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Le cerveau endormi, quelque part entre inconscience et lucidité

Le sommeil ne nous isole pas du monde comme on l’a longtemps pensé.

Collage d'un dessin de cerveau humain dans la main d'une femme sur fond sombre.

Mieux cerner les mécanismes cérébraux et les états intermédiaires entre veille et sommeil pourrait permettre de mieux comprendre leur dérèglement. (Illustration d'archives)

Photo : iStock

Nous sommes capables, tout en dormant, d’entendre et de comprendre des mots, montrent les travaux de neuroscientifiques français de l’Institut du cerveau et du Service des pathologies du sommeil de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris publiés dans la revue Nature Neuroscience (Nouvelle fenêtre) (en anglais).

Même s’il nous paraît familier, car nous nous y abandonnons toutes les nuits, le sommeil est un phénomène très complexe, explique le neurologue Lionel Naccache de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans un communiqué.

Nos recherches nous apprennent que la veille et le sommeil ne sont pas des états stables : ils s’apparentent l’un et l’autre à une mosaïque de moments conscients… et de moments qui ne semblent pas l’être.

Une citation de Lionel Naccache, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Pour Nadia Gosselin, directrice scientifique du Centre d'études avancées en médecine du sommeil (CÉAMS) qui n’a pas participé à l’étude, ces travaux s’inscrivent dans un courant apparu dans les dernières années dans l’étude du sommeil. On se rend compte que ce n'est pas toutes les régions du cerveau qui sont aux mêmes stades en même temps pendant le sommeil, explique Nadia Gosselin, qui est également professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal.

Une région du cerveau peut être en sommeil profond, alors qu’une autre région peut être éveillée. C’est l’apparition de la notion de "sommeil local", qui veut dire que ce ne sont pas toutes les régions de notre cerveau qui dorment en même temps… Ce qui veut aussi dire qu'il y a de l'information qu'on peut traiter pendant que notre activité électroencéphalographique nous dit qu'on est endormi.

Une citation de Nadia Gosselin, CÉAMS

Le sommeil décortiqué

  • Le besoin de sommeil varie d’une personne à l’autre, mais il est généralement admis qu’une bonne nuit de sommeil est de 8 heures chez l’adulte et de 7 à 8 heures chez la personne âgée.
  • Une nuit normale est caractérisée par une succession de cycles de sommeil lent et de sommeil paradoxal. Ces périodes se répètent de 4 à 6 fois au cours d’une nuit.
  • Dans le sommeil lent, il existe trois stades de sommeil : l’endormissement ou sommeil léger, le sommeil lent et le sommeil lent profond.
  • Le sommeil paradoxal est caractérisé par l’apparition d’une activité cérébrale ressemblant à celle observée à l’éveil. Le dormeur expérimente une atonie musculaire (paralysie des muscles) ainsi que des mouvements oculaires rapides. C’est pendant ce cycle que les rêves sont souvent les plus intenses et détaillés.
Patient dormant dans une clinique médicale effectuant une polysomnographie (étude du sommeil).

Un homme dort dans une clinique du sommeil durant une polysomnographie. (Photo d'archives)

Photo : iStock

Mesurer le sommeil

Pour arriver à leur constat, les neuroscientifiques français ont fait appel à la polysomnographie, une technique qui permet non seulement de mesurer l'activité électrique dans le cerveau, mais aussi d’observer l'activité du mouvement des yeux, et l'activité musculaire au menton.

C'est à partir de ces trois variables qu'on réussit à identifier les stades du sommeil, note la professeure Gosselin.

Ce qu'on mesure dans la tête avec un encéphalogramme, c'est la somme de toute l'activité qui se passe dans le cerveau. On peut ainsi attribuer un stade de sommeil à une certaine activité.

Une citation de Nadia Gosselin, CÉAMS

La technique a ainsi permis d’observer directement la réactivité comportementale de 49 participants :

  • 22 personnes sans troubles du sommeil
  • 27 personnes narcoleptiques –c’est-à-dire victimes d’épisodes d’endormissement irrépressibles durant la journée.

Les narcoleptiques ont la particularité d’atteindre facilement et rapidement le sommeil paradoxal (le stade où surgit le rêve lucide dans lequel le dormeur est conscient qu’il est en train de rêver, alors qu’il est endormi) durant le jour, ce qui en fait de bons candidats pour étudier la conscience pendant le sommeil en conditions expérimentales.

Une femme dort pendant une polysomnographie dans un laboratoire du sommeil.

Une femme dort pendant une polysomnographie dans un laboratoire du sommeil. (Photo d'archives)

Photo : iStock / Ekaterina Toropova

Dormir sous surveillance

Les participants des deux groupes ont été invités à faire une sieste durant laquelle une voix humaine énonçait une série de vrais mots et de mots inventés. Les endormis étaient invités à réagir en souriant ou en fronçant les sourcils pour être classés dans l’une ou l’autre de ces catégories.

Cette façon d’interagir avec les participants est nouvelle, explique la professeure Gosselin. Habituellement, on demande aux gens d'appuyer sur quelque chose pendant le sommeil, puis à un moment donné ils arrêtent de répondre. On leur a plutôt demandé de répondre avec des muscles du visage. On leur a aussi demandé de faire un traitement cognitif de l'information, observe la professeure.

Durant toute la durée de l’expérience d’une heure trente minutes, les participants étaient suivis par polysomnographie.

Puis, au réveil, les participants devaient rapporter s’ils avaient, ou non, fait un rêve lucide durant leur sieste, et s’ils se souvenaient d’avoir interagi avec quelqu’un.

Des résultats clairs

Les données récoltées dans l’étude montrent clairement que les dormeurs peuvent répondre à des stimuli auditifs. La plupart des participants, qu’ils soient narcoleptiques ou non, ont réussi à répondre correctement aux stimuli verbaux tout en restant endormis, note dans un communiqué Isabelle Arnulf, l’une des auteures des travaux.

Ces événements étaient certes plus fréquents lors des épisodes de rêve lucide, caractérisés par un haut niveau de conscience, mais nous les avons observés ponctuellement dans les deux groupes, au cours de toutes les phases du sommeil.

Une citation de Isabelle Arnulf, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Les chercheurs pensent que les résultats de leur expérience laissent à penser qu’il existe des fenêtres transitoires de réactivité aux stimuli externes pendant le sommeil véritable.

Ces nouvelles connaissances pourraient éventuellement contribuer, pensent les chercheurs, à réviser la définition actuelle du sommeil, un état finalement très actif, peut-être plus conscient que nous ne l’imaginions, et ouvert au monde et aux autres.

En outre, ces travaux laissent à penser qu’il est possible de mettre au point des protocoles de communication standardisés avec les personnes endormies afin de mieux comprendre comment l’activité mentale change pendant le sommeil. Ils suggèrent aussi qu’il serait possible d’avoir accès aux processus cognitifs sur lesquels repose le sommeil normal, mais aussi plusieurs troubles du sommeil.

Les principaux troubles du sommeil

  • Environ 25 % des Canadiens éprouvent des symptômes d’insomnie;
  • Plus de 20 % des adultes d’âge moyen et près de 50 % des personnes âgées de plus de 65 ans présentent des symptômes d’apnée du sommeil;
  • De 1 à 2 % de la population générale présentent un trouble comportemental en sommeil paradoxal (coups de pied, coups de poing);
  • De 2 % à 4 % des adultes souffrent de somnambulisme;
  • De 4 à 6 % de la population affirme souffrir d’hypersomnie (sommeil prolongé ou somnolence excessive au cours de la journée);
  • Environ un humain sur 2000 souffre de narcolepsie, un trouble caractérisé par des accès subits de sommeil pendant la journée.
Une femme éveillée dans un lit.

Si 25 % des Canadiens éprouvent des symptômes d’insomnie, environ 10 % présentent des problèmes d'insomnie chronique.

Photo : iStock

Le sommeil déréglé

Mieux cerner les mécanismes cérébraux et les états intermédiaires entre veille et sommeil pourrait permettre de mieux comprendre leur dérèglement et expliquer des troubles du sommeil tels que l'insomonie et le somnambulisme.

Actuellement, pour distinguer la veille et les différents stades de sommeil, les chercheurs utilisent des indicateurs physiologiques simples et peu précis, comme des ondes cérébrales rendues visibles grâce aux électroencéphalographies.

La neuroscientifique Delphine Oudiette de l’Institut du cerveau, l’une des auteures principales des travaux, explique que ces indicateurs ne permettent pas de saisir en détail ce qui se passe dans la tête des dormeurs, puisqu’ils sont parfois en contradiction avec leur témoignage.

Nous avons besoin de mesures physiologiques plus fines qui soient alignées avec le ressenti du dormeur; ceci afin de mieux définir son niveau de vigilance.

Une citation de Delphine Oudiette, Institut du Cerveau
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Ouvrir les fenêtres

Ces travaux ont aussi permis d’établir qu’il est possible d’anticiper les moments où les dormeurs sont plus enclins à répondre aux stimuli. En effet, la mise en commun des différentes données (physiologiques, comportementales et réponses des participants à un questionnaire) a permis d’établir que l’ouverture de ces fenêtres de connexion est précédée par une accélération de l’activité cérébrale, et par certains indicateurs physiologiques associés à une activité cognitive intense.

Pour Nadia Gosselin, les auteurs des travaux auraient gagné à questionner les participants sur la qualité de leur sommeil.

On ne leur a pas demandé s’ils dormaient bien. La plupart des personnes, lorsqu’elles répondent à des questions, n’ont pas l’impression de dormir. Mais dans cette étude, on ne sait pas si elles ont eu un sommeil réparateur.

Une citation de Nadia Gosselin, CEAMS

Est-ce qu’on peut vraiment traiter de l’information et avoir un sommeil réparateur? On ne peut pas le dire avec ces travaux, résume-t-elle.

Une observation que les auteurs de l’étude voudront soulever dans de prochains travaux, puisqu’ils tenteront de déterminer si la multiplication des fenêtres de connexion est liée à la qualité du sommeil, et si elles peuvent être exploitées pour traiter des troubles du sommeil.

Des techniques de neuro-imagerie plus avancées, comme la magnétoencéphalographie et l’enregistrement intracrânien de l’activité cérébrale, nous aideront à mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui orchestrent les comportements des dormeurs.

Une citation de Delphine Oudiette, Institut du cerveau

Pour Nadia Gosselin, ces travaux vont certainement stimuler la recherche dans un domaine qui, en plus d’être lié à de nombreux troubles du sommeil, est associé à plusieurs maladies cardiaques et neurodégénératives, dont l’alzheimer.

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