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La crainte d’un autre « Lac-Mégantic » en Utah

Un homme, Darrell Fordham, se tient debout derrière deux grandes pancartes.

Darrell Fordham fait partie des opposants au projet de train pétrolier de l'Utah.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Presque dix ans plus tard, le tragique souvenir de Lac-Mégantic hante des résidents de l’Utah, dont la région est devenue la cible d’un projet de chemin de fer qui servirait à transporter des milliards de barils de pétrole brut en pleine nature.

À une quarantaine de minutes au sud-est de Salt Lake City, sur les bords du lac Utah, Darrell Fordham peaufine la gravure d’une pierre tombale. Alors qu’il œuvre au sein de cette entreprise familiale basée à Orem, il aime songer au prochain séjour dans son chalet qu’il a construit à 125 kilomètres plus à l’est, en pleine nature, sur un terrain de 4 hectares. C’est son refuge, pour lui et sa famille, loin des tumultes de la vie, en plein milieu du bassin Uinta.

Pour se rendre dans son petit coin de paradis, il faut un véhicule tout terrain pour traverser une partie de ce canyon. Après la construction de son chalet, il a malheureusement appris l’existence d’un projet de chemin de fer pour transporter du pétrole brut.

La première chose qui m'est venue à l'esprit a été le choc; nous n'arrivions pas à croire qu'ils puissent même envisager de faire passer une voie ferrée dans ce canyon si escarpé, si accidenté.

Un train de marchandises près des raffineries de Salt Lake City.

En Utah, la tragédie de Lac-Mégantic rappelle de mauvais souvenirs et nourrit l'opposition au projet de train pétrolier dans le bassin Uinta.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Lac-Mégantic, dix ans plus tard

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Une famille à vélo dans une rue de Lac-Mégantic.

Non loin de son chalet sera construite une ligne ferroviaire longue de 160 kilomètres, où passeraient chaque jour des trains remplis de pétrole brut cireux en direction de l’État voisin, le Colorado, et des raffineries de la Louisiane et du Texas.

Il s’agit d’un projet proposé par un partenariat public-privé entre Rio Grande Pacific, Drexel et la Seven County Infrastructure Coalition. Selon les promoteurs, le chemin de fer favoriserait l’extraction de pétrole du bassin Uinta et pourrait quadrupler la production de la région. Ainsi, chaque année, plus de 4 milliards de barils de pétrole seraient acheminés par ce train.

Un mégaprojet

Dans le décor grandiose et vierge de l’Utah seraient aussi creusés des tunnels afin d’envoyer le pétrole à travers les montagnes du Colorado. Mais puisqu’il y a déjà des raffineries à Salt Lake City, pourquoi envoyer ce pétrole brut ailleurs? L'environnementaliste Deeda Seed, cheffe de campagne pour le Center for Biological Diversity, connaît la réponse.

Nous sommes dans une zone de non-conformité pour la qualité de l'air au niveau fédéral. Et pour cette raison, ces raffineries ne peuvent recevoir qu’une quantité limitée de pétrole.

Ainsi, le quota de 90 000 barils par jour à Salt Lake City est déjà atteint. D’où la solution des promoteurs de construire le fameux train pétrolier.

Raffineries de pétrole brut de Salt Lake City

Les raffineries de Salt Lake City ont atteint leurs capacités maximales de traitement du pétrole brut

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Le genre de projet qui fait frémir dans le bassin Uinta, surtout avec la multiplication des déraillements de trains de marchandises dangereuses. L’exemple d'East Palestine, en Ohio, qui a causé l’émoi avec un incendie créant d’énormes fumées noires dans le voisinage il y a quelques mois, reste en mémoire.

Mais dans le cas de l’Utah, c’est surtout le souvenir, il y a presque dix ans, de l’horrible tragédie de Lac-Mégantic.

C'est l'une des premières choses sur lesquelles nous nous sommes penchés pour savoir ce qui s'était passé à cet endroit, car nous craignions un déraillement. C'est une véritable prise de conscience de ce que les trains pétroliers peuvent causer.

Une citation de Deeda Seeds, cheffe de campagne pour le Center for Biological Diversity
L'incendie meurtrier du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic.

Les opposants au projet en Utah prennent l'exemple de la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic comme une véritable prise de conscience du danger des trains pétroliers.

Photo : afp via getty images / AFP

Darrell Fordham, lui, est terrifié à l’idée d’une catastrophe comme Lac-Mégantic, car il n'y a pas de services publics et peu de réception cellulaire dans la région. L’absence de système d’alerte en pleine nuit, par exemple, serait dramatique en cas d’urgence.

Des poursuites en cour

Quand ils ont eu vent du projet de train pétrolier, des élus du Colorado sont montés au créneau pour en contester le tracé. Michael Bennett, sénateur de l’État, et son collègue, le représentant Joe Neguse, ont tiré la sonnette d’alarme face au risque de déversement toxique dans la rivière Colorado, un cours d'eau majeur qui approvisionne 40 millions d'Américains dans plusieurs États.

Montagnes de l'Utah.

Ces montagnes de l'Utah seraient traversées par une ligne ferroviaire pour acheminer du pétrole brut cireux vers le Colorado et les raffineries du Texas et de la Louisiane

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Une plainte a été déposée devant les tribunaux, arguant que les autorités fédérales n’ont pas fait leur travail face au projet.

Matt Scherr, commissaire du comté Eagle du Colorado, estime que la Commission américaine du transport de surface a considéré que la ligne ferroviaire existait déjà et qu'il ne lui incombait donc pas de prendre en compte les incidences sur l'environnement susceptibles de se produire sur la ligne existante.

Mais nous n'étions pas d'accord avec cette position, dit-il, et nous avons exposé nos inquiétudes devant les tribunaux. L'audience a eu lieu il y a quelques semaines dans une cour du District de Columbia, et Matt Scherr ne sait pas quand le juge rendra sa décision, mais il se dit optimiste.

De l’argent public

Ce qui fâche aussi les opposants, c’est la demande d’aide financière fédérale par les promoteurs du projet de plus de 2 milliards de subventions publiques sous la forme d'obligations d'activité privée. Une forme de financement qui permet une exonération d'impôts par le département américain des Transports.

Un train qui a déraillé en Oihio et d'où se dégagent d'épaisses fumées noires

Le déraillement à East Palestine en Ohio en février dernier ravive les craintes de déversements causés par le transport ferroviaire de marchandises dangereuses

Photo : afp via getty images / DUSTIN FRANZ

Darrell Fordham trouve que cette option d’engager de l'argent public dans un projet aussi dangereux est inacceptable, d’autant plus que les promoteurs semblent, selon lui, ne pas tenir compte des doléances et inquiétudes des résidents.

Les seules occasions qui nous sont offertes sont quelques minutes lors des réunions mensuelles du conseil d'administration de la coalition. Les lieux changent, généralement un jour ou deux avant la réunion, presque à chaque fois. Il est donc très difficile pour nous de participer.

Une coalition discrète

Deux jours avant la date prévue, le lieu d’une rencontre publique de la Seven County Infrastructure Coalition a en effet été changé et relocalisé un peu au milieu de nulle part, dans la région d’Orangeville.

Sans avoir eu de réponse à nos demandes d’entrevues, nous nous sommes rendus à la rencontre, pour y constater une assemblée plutôt discrète sans membres du public.

Une assemblée publique.

L'assemblée publique de la Seven County Infrastructure Coalition ne laisse que quelques minutes par séance pour les commentaires des opposants au projet.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Keith Heaton, le directeur général, a accepté de répondre à nos questions, notamment sur le manque de transparence dénoncé par les résidents. Nous essayons d'être transparents, mais quant aux inquiétudes qui ont été exprimées sur la nature du produit, je pense qu'il y a un certain malentendu à ce sujet. 

Il maintient que dans le cas improbable d'un déraillement, il est peu probable qu'il y ait un déversement, car il s'agit de pétrole solidifié. L'exemple que nous aimons utiliser, ce serait comme laisser tomber une boîte de bougies d'anniversaire, il suffit de les ramasser car elles ne se dispersent pas dans l'atmosphère.

Deeda Seeds devant la ville de Salt Lake City.

Deeda Seeds, porte-parole du Center for Biological Diversity, déplore le manque de transparence des protagonistes du projet de train pétrolier du bassin Uinta

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

L’analogie enrage l'environnementaliste Deeda Seeds. La probabilité qu'un accident crée suffisamment d'énergie pour un embrasement serait plus élevée, c'est-à-dire plus proche de 50 % ou plus. Ces bougies très désagréables constituent une menace pour l'environnement et la santé si elles sortent des wagons et dans l'environnement. C'est inévitable, car si nous avons appris quelque chose d'East Palestine, en Ohio, c'est que les wagons de train déraillent, se fissurent et libèrent des cargaisons dangereuses et polluantes.

Le dernier mot à Biden

Jusqu’ici, les autorisations fédérales ont été approuvées sous l'administration Biden, et nous sommes extrêmement déçus, surtout si l'on considère le programme qu'il défend auprès du public, déplore Darrell Fordham.

En attendant que les décisions aux recours devant les tribunaux soient rendues, la Maison-Blanche pourrait toujours décider de stopper le projet pour de multiples raisons, mais alors que l’élection présidentielle approche petit à petit, aucun signal n’a été donné en ce sens.

Darrell Fordham dans son atelier.

Darrell Fordham va continuer de se battre contre ce projet de train de plusieurs de milliards de dollars

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Découragé par ce qui se trame dans son petit coin de paradis, Darrell Fordham va continuer de se battre pour protéger sa propriété et celles de ses voisins dans la nature grandiose de l’Utah.

Ce qu’il espère, c’est que ce projet de train pétrolier soit mort-né. Après tout, cela fait des décennies que ce genre de projet fait son chemin, mais sans jamais avoir abouti.

Pourquoi celui-ci fonctionnerait plus que les autres? se demande-t-il. Il ne désespère pas de faire un jour une gravure spéciale sur une des pierres tombales qu'il fabrique. J’aimerais tellement graver "Repose en Paix, chemin de fer du bassin".

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