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Pandémie : sans enquête indépendante, le Canada est condamné à répéter ses erreurs

Un cadavre est évacué du CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval.

Des milliers d'aînés vivant dans des résidences de soins de longue durée sont morts de la COVID-19 au Canada.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Malgré les 53 000 décès causés par la COVID-19, le Canada n'a pas l'intention de mener une enquête indépendante et publique sur la réponse pandémique. Il s'agit d'une énorme erreur, estiment des experts de 13 établissements canadiens dans une série d’articles publiés lundi dans le British Medical Journal (Nouvelle fenêtre).

Après trois ans de pandémie, quelle a été la performance du Canada dans sa lutte contre la COVID-19? Combien de vies ont été perdues à cause de systèmes de santé dysfonctionnels? Quelles interventions ont fonctionné et lesquelles ont échoué? Le Canada est-il mieux préparé pour une prochaine urgence sanitaire?

Sans enquête indépendante, impossible de le dire avec certitude, estiment ces experts dans cette analyse critique. C’est une erreur. Il y a des leçons à tirer de la réponse du Canada à la COVID-19.

C'est l’occasion de réfléchir avec humilité à ce que nous avons fait. [...] Nous devons définitivement célébrer les bonnes actions et les garder en tête pour l'avenir, mais il faut aussi comprendre ce qu’on doit mieux faire la prochaine fois, dit Sharon Straus, gériatre et épidémiologiste clinique du Département de médecine de l'Université de Toronto, et coautrice de l'analyse.

Si le Canada n’a pas, pour l’instant, l’intention de tenir une enquête indépendante, le pays l’avait pourtant fait lors de la pandémie de SRAS-CoV-1 en 2003, tiennent à rappeler les auteurs.

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Des experts indépendants avaient alors durement critiqué les diverses instances de santé au Canada. Ils avaient notamment évoqué des relations dysfonctionnelles entre les autorités sanitaires et un manque de partage de données épidémiologiques.

Ces critiques ont mené à des réformes et à la création de l’Agence de la santé publique du Canada. Ces actions auraient dû permettre au Canada de bien réagir à la pandémie de COVID-19, écrivent les auteurs.

Mais les recommandations ont été ignorées et continuent de l’être, déplorent les auteurs.

Si nous avions une autre pandémie demain matin, ce serait vraiment le jour de la marmotte…

Une citation de Dr Samir Sinha

Nous avons beaucoup appris, ajoute le Dr Sinha, directeur du Département de gériatrie à Mount Sinai à Toronto. Nous savons ce que nous devons faire. Mais pourquoi n'y a-t-il pas de volonté politique de ne pas reproduire ces mêmes tragédies? Lorsqu’on n’apprend pas de ses erreurs, on est condamné à les répéter.

Si la Dre Straus souhaite que le gouvernement tienne une enquête publique, elle ne veut pas des rapports qui soient relégués aux oubliettes. Nous voulons qu’une enquête mène à l’adoption d’une approche pancanadienne de la santé, avec des normes nationales. Cela va nécessiter des changements majeurs.

Les autorités fédérales ont indiqué à CBC que le gouvernement était déterminé à réviser la réponse à la pandémie de COVID-19 pour en tirer de leçons qui guideront toute réponse à une future urgence sanitaire.

Pas de stratégie commune

La pandémie de COVID-19 a surtout exposé à quel point le système de santé au Canada est fragmenté et désorganisé, écrivent les auteurs.

Les autorités provinciales et fédérales ont trop souvent pris des décisions contradictoires et relayé des conseils incohérents.

Bien que l’Agence de la santé publique du Canada ait fourni des directives nationales sur plusieurs éléments, comme le port du masque ou la vaccination, l’agence n'a pas le pouvoir d'ordonner aux provinces et aux territoires de les mettre en œuvre.

Ainsi, chaque province ou territoire a élaboré ses propres interventions, interdictions et plans de vaccination, ce qui a semé la confusion auprès du public. Il était ainsi difficile pour les autorités d’expliquer la logique de leurs décisions. Ces incohérences ont contribué à la perte de confiance et à la méfiance du public [envers les autorités sanitaires] au fil du temps, peut-on lire dans l'analyse.

Outre cette désorganisation au niveau national, les auteurs critiquent vigoureusement l’accès inadéquat aux données. Au début de la pandémie, l’Agence de la santé du Canada n’avait pas signé d’accord avec toutes les provinces et territoires pour la collecte et le partage des données. De plus, chaque province utilisait ses propres chercheurs pour mener, chacun de son côté, des synthèse de connaissances.

Les auteurs estiment par ailleurs que la mise en œuvre des interventions est devenue trop politisée.

Sans enquête indépendante et sans réformes du système de santé, il sera difficile de rétablir la confiance du public et cette désorganisation se maintiendra, estiment-ils.

Theresa Tam.

La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, et son adjoint, le Dr Howard Njoo, lors de la conférence de presse du 11 décembre 2020

Photo : La Presse canadienne / David Kawai

Une réponse inéquitable

Malgré un système de santé universel, de nombreux Canadiens de communautés marginalisées (communautés ethniques, migrants, travailleurs essentiels) ont été frappés très durement.

Les auteurs précisent qu'en règle générale, les personnes vulnérables sur le plan socioéconomique ont connu un taux de décès de COVID-19 deux à quatre fois plus élevé.

Les personnes habitant et travaillant dans les résidences de soins de longue durée ont également été parmi les plus touchées.

Les résidents de centres de soin de longue durée représentaient 3 % des cas de COVID-19 au Canada en 2021, mais représentaient environ 43 % des décès.

En fait, le nombre de décès dans les résidences pour aînés est une honte nationale, selon ces experts, qui ajoutent que de nombreux rapports avaient soulevé de grandes lacunes dans ces établissements bien avant la pandémie.

Le partage de vaccins aurait sauvé des vies

Deux hommes transportent des boîtes de doses de vaccins à bord d'un véhicule sur le tarmac de l'aéroport d'Accra.

La première cargaison de vaccins contre la COVID-19 du programme COVAX est arrivée à l'aéroport d'Accra, au Ghana, le 24 février 2021.

Photo : AFP / Nipah Dennis

Sur le plan international, les experts affirment que le Canada a contribué au haut taux de mortalité en ne partageant pas les vaccins.

Les experts estiment qu’un million de vies auraient pu être sauvées à travers le monde si les pays riches, comme le Canada, avaient mieux partagé les vaccins contre la COVID-19.

Le comportement du Canada a été répréhensible, affirment les auteurs. Malgré les promesses d’Ottawa de faire preuve de solidarité mondiale, le Canada a gaspillé et jeté des millions de doses du vaccin.

Ils rappellent qu’en décembre 2020, Ottawa avait acheté 429 millions de doses du vaccin, soit assez pour fournir 11 doses à chaque Canadien. Les auteurs soulignent qu’à ce moment, l’incertitude régnait encore quant au nombre de doses qui seraient nécessaires.

Mais rapidement, il est devenu manifeste que le Canada s’était procuré beaucoup trop de doses. À la fin de 2022, le Canada avait administré à ses habitants environ 96 millions de doses. Moins de 29 millions de doses ont été envoyées dans des pays moins nantis, dont 17 millions de doses du vaccin AstraZeneca, un vaccin qui n’était plus recommandé par les autorités canadiennes.

Et même si Ottawa a offert, en surplus, des millions de dollars en aide aux pays pour acheter des vaccins, ces pays n’ont jamais pu en acheter parce que trop de pays, comme le Canada, avaient monopolisé le marché.

Avec 83 % de la population qui a reçu au moins une dose, le Canada est l’un des pays qui comportent le plus de personnes vaccinées à l'échelle mondiale.

Une réflexion mondiale

Plusieurs pays ont lancé des enquêtes indépendantes sur la réponse pandémique du gouvernement, dont le Royaume-Uni.

Déjà, l’enquête révèle que ce pays s'était préparé à une pandémie de grippe, mais pas à d’autres virus, et qu'il n’avait pas pris en compte l’expérience de pays asiatiques. De plus, les autorités n’avaient jamais envisagé d'avoir à imposer et à gérer un confinement en cas de pandémie ou d'urgence sanitaire. Enfin, le système de santé avait été considérablement affaibli par des compressions budgétaires au cours des dernières années.

Pour sa part, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est en train de négocier un accord international sur la prévention et la préparation des pandémies.

Nous avons besoin d'un engagement générationnel pour ne pas se retrouver dans une nouvelle phase de panique et de négligence, a récemment déclaré le président de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

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