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Québec recrute du personnel de la santé dans des pays « vulnérables », déplore l’OMS

Mains d'infirmière noire.

Une campagne de recrutement du Québec vise certains des 37 pays d'Afrique que l'OMS définit comme étant des endroits où la pénurie de travailleurs de la santé est grave.

Photo : Getty Images / AFP / YASUYOSHI CHIBA

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec mène une campagne de recrutement au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Togo, une pratique découragée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Frappé par une pénurie de personnel de la santé ces dernières années, le Québec s’est tourné vers l’étranger pour combler ses besoins.

Depuis 2017, Recrutement santé Québec, une filiale du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), a attiré plus de 1900 travailleurs, dont des infirmières, des préposés aux bénéficiaires et des sages-femmes, qui proviennent de 24 pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Europe.

Et ce n’est pas terminé.

Des candidats du Bénin, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Togo participeront à des entretiens à la fin du mois, dans le cadre des « Journées Québec Afrique subsaharienne », en vue de décrocher un emploi de préposé aux bénéficiaires ici.

Or, les quatre pays apparaissent sur une « liste rouge » de l’OMS depuis 2020.

La Liste de soutien et de sauvegarde du personnel de la santé, sur laquelle se trouvent 55 pays, a été élaborée pour alerter les nations occidentales et leur demander de protéger les systèmes de santé vulnérables, explique Laurence Codjia, conseillère à l’OMS pour les questions de ressources humaines.



La pénurie en personnel de la santé au Québec est relative, dit Laurence Codjia. Un pays comme le Bénin, qui est classé parmi les pays dont le système de santé est parmi les plus vulnérables, a une pénurie importante de personnel de santé.

Si l’on se fie aux données de l’OMS, le Bénin compte 2,9 infirmières pour 10 000 habitants, alors que le Québec en compte 77, d’après les statistiques de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Au Cameroun, le ratio est encore pire : 1,9 infirmière pour 10 000 habitants.

La couverture en services de santé y sera faible, prévient Laurence Codjia, elle-même originaire du Bénin. Ça veut dire qu'une bonne partie de la population n'aura pas accès à des services de santé de qualité.

Elle craint également que les risques d’épidémie augmentent et que ces endroits soient plus vulnérables aux crises environnementales.

Nous ne pouvons que faire des recommandations. Et ce que nous recommandons, c'est d'éviter les recrutements massifs, c’est-à-dire [...] des recrutements de personnel importants, alors qu'on sait que ces pays font partie des pays dont la pénurie est critique.

Une citation de Laurence Codjia, conseillère à l’OMS pour les questions de ressources humaines
Laurence Codjia, en entrevue.

Laurence Codjia, conseillère à l'OMS, est d'avis que le Québec doit investir dans la formation de travailleurs de la santé dans la province, mais aussi dans les pays où il recrute.

Photo : Radio-Canada

Cela dit, chaque professionnel a le droit de migrer, c'est son droit le plus sûr, convient Laurence Codjia.

Au Canada, au Québec, [les travailleurs de la santé] ont de meilleures conditions de travail qu'au Bénin, en tout cas au niveau des salaires, admet-elle. Donc, forcément, ils seront attirés par les offres qui seront faites au Québec.

Au minimum, l’OMS souhaite que les États qui recrutent dans ces pays leur donnent quelque chose en retour.

Assurez-vous que vous les aidiez à renforcer leur système de santé, implore Mme Codjia. Il faudrait aider à la formation de nouveaux personnels, mais également aider ces pays à améliorer les conditions de travail [...] pour pouvoir faciliter le recrutement.

Plusieurs États ont d’ailleurs adopté le Code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnels de santé, qui prévoit un appui renforcé aux pays en pénurie de professionnels de la santé.

Québec dit pratiquer un recrutement éthique

Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) du Québec, qui est aussi responsable de la mission en Afrique subsaharienne, assure que celle-ci se déroule dans le respect du marché de l’emploi local.

Il n’y a pas d’entente signée pour le moment, mais le MIFI travaille avec les pays visés afin de formaliser ces partenariats, écrit Gabriel Bélanger, porte-parole du ministère, en réponse à nos questions.

La mission [...] vise essentiellement, pour le secteur de la santé, les préposés aux bénéficiaires. Cette profession a été identifiée par les partenaires des gouvernements locaux comme n’étant pas à risque.

Une citation de Gabriel Bélanger, porte-parole du MIFI

N’empêche, des infirmières, par exemple, y ont été recrutées ces dernières années.

Le phénomène de recrutement international s’est d’ailleurs accéléré durant la pandémie de COVID-19. L’agence sanitaire des Nations unies prédit une pénurie estimée à 18 millions de travailleurs de la santé dans le monde d’ici 2030, principalement dans les pays à faible revenu, où les travailleurs sont attirés par des postes qui sont mieux rémunérés ailleurs.

D’autres appels à réduire le recrutement à l'étranger ont déjà été lancés, notamment à l’occasion du congrès international des infirmières, qui s’est tenu à Montréal cet été. Nous devrions être en mesure de répondre aux besoins dans nos propres pays, avait déclaré la première vice-présidente du Conseil international des infirmières (CII), Lisa Little.

Le président de l’OIIQ, Luc Mathieu, est d’accord. On a plus de 83 000 infirmières, on n'en a jamais eu autant, rappelle-t-il. Déjà, on en a plus qu’ailleurs au Canada.

Il en manque peut-être un peu, mais l’enjeu principal, c’est comment on utilise les infirmières dans le réseau, croit-il.

Le recrutement dans des pays dépourvus de personnel soulève des questions éthiques, selon M. Mathieu.

Oui on est préoccupé, insiste-t-il. Qu'une infirmière ou un infirmier vienne individuellement, fasse une démarche d'immigration et tout ça, pas de problème avec ça. Mais que nous, au Québec, on fasse des démarches dans des pays où ils sont déjà en plus grande pénurie que nous, pour les amener ici, ça, nous, à l'Ordre, on a un problème avec ça.

Environ 10 % des membres de l’OIIQ ont été formés à l’extérieur du Québec.

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