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Feux et réchauffement climatique : des forêts menacées de disparaître

Dans l’Ouest canadien, les incendies de forêt, combinés à l’action du climat, compromettent désormais le retour de la végétation. Des chercheurs s'inquiètent même du sort de certaines forêts humides.

Des arbres calcinés.

À Elephant Hill, la forêt a été ravagée par le feu, qui a atteint la cime de tous les arbres, signe manifeste de son intensité.

Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

Au volant de sa fourgonnette, la chercheuse Lori Daniels remonte le chemin tortueux qui mène au sommet d’une colline près d’Elephant Hill. Nous sommes dans une région aride de la Colombie-Britannique, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Kamloops.

Ce qui frappe, une fois sur le site d’étude, ce sont les signes clairs de la violence du feu. Partout, des arbres calcinés. Ils tiennent encore debout tant bien que mal.

Le feu d’Elephant Hill a détruit près de 2000 kilomètres carrés de forêt. Il fait partie de cette nouvelle catégorie d’incendies qu’on appelle les mégafeux.

Cette forêt a brûlé en 2017. Normalement, on devrait déjà voir des arbres repousser. Mais il n’y a aucune régénération. Aucun sapin de Douglas ou pin ponderosa, deux espèces bien adaptées au passage du feu.

Une citation de Lori Daniels, écologiste forestière, Université de la Colombie-Britannique

Lori Daniels est écologiste forestière à l’Université de la Colombie-Britannique. Cela fait plus de 30 ans qu’elle étudie les forêts de la Colombie-Britannique en lien avec les incendies. La professeure soutient que ces mégafeux ont fait leur apparition au tournant des années 2000.

Une femme devant des arbres morts.

L’écologiste forestière Lori Daniels dans une forêt ravagée par les nouveaux mégafeux en Colombie-Britannique.

Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

Feux de forêt au Canada

Consulter le dossier complet

Un incendie ravage une vallée proche d'un lac.

Les experts commencent à peine à mesurer leurs conséquences sur la régénération des forêts.

Contrairement aux feux de surface auxquels ces forêts sont adaptées, les mégafeux brûlent avec une intensité hors du commun. Le feu d’Elephant Hill a même brûlé le réservoir de semences enfouies dans le sol, constate la chercheuse.

Un début de déforestation

Mais il y a plus que les incendies. Plus loin, ses étudiants ont repéré de jeunes pousses d’arbres. Des graines qui ont échappé à la furie du feu. Mais Lori Daniels a vite fait de constater les dégâts. Ces pousses ont toutes séché debout.

La chaleur et les sécheresses qui ont suivi le feu ont achevé ces repousses. En particulier, le dôme de chaleur extrême que nous avons connu en 2021, affirme Mme Daniels.

Le feu fait partie du cycle naturel des forêts. Mais, pour qu’un incendie soit bénéfique, les jeunes arbres qui se régénèrent ont besoin par la suite de printemps frais et humides pour s’enraciner.

Des écorces légèrement brûlées.

Un exemple de feu de surface bénéfique aux forêts dans la région de Kamloops.

Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

Or, ces conditions propices à la régénération disparaissent peu à peu. On fait face maintenant au résultat combiné des mégafeux auquel s’ajoute maintenant l’action du climat, explique la professeure.

La déforestation en cours près d’Elephant Hill annonce peut-être ce qui pourrait se passer ailleurs.

Le réchauffement du climat change la donne

Mike Flannigan est chercheur et expert canadien du comportement des feux. Interrogé sur l’ampleur des incendies de forêt que connaît le Canada depuis quelques décennies, son constat est sans équivoque.

Des feux comme ceux que connaît l’Ouest canadien, je n’attendais pas ça avant 40 ans.

Une citation de Mike Flannigan, professeur à l'Université Thompson Rivers

Pour ce spécialiste établi en Colombie-Britannique, ces feux portent la signature claire des changements climatiques. Ils sont désormais plus dévastateurs, car les étés plus chauds et plus secs qu’auparavant pompent davantage d’humidité des forêts vers l’atmosphère, explique-t-il.

Mike Flannigan sourit devant un arbre.

Mike Flannigan est un spécialiste du comportement des feux et professeur à l'Université Thompson Rivers.

Photo : Mike Flannigan

Compte tenu des résidus forestiers qui s’accumulent au sol, les forêts deviennent alors de véritables poudrières. Le chercheur avance même que la Colombie-Britannique pourrait bien devenir dans le futur la Californie du Nord.

La saison propice aux feux ne fera qu’allonger en raison du réchauffement du climat causé par l’activité humaine , souligne-t-il.

Pour Lori Daniels, ces mégafeux agissent désormais comme des catalyseurs. Ils compromettent les successions végétales et des pans entiers de forêt pourraient ne plus repousser.

Il y a des forêts en Colombie-Britannique qui se transformeront en arbustaies ou même en prairies, fait-elle remarquer.

Des avant-postes

Ce qui se passe en Colombie-Britannique n’est pas unique. En Alberta, des chercheurs prévoient que la moitié des forêts qui poussent dans les milieux arides pourraient disparaître d’ici la fin du siècle en raison de l’effet combiné des feux et du réchauffement du climat.

Aux États-Unis, on constate déjà des problèmes dans les forêts des montagnes Rocheuses américaines.

On voit ça à plusieurs endroits. Ça se passe maintenant à grande échelle, assure Camille Stevens-Rumann, professeure en écologie à l’Université d’État du Colorado.

Cette chercheuse américaine a évalué plus de 1400 sites incendiés entre le parc national des Glaciers, au Montana, et le sud du Colorado.

Camille Stevens-Rumann assise sur un tronc d'arbre.

Camille Stevens-Rumann est professeure en écologie à l’Université d’État du Colorado.

Photo : Colorado State University / John Eisele

Ses résultats ont de quoi surprendre. Avant les années 2000, 70 % des forêts incendiées étaient en mesure de se rétablir après un incendie. Mais, pour les forêts qui ont brûlé depuis les années 2000, ce chiffre chute à moins de 50 %.

On pourrait voir une réduction de la densité et de l’étendue des forêts à ces endroits. Les forêts qui se trouvent à la limite de leur tolérance climatique seront les plus susceptibles de se transformer, estime Camille Stevens-Rumann.

Réveil brutal

On serait porté à croire que ces problèmes de régénération sont moins fréquents pour les forêts de la côte, là où poussent ces géants des forêts pluviales. Rien n’est moins sûr. Les forêts humides de la Colombie-Britannique ne sont plus immunisées contre ces mégafeux, lance Lori Daniels.

La chercheuse de l’Université de la Colombie-Britannique étudie également des sites dans ce type d'écosystème forestier. On voit apparaître de plus en plus de feux dans ces forêts. Des feux intenses qu’on ne voyait pas auparavant, soutient-elle.

Des arbres calcinés.

Le mégafeu a brûlé tous les arbres à Elephant Hill.

Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

L’été 2015 a sonné le réveil pour bon nombre de spécialistes des forêts humides. Tout a commencé à Elaho Valley, en Colombie-Britannique. Un mégafeu a éclaté dans cette région située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Squamish.

En principe, ce territoire n’aurait pas dû brûler, du moins pas avec autant d’intensité, car cette forêt est située près de la côte du Pacifique, donc plus humide. Mais tout a été rasé.

Même les géants d’Elaho, les grands sapins de Douglas, ont brûlé. Ces essences sont pourtant bien adaptées au feu avec leur épaisse écorce protectrice.

Une citation de Lori Daniels, écologiste forestière, Université de la Colombie-Britannique

Cas d’exception? Peut-être pas. Plus au sud, dans l’État américain de Washington, l’intensité du Big Hollow Fire en 2020 a aussi surpris les chercheurs. Ce feu a brûlé plus de forêts en un mois que tous les feux réunis depuis 1932.

Le hic, c’est qu’on ne s’attendait pas à un feu de cette ampleur, au cœur des forêts humides de cet État.

Une fougère humide.

La végétation dans la forêt ancienne de Lighthouse Park, située dans le Grand Vancouver.

Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

Bien sûr que les forêts humides de la côte ouest ont déjà subi le passage du feu. Mais ce qui est nouveau avec le réchauffement du climat, c’est l’intervalle entre les incendies qui semble se rapprocher, note Lori Daniels.

Or, des feux qui se succèdent plus rapidement compromettent la santé de ces écosystèmes, même les plus humides.

Des géants menacés de disparaître

Que signifient ces feux pour l’avenir de ces majestueuses forêts? Le climat de la côte ouest est-il devenu trop chaud et trop sec pour que se régénèrent ces écosystèmes millénaires?

Une femme marche dans une forêt d'arbres géants.

La chercheuse Lori Daniels craint pour la disparition des arbres gigantesques qui parsèment les forêts pluviales de la côte ouest du Canada.

Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

L'experte Lori Daniels insiste : les forêts humides continueront de se régénérer. Mais leur composition telle qu’on la connaît pourrait bien changer, d’après elle.

Si les feux se déclarent à des intervalles de plus en plus en plus rapprochés et que les sécheresses s’allongent, ces forêts ne seront plus en mesure de soutenir des arbres de 500 ou même 1000 ans d’âge, prévient-elle.

Faut-il rappeler que les semences de ces géants ont germé et pris racine il y a plusieurs siècles dans des conditions climatiques et d’humidité fort différentes d’aujourd’hui.

La vitesse à laquelle surviennent ces changements, c’est ce qui me garde éveillée la nuit. Je ne pensais pas voir ça de mon vivant, avoue la chercheuse.

Le reportage de Gilbert Bégin est diffusé à l'émission La semaine verte le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 sur ICI TÉLÉ. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 20 h.

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