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COVID-19 et opioïdes : comment deux crises ont réduit l’espérance de vie

Des pierres tombales dans un cimetière.

Certains pays, dont le Canada et les États-Unis, n’arrivent pas à regagner les pertes en matière d'espérance de vie depuis la pandémie.

Photo : Radio-Canada

Partout dans le monde, la pandémie de COVID-19 a mené à une réduction de l’espérance de vie. La situation s’est légèrement améliorée en 2022 et en 2023, mais certains pays, dont le Canada et les États-Unis, n’arrivent pas à regagner les pertes. Et la COVID-19 n’est pas la seule raison.

Selon deux études, la COVID-19 a été le principal facteur de la réduction de l’espérance en 2020 et en 2021 dans presque tous les pays. En fait, les décès causés par la COVID-19 ont provoqué la plus forte baisse de l’espérance de vie dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale.

Pour Guogui Huang, chercheur au Centre de recherche sur les systèmes de santé et sur la sécurité de l'Université Macquarie, en Australie, il est clair que la pandémie est largement responsable de la diminution de l’espérance de vie observée depuis 2020.

Dans la plupart des pays que nous avons étudiés, l’espérance de vie n’avait pas beaucoup changé depuis de nombreuses années. Une des seules choses majeures sur le plan de la santé publique qui ont changé en 2020-2021, c’est la pandémie de COVID-19, dit ce spécialiste.

Si l’impact a été ressenti globalement, les effets de la COVID-19 sur l’espérance de vie ne sont pas répartis uniformément, dit Guogui Huang, qui a analysé les données jusqu’en 2023 (Nouvelle fenêtre).

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Selon son analyse, en 2020, dans 27 pays, l’espérance de vie à l’âge de cinq ans a diminué. Les plus fortes baisses en 2020 ont été observées aux États-Unis (-1,94 an), en Lituanie (-1,83 an), en Espagne (-1,74 an) et en Bulgarie (-1,68 an).

En 2021, l’espérance de vie a augmenté dans 15 pays européens, mais elle a continué à diminuer aux États-Unis, au Chili et en Europe de l’Est. Ceci concorde avec l’analyse faite par Jose Manuel Aburto, (Nouvelle fenêtre) démographe au Centre Leverhulme pour les sciences démographiques et au Département de sociologie de l'Université d'Oxford, ainsi que par ses coauteurs.

Nadine Ouellette, professeure au Département de démographie de l'Université de Montréal, croit que les pays qui ont connu une remontée à compter de 2021 ont peut-être simplement connu un rattrapage. [La pandémie a] précipité le décès de plusieurs personnes âgées [en 2020], qui n'étaient plus là pour mourir l'année suivante, donc il y a un certain lien entre le creux très marqué en 2020 et le pic en 2021.

Depuis lors, l’espérance de vie mondiale continue d’augmenter graduellement, mais 22 des 27 pays analysés par M. Guogui et par son équipe n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la pandémie.

En 2023, dans 19 pays, l'espérance de vie à l’âge de cinq ans a augmenté, notamment aux États-Unis (+0,73 an), en Bulgarie (+1,07 an) et en Pologne (+0,74 an). La plus forte augmentation en 2023 parmi les 27 pays a été observée au Chili, où l'espérance de vie a augmenté de 2,30 ans.

Une pierre tombale et des fleurs.

Près de 58 000 Canadiens sont morts de la COVID-19 depuis le début de la pandémie.

Photo : Radio-Canada / Robert Jones

Une amélioration, mais la COVID-19 fait encore des dommages

Pour José Manuel Aburto, le fait que l'espérance de vie tarde à remonter est la démonstration du fait que la COVID-19 est encore bien présente et que ses effets se font encore sentir.

Nous avons encore beaucoup à faire avant de revenir au point de départ.

Une citation de Jose Manuel Aburto, démographe à l'Université d'Oxford

Ces experts espèrent toutefois que le recul causé par la COVID-19 devrait être de courte durée, mais certains groupes plus vulnérables pourraient continuer de voir leur espérance de vie diminuer ou stagner pendant encore plusieurs années, en partie à cause de la COVID-19, affirme Guogui Huang.

D’ailleurs, selon M. Aburto, la pandémie a contribué à exacerber les iniquités.

Par exemple, une étude montre qu’entre février 2020 et mai 2022, chez les hispanophones américains, la baisse de l’espérance de vie équivaut à plus de cinq ans; chez les Noirs, elle est de près de quatre ans.

La pandémie a par ailleurs creusé l’écart d’espérance de vie entre les hommes et les femmes. Rappelons que davantage d’hommes meurent de la COVID-19 que les femmes.

Jose Manuel Aburto ajoute que leur analyse montre que les pays où le taux de vaccination est plus élevé ont subi des pertes d’espérance de vie plus faibles.

Un recul historique qui sera difficile à rattraper

La pandémie a eu d’immenses répercussions sur les progrès en matière d'espérance de vie, déplore Jose Manuel Aburto.

Après tout, l'espérance de vie avait considérablement augmenté au cours du siècle dernier. D’abord, la réduction des décès chez les nourrissons et chez les jeunes enfants au début du 21e siècle a eu un impact majeur sur l’espérance de vie. La lutte contre les maladies infectieuses et parasitaires a elle aussi contribué à cette hausse.

La fumée secondaire serait associée aux fortes migraines de certains non-fumeurs.

L'abandon du tabagisme a eu un effet majeur sur la hausse de l'espérance de vie.

Photo : iStock

Dans les années 1960-1970, les campagnes antitabac, les avancées pharmacologiques pour le traitement de l'hypertension artérielle et pour les pontages ainsi que l’invention du stimulateur cardiaque (pacemaker) ont tous joué un rôle important dans la diminution du nombre de décès causés par des maladies cardiovasculaires. Puis, le monde a fait des avancées majeures dans le dépistage et le traitement des cancers.

L’espérance de vie augmente depuis 1921. Il y a eu une petite période d'interruption dans les années 1960. Les chercheurs pensaient [...] qu’on avait atteint la limite pour l'être humain. Et puis, au tournant des années 1970, il y a eu une chute massive de la mortalité causée par les maladies cardiovasculaires. Ça s'est produit de façon impressionnante, synchronisée, et partout dans le monde, dit Nadine Ouellette.

Par contre, les experts observent depuis une quinzaine d’années que le nombre de décès causés par les maladies cardiovasculaires ne diminue plus aussi rapidement. Il n’y a presque plus de gains dans le cas des maladies cardiovasculaires, déplore Nadine Ouellette.

Pour ces chercheurs, il est clair qu’il est de plus en plus difficile de rehausser l’espérance de vie.

Ça prend du temps; on n’augmente pas l'espérance de vie à coups d'une année chaque année.

Une citation de Nadine Ouellette, démographe à l'Université de Montréal

C'est sûr que l'espérance de vie augmente plus vite quand on lutte contre les maladies infectieuses et contre les maladies infantiles, précise Mme Ouellette. Depuis les années 1980, dans les pays à revenus élevés, la très grande majorité des décès surviennent aux grands âges. Donc, c'est sûr qu'il y a moins d'espace pour les progressions.

Guogui Huang ne pense pas que nous ayons atteint la limite maximale de l’espérance de vie, mais il estime que les progrès risquent d’être beaucoup plus lents et coûteront beaucoup plus cher.

Les États-Unis et le Canada font bande à part

Si la pandémie a tiré l’espérance de vie vers le bas, Nadine Ouellette rappelle que le Canada et les États-Unis connaissaient déjà un ralentissement de l'augmentation, voire carrément une baisse de l’espérance de vie depuis plusieurs années.

Après des décennies de progrès, l’espérance de vie à la naissance a atteint un sommet aux États-Unis en 2014, à 78,9 ans. Elle a ensuite stagné. Les États-Unis se sont détachés [du peloton], et puis là, ils sont à des années-lumière du reste des autres pays à revenus élevés.

En 2020, première année de la pandémie, elle est tombée à 77 ans, puis à 76,4 ans en 2021. Il s'agit de la plus forte baisse sur deux ans depuis les années 1920. Rappelons que près de 1,2 million d’Américains sont morts de la COVID-19.

La baisse de l’espérance de vie des Américains s’explique notamment par le manque de progrès au chapitre des maladies cardiovasculaires, par le nombre élevé d’homicides et par les taux de mortalité maternelle et infantile, parmi les plus élevés des pays à revenus élevés.

Un ambulancier sort un brancard d'une ambulance.

La crise des opioïdes frappe aussi durement la ville de New York.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Cependant, une des raisons majeures est l’épidémie d'opioïdes, affirment Guogui Huang et Nadine Ouellette. Chaque année, environ 100 000 Américains meurent d'une surdose de drogue, majoritairement des opioïdes.

Selon Mme Ouellette, cette même tendance au ralentissement s’observe au Canada, et ce, depuis 2010. Ça fait un bon moment qu'au Canada, on sent qu'il y a un frein au chapitre de l'espérance de vie.

Si la COVID-19 a tué 19 716 Canadiens en 2022 et 14 466 en 2021, contribuant ainsi à la baisse de l’espérance de vie, Nadine Ouellette affirme que, tout comme aux États-Unis, la crise des opioïdes frappe fort au Canada. C'est dommage, parce que cette crise, on l'a vue venir.

En 2022, l’espérance de vie à la naissance a diminué au Canada pour une troisième année consécutive.

L’espérance de vie à la naissance des Canadiens est passée de 82 ans en 2018 à 81,6 ans en 2021, puis à 81,3 ans en 2022.

Le Québec a résisté pendant plusieurs années à cette tendance à la baisse, mais les dernières données montrent que cette province connaît elle aussi une réduction de l’espérance de vie, en bonne partie à cause des opioïdes qui tuent de plus en plus de jeunes adultes.

De plus, souligne Mme Ouellette, les données du Canada montrent davantage de décès causés par l’alcool et par les maladies cardiovasculaires chez les jeunes adultes.

Un homme fait prendre ses mensurations.

Les Canadiens souffrent de plus en plus de surpoids et d'obésité.

Photo : iStock

L'obésité croissante a certes un rôle à jouer dans l’augmentation du nombre de décès à cause des maladies cardiovasculaires, dit-elle. Par contre, elle et d’autres experts soupçonnent que les dommages causés par l’usage chronique d'opioïdes expliqueraient en partie cette tendance.

Il y a peut-être un lien avec les drogues qu’il ne faut pas ignorer. Ces substances extrêmement puissantes font beaucoup de dommages au corps. Plusieurs personnes ne mourront pas d’une surdose, mais elles vont peut-être décéder d'une maladie cardiovasculaire de façon très précoce à cause d’un usage chronique de ces drogues.

Mme Ouellette craint d’ailleurs que l’espérance de vie continue à baisser au Canada et aux États-Unis si la crise des opioïdes n’est pas circonscrite. Les choses peuvent encore s'aggraver beaucoup si on ne change rien.

Elle note que les récentes données de Statistique Canada sur l’espérance de vie sont provisoires; de nombreuses enquêtes sont toujours en cours chez certains coroners, notamment en ce qui concerne plusieurs décès liés aux surdoses chez les jeunes adultes.

Ça veut dire que ce qu'on observe en ce moment, c’est une borne inférieure. Donc, ça ne sera pas moins que ça [le nombre de décès causés par une surdose d’opioïdes] : ça risque d'être plus que ça.

Mme Ouellette ajoute que les autres pays doivent tirer des leçons de la crise des opioïdes en Amérique du Nord, sans quoi ils risquent eux aussi de voir leur espérance de vie continuer à diminuer.

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