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Le monde a-t-il vraiment changé après la pandémie de COVID-19?

Un arc-en-ciel Ça va bien aller sur un mur d'école.

Les arcs-en-ciel et le slogan « Ça va bien aller » ont été fort populaires au début de la pandémie.

Photo : Radio-Canada

« Le monde ne sera plus jamais le même », a-t-on souvent entendu dire pendant la pandémie. Mais, selon 50 chercheurs québécois, le monde « après la crise de COVID-19 » est loin d’avoir changé.

Dans leur livre Le monde d’après. Les conséquences de la COVID-19 sur les relations internationales, publié cette semaine, ces chercheurs ont cherché à comprendre si la crise de COVID-19 a provoqué des changements profonds au niveau de la santé, de l’économie, des relations internationales et de la société.

Frédéric Mérand, professeur et directeur du Département de science politique de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche en éthique, répond à nos questions.

La pandémie a-t-elle bouleversé le monde autant qu’on le pensait?

C’est quand même énorme, ce qui s’est produit en 2020. On peut dire que c’est le premier fait social total global; c’est la première fois dans l’histoire qu’on a un phénomène qui affecte presque toutes les dimensions de la vie humaine, tous les continents, toutes les classes sociales. Personne n’a échappé à l’emprise de cette pandémie.

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Est-ce que nous sommes sortis de cette crise en meilleure posture?

Lorsqu'on a commencé à écrire en avril 2020, chez les chercheurs, il y avait plus d’optimisme.

Non, le monde d’après ne va pas mieux que le monde d’avant, si on peut résumer cela. Le bilan est globalement négatif. Je crois qu’il y a très peu de leçons qui ont été tirées à propos de la vulnérabilité de tous et de toutes.

Mais pourtant, vous écrivez que souvent les crises ont été à la source d'innovations en matière de coopération et de solidarité internationale. Mais pas pour la COVID-19. Que s’est-il passé?

On croyait que la pandémie serait une preuve que la solidarité internationale peut fonctionner. Et là, ce n’est pas du tout ce qu’on observe. Le bilan est vraiment catastrophique de ce point de vue. C’est difficile de trouver de bons exemples de coopération internationale.

On n’a pas vu beaucoup de solidarité pendant la pandémie, ni à l’intérieur des États ni à l’extérieur des États.

Si on pense à la diplomatie vaccinale, elle s’est faite sur la force des blocs : les Chinois et les États-Unis ont donné des vaccins à leurs alliés. Ce n’est pas ce qu’on appellerait de la solidarité, mais plutôt des rivalités géopolitiques.

De petits mécanismes de solidarité, comme le programme COVAX, ont été mis en place, mais c'est plutôt un constat d’échec. Ça n’a pas été un grand élan de solidarité et on ne peut pas dire que ça a laissé des traces.

En matière de relations internationales, il y a beaucoup d’accélération de tendances.

La pandémie est arrivée à un moment particulier : la fin de 40 années de pax americana, d’unipolarité américaine. L’édifice des relations internationales commençait à se fissurer. Et là, la pandémie amène tous les États à se replier sur eux-mêmes. Ce n'était pas un contexte favorable et la pandémie a contribué à cet effritement.

Par exemple, la rivalité entre la Chine et les États-Unis existait déjà, on la voyait monter depuis plusieurs années. Mais elle a pris un tournant pendant la pandémie et ça continue d’être le cas. Ces deux pays ne se sont pas encore rétablis des décisions qu’ils ont prises en 2020. Ils ont voulu gérer cette crise en la politisant et en disant que c’est la faute de l’autre.

Les pays ont voulu faire disparaître le problème de la COVID-19 au niveau national en fermant les frontières. C’était la pire chose à faire, même si c’est compréhensible. Et cette chose, on continue à la faire.

Encore en 2023, on est dans un monde qui accentue le traitement exclusivement national des problèmes, pas seulement en fermant les frontières, mais en ne coopérant pas les uns avec les autres.

Une cargaison de vaccins sur le tarmac, devant un avion à réaction.

Des mécanismes de solidarité, comme le programme COVAX qui permettait de partager des doses de vaccin contre la COVID-19, ont été mis en place pendant la pandémie. (Photo d'archives)

Photo : UNICEF

Cet effritement de la coopération internationale a-t-il un impact à d’autres niveaux?

Le meilleur exemple, c’est la coopération en matière de lutte contre les changements climatiques. Essentiellement, on a réduit nos GES en 2020 à cause des confinements. Les gens disaient à l’époque que c’est la preuve que, si on veut vraiment, on est capables de diminuer nos émissions. On avait espoir en 2020 que ça relancerait les discussions climatiques.

Mais l’agenda climatique a été tassé par la reprise économique que tout le monde voulait pour sortir de la crise de 2020 et qui s’est faite au détriment de l’environnement.

C’est une catastrophe incontestable. La solution trouvée a été de consommer, de produire, de polluer davantage. On a non seulement rattrapé toutes les émissions qu’on avait réduites, mais on a même dépassé les niveaux antérieurs. Les gens voulaient tellement passer à l’étape d’après...

On peut lire dans l’ouvrage que la pandémie a provoqué l’éclatement des convictions les plus profondes en matière de politique fiscale. Qu’est-ce que cette crise a révélé?

Le fait qu’il y a eu des dépenses publiques aussi rapides et aussi importantes, personne ne pensait que ça pouvait se faire.

Bien sûr, les dépenses ne sont pas restées au même niveau, mais ça montre une possibilité qu’on avait peut-être oubliée : que dans des moments de grandes crises, l’État peut mobiliser des ressources très considérables.

Dans les pays occidentaux, comme on n’avait pas connu de grande guerre depuis 70 ans, on avait oublié ce que fait un État : ça fait des dépenses majeures. La pandémie nous a rappelé que c’était quelque chose de possible.

Il y a eu un changement de paradigme sur ce que la politique peut faire. C’est un peu comparable aux grandes guerres. C’est une des choses où il y a eu un changement réel.

Pendant la pandémie on a aussi vu les vulnérabilités, les injustices, des choses qu’on ne voulait pas trop avoir avant. Ç’a été révélé et aggravé pendant la pandémie.

L’État a mis en place des instruments pour que personne ne soit laissé sur le carreau dans les sociétés riches, mais pas dans les sociétés pauvres. On a vu que si tu as le bon passeport, la bonne citoyenneté, si tu as une maison pour te protéger ou si tu vis dans un pays avec des politiques de protection, c’est crucial.

Les inégalités ne sont pas apparues avec la COVID, mais la discussion sur les inégalités est plus sophistiquée maintenant.

Un travailleur portant un masque inspecte du matériel.

La pandémie a été une occasion de prendre conscience de la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement, soutient Frédéric Mérand, professeur et directeur du Département de science politique de l’Université de Montréal.

Photo : Reuters / China Daily CDIC

La pandémie a-t-elle accentué la tension entre le libre-échange et le protectionnisme?

Là où le changement est devenu plus pérenne, c’est en matière de politique commerciale. Depuis les 40 dernières années, c’était le libre-échangisme qui dominait; les chaînes de valeur étaient devenues globales. On était habitués à acheter des produits dans neuf pays différents, sur trois continents.

Ça n'a pas disparu, mais il y a eu une prise de conscience sur la vulnérabilité des sociétés avec la chaîne d’approvisionnement.

Et là, on voit tous les États dans le monde qui essaient de rétablir leur souveraineté, de s’assurer qu’ils sont capables de subvenir le plus possible à leurs besoins en cas d’urgence.

Ça veut donc dire une montée du protectionnisme, le retour de la politique industrielle, soit le fait d’investir dans les industries nationales, ce qui était un tabou depuis plusieurs décennies.

Est-ce qu’il est encore possible d’améliorer le monde d’après? Ou avons-nous perdu le momentum?

Il y avait des espoirs en 2020. La plupart sont déçus au moment où on se parle.

Il y aurait pu avoir un momentum en 2022, quand les sociétés essayaient de se reconstruire, de redéfinir les relations internationales, mais ce momentum a été arrêté net par la guerre en Ukraine – qui n’a rien à voir avec la pandémie. On n'a pas eu le temps de reconstruire les relations internationales depuis la pandémie.

Cette guerre a fait en sorte que la coopération internationale en ce moment est au point mort.

Pour nous, en écrivant ce livre, ç'a été une gigantesque thérapie collective. Mais il n’y a pas eu d’exercice de réflexion au niveau national ou international. Est-ce que c’est parce que les gens n'avaient pas le temps? Ou parce que la situation des relations internationales était suffisamment dégradée pour que personne ne veuille participer à la discussion?

Pour que cette discussion ait lieu, il faut que les États-Unis et la Chine acceptent de s'asseoir et de parler ensemble. Mais les relations sont plutôt froides et ça empêche cet exercice.

Beaucoup de ces questions sont peut-être considérées par les citoyens comme des idées éloignées de ce qu’ils peuvent influencer : la réforme de la gouvernance mondiale ou de la politique monétaire et budgétaire et de la coordination entre les États.

Mais c’est quand même important de les comprendre parce que toutes ces politiques sont menées par les gouvernements qu’on a élus. On a un impact réel, même si ça peut paraître lointain.

Cette entrevue a été éditée par souci de clarté.

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