenir à obtenir une place en haut de cette liste est critique afin d'obtenir du financement pour les projets d'infrastructures.
En décembre, seules les six premières positions de la liste, qui en compte une soixantaine, ont obtenu des fonds.
L'agrandissement de l'école de Saint-Henri était le seul projet qui concerne une école francophone.
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Ça laisse un doute dans l'esprit
Question de transparence, le ministère devrait rendre public le pourcentage à atteindre pour profiter du seuil de surcapacité prioritaire urgente, selon deux présidents de conseils d’éducation de districts scolaires.
Ghislaine Foulem, présidente du conseil d'éducation du District scolaire francophone Nord-Est (DSFNE), en entrevue à Moncton le 7 décembre 2022.
Photo : Radio-Canada
Juste le fait qu’il n’y a pas de transparence, ça laisse un doute dans l'esprit
, affirme Ghislaine Foulem, du District scolaire francophone nord-est.
Nous, ça nous laisse l’impression que ces critères-là peuvent bouger. Ça laisse de la place à l’intervention politique.
Fredericton n'a annoncé la construction d'aucune nouvelle école francophone depuis 2018. Sur la même période, 13 nouvelles constructions ont eu lieu du côté anglophone.
Michel Côté, président du conseil d'éducation du District scolaire francophone Sud
Photo : Radio-Canada / Patrick Lacelle
Michel Côté, son homologue du District scolaire francophone Sud, indique avoir eu vent
de l'existence de ce seuil. C'est certain qu'il y a une certaine logique avec ça. Si tout d'un coup, il y a un afflux de nouveaux arrivants dans une région, il faut être capable de desservir les élèves.
Mais il souligne que de nombreuses écoles de son district pourraient visiblement profiter aussi du seuil de surcapacité prioritaire urgente.
Michel Côté cite en exemple les cas de l'école Sainte-Bernadette à Moncton et Samuel-de-Champlain à Saint-Jean. Pour chacune d'elles, il dit qu'il faudra installer six classes portatives pour répondre aux besoins des prochaines années.
Ça semble injuste.
Il propose que le gouvernement instaure un seuil similaire pour assurer l'accès à l'éducation en français.
Aussitôt qu’on arrive dans une région où on est capable de démontrer qu’on a une masse critique d’ayants droit, eh bien, ça devrait monter en haut de la liste, immédiatement, sans poser de question.
« Une iniquité » inacceptable pour l'opposition
Du côté de l'opposition officielle, on dénonce également un manque de transparence du processus. Francine Landry, la porte-parole du Parti libéral en matière d’éducation, croit que le choix d’investissement n’est définitivement pas équitable entre les régions francophones et anglophones
.
Cela crée une iniquité qui n’est pas acceptable.
La porte-parole libérale en Éducation, Francine Landry, rappelle que plusieurs jeunes enseignants quittent pour d'autres provinces où les salaires offerts sont nettement meilleurs.
Photo : Radio-Canada / Michel Corriveau
La porte-parole juge qu’il faudrait un budget séparé pour répondre aux besoins urgents et non déclasser
des écoles qui attendent parfois des investissements depuis de nombreuses années.
Pour illustrer la situation, elle prend l’exemple de la cité des Jeunes A.-M.-Sormany à Edmundston. L’établissement, qui nécessite des travaux de modernisation mis sur la glace en 2018, est la priorité du district scolaire depuis 2019. Cette année, elle a encore reculé au classement des priorités du gouvernement pour atteindre la 39e place.
La Cité des Jeunes A.-M.-Sormany, en août 2023 à Edmundston, au Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada / Yves Levesque
La députée Madawaska-Les-Lacs — Edmundston craint que la polyvalente francophone ne devienne jamais une priorité du gouvernement en raison du seuil de surcapacité prioritaire urgente.
Augmentation vertigineuse à Tabusintac
L'utilisation de la clause de surcapacité prioritaire urgente peut être nécessaire, selon Dean Mutch, le directeur général du District scolaire anglophone Nord.
Construite pour 44 élèves, l'école de Tabusintac en accueille désormais 95, soit plus du double.
Dean Mutch est administrateur au District scolaire anglophone sud.
Photo : Capture d'écran / Zoom
Ils ont réalisé que c'était une priorité, parce que tu ne peux pas avoir près d'une centaine d'élèves dans un bâtiment construit pour en accueillir une quarantaine.
C'est pour ça qu'elle a été ajoutée à la liste.
Pour être honnête, j'ai été surpris. Je ne pensais pas qu'on allait atteindre la deuxième position si rapidement. Vous savez, quand on propose un projet sur la liste, ils peuvent bouger d'une année à l'autre.
Un pointage aussi confidentiel
Le pointage qu’ont obtenu les écoles grâce à la grille d'évaluation du ministère est également une information confidentielle, selon le ministère.
Les deux présidents des conseils d'éducation estiment que cette donnée devrait aussi être publique.
Il y a eu des demandes. Est-ce que l'on peut voir notre évaluation? Est-ce que l'on peut voir où l'on peut s'améliorer?
, indique Michel Côté.
On sait où on est dans la liste, mais on n'a aucune idée du pointage. Il y a peut-être des éléments qui ne sont pas évalués à la hauteur de ce qu'ils devraient être.
L'école Saint-Henri, qui accueille des élèves de la maternelle à la cinquième année, a obtenu du financement pour un agrandissement.
Photo : Radio-Canada / Océane Doucet
Bien que ce pointage n’ait pas été rendu disponible, lors de ses breffages techniques, le ministère a indiqué que quatre critères sont plus importants que les autres.
- Le manque d’espace
- L’état du bâtiment
- La situation démographique
- La santé et la sécurité
Les 11 critères suivants comprennent entre autres les priorités déterminées par les districts, l’impact sur le transport scolaire, l’accès pour les minorités linguistiques et les Premières Nations ainsi que l’environnement d’enseignement.
Le ministère a également indiqué que, bien que la matrice ne change pas, l’ordre de priorité dans la liste peut changer d’année en année en fonction des variables. Par exemple, une école dont la région perd des élèves pourrait glisser en faveur d’une autre région où la population augmente.
Formule complexe
Sans dévoiler le pourcentage à atteindre, le ministère de l'Éducation a donné une indication de la formule utilisée pour déterminer le seuil de surcapacité prioritaire urgente, dans un courriel.
Le ministère calcule le ratio du besoin de plateformes d’enseignement (comme les salles de classe, les laboratoires de science, les classes de musique, les gymnases, etc.) versus le nombre de plateformes d’enseignement existantes dans l’école ou les écoles impliquées dans le projet.
Le ministère indique que la formule ne se résume pas à calculer le ratio entre la capacité prévue d'un bâtiment et le nombre d'élèves, car il faut entre autres prendre en compte les classes disponibles pour les différentes années scolaires.