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Choisir l’agriculture, pour le meilleur et pour le pire

Un jeune homme se tient debout dans une serre avec un bac remplit de tomates.

Antoine Trudeau s'est lancée dans l'agriculture maraîchère en 2021.

Photo : Lynda Paradis

Fin juin, il pleut à boire debout. Antoine Trudeau est penché au-dessus de ses laitues dans un champ détrempé. Ses canards cancanent dans leur enclos pas très loin. Des clients viennent de partir : ils étaient venus chercher leur panier de légumes frais.

Il y a deux ans, Antoine a lancé la ferme La Bricole à Saint-Fulgence, où il produit et vend des légumes et de la viande de canard. Il participe à sa façon à une petite révolution par le potager.

C’est d’abord une révolution dans son monde à lui. Le jeune homme de 26 ans avait plutôt étudié en postproduction dans le programme d'art et technologie des médias au Cégep de Jonquière et se destinait à une carrière dans ce domaine. Mais ce qui collait vraiment à ses valeurs, c’est l’agriculture de proximité. Avoir les mains dans le jardin pour nourrir les clients de légumes savoureux.

Il n’est pas le seul à choisir la terre, coûte que coûte. Sur les routes régionales, les kiosques fermiers se multiplient. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’organisme Zone boréale recense 20 entreprises qui offrent des paniers de légumes. De ce nombre, au moins six sont nées dans les cinq dernières années. 

Un plan large d'une serre en bois, avec un homme qui y entre. Une voiture bleue est stationnée à côté.

Le petit lopin de terre où se trouve la ferme était laissé à l'abandon depuis 50 ans.

Photo : Lynda Paradis

Dans ce cas, acheter local n’est pas anodin. Chaque tomate, chaque botte de radis, chaque branche de kale achetés localement fait une énorme différence dans la vie de ceux qui travaillent d’arrache-pied pour se battre contre les grands épiciers et ainsi transformer la façon dont on s’alimente.

Je sais pourquoi je le fais

En deux ans, Antoine Trudeau a défriché son petit lopin de terre à Saint-Fulgence. L’espace était laissé à l’abandon depuis 50 ans. Il a bâti une serre, un enclos pour un cochon et un autre pour les canards. Son compagnon Franco le suit partout et zigzag dans le champ. Il se plaît lui aussi dans sa nouvelle vie de chien campagnard.

Un chien couché par terre dans une serre remplie de tomates.

Franco suit son maitre toute la journée dans les champs ou dans la serre.

Photo : Lynda Paradis

À coup de 12 heures de travail par jour, Antoine bricole son projet de vie.

Je sais pourquoi je le fais. Je suis encore dans un mode où je suis vraiment prêt à faire tous les efforts et faire tous les sacrifices pour que ça fonctionne , affirme-t-il de sa voix douce, mais convaincue.

Le nouveau maraîcher fait pratiquement tout, tout seul. Sa conjointe l’aide quand son emploi le lui permet. Les chapeaux sont multiples, la plupart du temps il faut apprendre à tâtons.

Je n’ai pas de formation en comptabilité, je n’ai pas de formation en administration. J’apprends de mes erreurs et il y a des erreurs qui sont plus coûteuses que d’autres.

Une citation de Antoine Trudeau, propriétaire de la ferme La Bricole

Sa centaine de canards compte sur lui pour être nourrie, alors il se lève, coûte que coûte. Il a eu le cœur brisé lorsqu’il a perdu plusieurs canards en raison d’une mangeoire trop haute, suivi d’une bactérie ravageuse. Le temps de trouver le problème et d’administrer la médication, déjà 40 % de sa production était morte. 

Un homme tient un panier et nourrit des canards dans un enclos.

En mai, Antoine Trudeau a perdu 40 % de sa production de canards.

Photo : Lynda Paradis

Une vie à la merci des saisons

Antoine a l’air calme, en surface. En dedans, ça bouillonne d’idées. Même en plein cœur de l’hiver, il planifie ses semis, lance les inscriptions pour les paniers de légumes, pense à la construction de son nouveau kiosque libre-service.

Au printemps, en avril, la serre commence à être remplie de plants de tomates bien installés au chaud. Les pousses de poireaux et d’oignons ont déjà besoin d’être taillées. En mai, il doit jongler avec les épisodes de gel. 

En juin, il ouvre grand les portes de la serre et commence à planter. S’en suivent le désherbage, les récoltes et finalement, la rencontre avec les clients. La consécration d’une agriculture soutenue par la communauté. 

Un jeune homme vide un bac de légumes sur un comptoir dans la cuisine d'une entreprise.

Les légumes sont directement livrés chez des entreprises, comme ici, chez DSA à Chicoutimi.

Photo : Lynda Paradis

Les clients peuvent venir chercher leur panier à Saint-Fulgence, mais la livraison est aussi offerte. À bord de sa vieille camionnette, le jeune maraîcher sillonne les arrondissements de Saguenay.

La charge financière pèse lourd et la rentabilité se fait attendre. Antoine préfère se tenir occupé, car sinon, c’est le petit hamster qui se met à tourner, explique-t-il. 

À plusieurs moments j’ai déjà remis plusieurs affaires en question par rapport à mes choix, pas en me disant que j’avais le goût d’arrêter, mais en disant : c’était quoi l’idée ?

Une citation de Antoine Trudeau, propriétaire de la ferme La Bricole

Les clients ne s’en rendent pas compte lorsqu’ils achètent leur panier sous le soleil chaud de juillet, mais les producteurs ont toute une série de casse-tête qui se mêlent à mille remises en question. 

Antoine commence sa carrière. D’autres sont passés par là avant lui. C’est le cas de Gilles Arsenault de la ferme Les jardins de la montagne à Petit-Saguenay.

Les légumes, 25 ans plus tard

Gilles Arsenault est clair. C’est un mode de vie difficile.

Lui et sa conjointe Anne Gaudreault ont lancé Les jardins de la montagne il y a 25 ans. On se pose souvent la question si on continue ou non. Mais chaque printemps, on n'est pas capables de ne pas s’émouvoir des pousses qui sortent de la terre , raconte-t-il d’une voix sincère.

Le coupe marche entre les rangées de légumes en tenant des bacs remplis de haricots.

Gilles Arsenault et Anne Gaudreault ont démarré leur entreprise agricole il y a 25 ans.

Photo : Gracieuseté

Tout comme Antoine Trudeau, leur trajectoire de vie a été détournée par l’agriculture. Une terre héritée est venue tout changer. Ils sont tombés en amour avec le champ et l’émerveillement se poursuit depuis.

Chaque saison, on retombe en enfance, c’est magique.

Une citation de Gilles Arsenault, copropriétaire des Jardins de la montagne

Ils ont eux aussi appris à porter tous les chapeaux au fur et à mesure. À travers la production, il y a eu, entre autres, les cours de soudure, les ateliers de mécanique, l’apprentissage des rudiments de la plomberie, mais la famille et la vie qui suivent leur cours aussi. 

Dans le récit d’Antoine, Gilles retrouve un peu du sien, même si le domaine a changé au cours des 25 dernières années. L’agriculture biologique était à peine connue du public. Le changement de mentalité s’opérait en éduquant une personne à la fois. 

Je ne veux pas faire mon vieux qui dit que c’était plus dur dans son temps, mais c’est vrai que c’est plus facile maintenant , souligne Gilles en riant. Il est d’avis qu’avec Internet, il est plus facile de rejoindre les consommateurs. Les gens sont plus conscientisés à l’importance de l’achat local, selon lui. 

Une main qui tient une tomate.

Les tomates sont les légumes les plus vendeurs à la ferme La Bricole.

Photo : Lynda Paradis

En concurrence avec la planète entière

Selon Gilles Arseneault, le principal défi des agriculteurs d’ici reste la concurrence des grands marchés américains ou chiliens, par exemple. Avec l’inflation galopante, les gens réduisent leur dépense en alimentation. Les petits producteurs en pâtissent souvent, selon lui. 

Les paniers de légumes, souvent achetés sous forme de part de récolte, sauvent la mise et permettent aux maraîchers d’avoir un revenu plus sûr. 

Gilles, comme Antoine, pense que le circuit court permet aux acheteurs d’être plus conscients de la charge de travail des agriculteurs, de leurs hauts, de leurs bas, de leur vulnérabilité envers la nature et surtout, de leur ténacité.

Mais si tu penses faire ça pour l’argent, tu te trompes , lance Gilles Arsenault, alors qu’il a la tête dans les papiers de comptabilité. 

Antoine Trudeau réfléchit de la même manière. Il faut une tête de cochon, être un peu révolutionnaire, sinon personne ne s’arracherait les mains comme ça pour rien , se moque-t-il, en plantant ses tomates.

Et chacun sur leur petite parcelle de champ bordée par le Saguenay, les deux producteurs révolutionnaires replongent les mains dans la terre. L’un retombe amoureux et l'autre découvre à peine toute la beauté qu’elle a à lui offrir.

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