•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Resserrer encore les mesures pour éviter un autre Lac-Mégantic

La voie ferrée devant l'église.

La voie ferrée au centre-ville de Lac-Mégantic

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

La Presse canadienne

L'actuelle présidente du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) se souvient encore très bien des visages des proches des victimes de Lac-Mégantic, en août 2014, alors qu'elle tentait de leur expliquer les causes de cette catastrophe ferroviaire, un an après.

Vous pouvez imaginer le chagrin, le choc, la colère, toutes les émotions, se rappelle Kathy Fox. Ce fut une dure journée.

La grande patronne du BST était dans l'auditorium de l'école pour rendre public le rapport de l'agence fédérale sur la tragédie -- et sur les failles systémiques qui ont permis à un train transportant 72 wagons-citernes remplis de pétrole brut, laissé sans surveillance, de dérailler à plus de 100 km/h puis de s'enflammer au cœur de la petite ville des Cantons-de-l'Est, le 6 juillet 2013 -- il y a dix ans cette semaine.

Quarante-sept personnes ont été tuées dans le brasier infernal, ce qui constitue le pire accident ferroviaire de l'histoire moderne du Canada.

L'incendie, qui a brûlé pendant deux jours avant d'être finalement maîtrisé grâce aux efforts d'un millier de pompiers, a détruit une grande partie du centre de la ville de six milliers d'habitants.

Une multitude d'enquêtes, de procès, de rapports et de modifications réglementaires ont suivi depuis dix ans. Le gouvernement fédéral a interdit les équipages d'une seule personne dans les trains transportant des marchandises dangereuses et a établi de nouvelles normes pour rendre plus robustes aux impacts les wagons-citernes qui transportent des liquides inflammables.

Ottawa a également établi des règles plus strictes en matière de responsabilité en cas d'accident, imposé des limites de vitesse réduites dans les zones rurales et urbaines, et délégué à Transports Canada des pouvoirs d'exécution plus musclés.

Le ministère a porté le nombre d'inspecteurs de la sécurité ferroviaire à 155 en 2022, comparativement à 107 en 2013, a déclaré Nadine Ramadan, porte-parole du ministre des Transports, dans un courriel. Transports Canada a également quadruplé le nombre d'inspecteurs de marchandises dangereuses, passant de 30 à 188.

Le bilan de sécurité

Malgré de nouvelles pénalités et des règles plus strictes en matière de gestion de la sécurité, les experts affirment que le régime actuel est loin d'être suffisant pour garantir qu'une autre catastrophe soit évitée.

Ont-ils apporté les améliorations nécessaires pour empêcher un autre Mégantic? Ma réponse est non, a déclaré Bruce Campbell, professeur auxiliaire en études environnementales à l'Université York, de Toronto, et auteur de l'essai The Lac-Mégantic Rail Disaster: Public Betrayal, Justice Denied (La tragédie de Lac-Mégantic : population trahie, déni de justice).

Et les statistiques de sécurité ne brossent pas un tableau particulièrement rassurant. Les incidents comportant des mouvements imprévus ou non contrôlés d'équipement ferroviaire, comme celui qui est à l'origine de l'accident de Lac-Mégantic, ont plus que doublé de 2010 à 2019, pour atteindre 78, a déclaré Mme Fox.

Les collisions et les déraillements sur les voies principales -- qui, selon le BST, sont susceptibles d'avoir les plus graves conséquences -- ont touché trois accidents par million de trains-milles l'an dernier. C'est 25 % de plus que la moyenne sur 10 ans, a souligné la présidente du BST.

Pendant ce temps, le volume de marchandises dangereuses sur les voies a augmenté, lui, de 70 % de 2011 à 2019, selon la base de données du trafic ferroviaire du gouvernement.

Mark Fleming, expert en culture de sécurité à l'Université Saint Mary's, à Halifax, souligne une vérification de 2020 par le commissaire fédéral à l'environnement et au développement durable qui concluait qu'il y avait encore des lacunes chez Transports Canada dans la surveillance des marchandises dangereuses, malgré des progrès.

Autorégulation

Une grande partie des préoccupations actuelles se résume à la surveillance, aux normes techniques et à la taille même des trains et des marchandises dangereuses expédiées.

Après Lac-Mégantic, Transports Canada a amorcé une refonte de toute la gestion de la sécurité ferroviaire -- une forme d'autoréglementation où le gouvernement vérifie les rapports soumis par les transporteurs. Mais près d'une décennie plus tard, les entreprises n'évaluent pas toujours les risques en vue de pouvoir prendre des mesures d'atténuation des risques efficaces, a déterminé le BST l'année dernière.

Si vous laissez trop de liberté aux chemins de fer, ils prennent parfois de très mauvaises décisions -- et ils n'en sont pas pénalisés, a déclaré Ian Naish, un consultant en sécurité ferroviaire qui a été directeur des enquêtes sur les chemins de fer et les pipelines au BST de 1998 à 2009.

L'Association des chemins de fer du Canada a déclaré que les deux plus grands transporteurs du pays -- le Canadien National et le Canadien Pacifique Kansas City, deux chemins de fer de classe 1, en raison de leur taille -- affichent les meilleurs bilans de sécurité de l'Amérique du Nord.

Les "classes 1" canadiennes sont des chefs de file de l'industrie en matière de sécurité et ont une fréquence d'accidents de train inférieure à celle de leurs homologues américains, a assuré le PDG de l'association, Marc Brazeau, dans un courriel.

M. Brazeau assure que le taux d'accidents pour le fret ferroviaire et les marchandises dangereuses s'est nettement amélioré depuis dix ans.

Néanmoins, des lacunes en matière de sécurité ont joué un rôle dans la catastrophe ferroviaire près de Field, en Colombie-Britannique, en février 2019, a conclu le BST. À des températures de -28 degrés Celsius, de l'air comprimé s'est échappé du système de freinage pneumatique alors que le train était stationné sur une pente raide, ce qui a fait avancer les wagons du Canadien Pacifique après minuit avant de dévaler une montagne et de tomber d'un pont dans la rivière Kicking Horse, tuant trois employés.

Selon le professeur Campbell, le gouvernement devrait exiger des freins de stationnement automatiques et de nouvelles améliorations des systèmes de freinage, même après l'entrée en vigueur de règles plus strictes concernant l'utilisation des freins après 2013.

Ils comptent encore tellement sur les systèmes de freinage du 19e siècle. Les systèmes de freinage électropneumatiques imposeraient un coût, mais ils auraient empêché Lac-Mégantic, estime M. Campbell.

Le rythme de changement le plus lent a sans doute été autour de la signalisation ferroviaire.

Si un membre d'équipage manque un signal, nous n'avons toujours pas de système de contrôle automatisé des trains au Canada qui ralentira ou arrêtera ce train, a déploré Mme Fox, notant que les États-Unis avaient mis en place une forme de système en 2020. Transports Canada s'est engagé à mettre en œuvre quelque chose de similaire, mais d'ici 2030.

D'autres facteurs

Autre préoccupation : la longueur croissante des convois, qui peuvent faire plus de quatre kilomètres de long, avec des centaines de wagons, pour un poids total de plus de 25 000 tonnes.

Les déraillements de trains plus longs et plus lourds signifient un bien pire carambolage, a déclaré le consultant en sécurité ferroviaire Naish.

La fatigue des employés demeure aussi un problème, même après l'entrée en vigueur de nouvelles règles, le 25 mai, qui plafonnent la durée maximale des quarts de travail des travailleurs du fret à 12 heures -- contre 16 -- tout en augmentant la période de repos minimale entre les quarts de travail à 10 heures à la maison et 12 heures à l'extérieur de la maison, par rapport aux 6 heures et 8 heures précédentes, respectivement.

Mais les règles sont de peu d'utilité si elles ne sont pas respectées, note M. Naish. Le 6 juin dernier, un juge de la Cour fédérale a déclaré le Canadien Pacifique (CPKC) coupable d'outrage au tribunal parce que des employés avaient travaillé des heures excessivement longues en 2018 et 2019. CPKC a indiqué qu'elle ferait appel de ce jugement.

Transports Canada, qui est l'organisme de réglementation, devrait mordre un peu plus, estime M. Naish. Ils sont juste un peu trop gentils avec les chemins de fer.

Les risques d'accident, de déversements et d'autres incidents demeurent alarmants, a-t-il poursuivi. Le 15 avril dernier, un train de marchandises du Canadien Pacifique a déraillé en raison d'un emportement de voie dans la campagne du Maine. Il a déversé du carburant diesel et quatre wagons de bois ont pris feu, à environ 90 km à l'est de Lac-Mégantic, sur la même ligne.

Kathy Fox, qui a assumé la présidence du BST en 2014 -- deux jours après la séance d'information à des centaines de personnes en deuil, y compris certains des 27 enfants orphelins -- garde sur son bureau un rappel constant de la nécessité de continuer à améliorer la sécurité.

Il s'agit d'une photographie d'une rue de Lac-Mégantic avant la tragédie. On y voit le Musi-Café, où 30 des victimes ont été tuées dans une gigantesque explosion vers 1 h 15. Au loin, l'église Sainte-Agnès.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre ICI Estrie

Une fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité régionale.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre d’ICI Estrie.