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Envoyé spécial

Le canal de Panama menacé par le climat chamboulé

Un bateau amarré à un quai

Un bateau amarré à un quai au canal de Panama.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Le Panama vit l’une des pires sécheresses du dernier siècle. De grands lacs sont en partie asséchés. L’eau manque pour bien des habitants et des agriculteurs. Même les activités du très rentable canal de Panama sont perturbées. Un avant-goût d’un monde au climat bouleversé.

C’est un chef-d'œuvre d'ingénierie plus que centenaire, la carte de visite d’un pays. Le canal de Panama, c’est 82 kilomètres de canaux et d’écluses pour relier le Pacifique à l’Atlantique.

Un lien maritime vital pour le commerce mondial, mais aussi dépendant de l’eau douce, une ressource précieuse dans un monde qui se réchauffe.

Ces temps-ci, le Panama vit sa pire sécheresse en 75 ans. Dépassées, les autorités ont déclaré l’urgence environnementale. Pour le canal, aussi, les choses sont difficiles.

C’est tout un signal d’alarme, soutient l'administratrice adjointe du canal de Panama. Ilya Espino De Marotta évoque une situation critique qui la pousse à scruter les bulletins météo chaque matin.

Je ne vois aucun nuage à l’horizon. C’est préoccupant. Nos réserves d’eau baissent, mais on ne voit pas la pluie venir, dit-elle.

Et sans pluie, c’est tout le modèle d’affaires du canal qui est en jeu.

Ilya Espino De Marotta, administratrice adjointe du canal de Panama.

Ilya Espino De Marotta, administratrice adjointe du canal de Panama

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Une impression de fin du monde

Il faut 200 millions de litres d'eau pour chacun des 30 navires qui franchissent les écluses chaque jour. Une quantité énorme d’eau, stockée dans deux immenses réservoirs.

Autant dire que la bonne marche et la rentabilité du canal dépendent des réserves d’eau douce accumulées dans deux immenses lacs artificiels.

Les habitués vous le diront : il y a beaucoup moins d’eau dans le lac Alajuela ces jours-ci. C’est l’un des deux réservoirs artificiels qui alimente le canal, avec le lac Gatún.

Le niveau d’eau a beaucoup baissé, confirme Angela, venue se baigner alors que le mercure dépasse les 30 degrés Celsius. Avant, l’eau allait jusqu'à la partie bleue là-bas.

Elle montre du doigt une structure métallique sur pilotis. Une petite station de pompage d’eau potable pour les résidents de la région. Les pattes semblent avoir au moins cinq mètres de long.

Nous voyons le climat changer sous nos yeux, affirme-t-elle.

Bien sûr, il est normal que le niveau du lac baisse durant la saison sèche. Mais cette année, l’ampleur de la sécheresse fait peur.

Ça se voit partout dans le pays : la terre est sèche, les animaux meurent de la chaleur, du manque d’eau. Ça me fait penser à la fin du monde, lance-t-elle, léger sourire au visage.

Un lac avec des pirogues.

Au village de Nueva Vigia, le lac Alajuela s'est retiré de plusieurs centaines de mètres. Les pirogues reposent sur ce qui était le fond du lac l'an dernier.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Autre illustration du phénomène un peu plus loin, au village de Nuevo Vigia. Là, les rives ont reculé de quelques centaines de mètres dans les derniers mois. Les herbes ont remplacé les algues.

Pour aller pêcher, il faut maintenant marcher de longues minutes dans ce qui était le fond du lac. Du maïs et du concombre ont été semés à côté des pirogues échouées.

Des récoltes bien incertaines, explique David. Les vers ont déjà attaqué les pousses et la chaleur n’aide pas. Si la pluie tombe, les récoltes pourraient être bonnes.

L’agriculteur ne se fait pas trop d'illusions. La terre est toujours sèche, et la saison des pluies tarde. Des conditions qui seront accentuées dans les prochains mois par le phénomène El Niño.

Les prochains mois s’annoncent difficiles pour David et sa famille, qui comptent sur les récoltes pour subsister une partie de l’année. Que va-t-on manger s’il ne pousse rien? demande-t-il.

Des robinets devenus décoratifs

Regardez le robinet. Il n’y a pas d’eau. Il n’y a pas d’eau, répète Elvia, une mère de famille habitant la banlieue de Panama. Elle ironise : Les robinets sont devenus décoratifs!

De gros contenants de plastique bleu et blanc se sont aussi ajoutés au décor de leur cour intérieure dans les derniers mois. Des bidons reliés par de gros tubes de plastique blanc.

Un robinet en plastique.

Un robinet désespérément sec

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

C’est dans ces contenants que sont entreposés les centaines de litres livrés par camion-citerne deux fois par mois. Dans le quartier, chaque goutte compte. Il faut tenir jusqu’à la prochaine livraison.

C’est moi qui contrôle l’eau dans la maison, révèle Elvia. Ici, on ne peut pas se laver avec un grand pot. Il faut se rincer avec un pot plus petit. Même chose pour rincer la vaisselle.

Une situation qui découle de l'élargissement de la banlieue et du fait que l’eau de la moitié des habitants du pays vient des mêmes réservoirs qui alimentent le canal.

Nous ne faisons pas partie des priorités, lâche-t-elle avec amertume. Les habitations plus récentes sont toujours connectées au réseau d’aqueduc. Et le canal continue d’utiliser des millions de litres chaque jour.

Beaucoup de gens ici viennent de la campagne avec l’espoir d’améliorer leur qualité de vie. Mais ce genre de système d’eau [les livraisons par camion], c’est pire qu’à la campagne, soutient-elle.

Un équilibre délicat

Au quotidien, les administrateurs du canal doivent tenir compte des besoins de la population. C’est écrit dans la loi. Une obligation compliquée par les bouleversements climatiques déjà observés.

L’année 2016 a été bien sèche, rappelle Ilya Espino De Marotta. 2019 a été bien sèche aussi. 2023 aussi. Les années sèches reviennent plus souvent qu’avant.

Des herbes éparses sur une terre asséchée.

Des herbes poussent dans ce qui était le fond du lac Alajuela, près de Nueva Vigia.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Une accélération qui pourrait présager d’une nouvelle réalité climatique au Panama. Celle d’un pays qui doit revoir sa relation avec l’eau douce.

C’est un équilibre délicat, explique l'administratrice adjointe du canal de Panama. On veut s’assurer qu’il y ait toujours de l’eau potable pour les résidents.

Le risque, c’est bien sûr de mettre en péril la fiabilité du canal comme voie navigable. Déjà, les administrateurs ont dû imposer des restrictions au tonnage maximum des porte-conteneurs.

Le seuil est actuellement légèrement au-dessus de ce que les responsables de l'ouvrage jugent décent, c’est-à-dire suffisant pour être rentable pour les entreprises maritimes.

On peut diminuer [le tonnage] jusqu’à un certain point. Après, on ne serait plus considéré comme une route fiable. Il faut de nouvelles sources d’eau.

Ces bouées accrochées aux rives du lac Alajuela indiquent bien jusqu'où allait l'eau avant l'actuelle période sèche.

Ces bouées accrochées aux rives du lac Alajuela indiquent bien jusqu'où allait l'eau avant l'actuelle période sèche.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Divers scénarios sont à l’étude pour préserver cet équilibre entre les besoins du commerce et ceux de la population, dont la création d’un autre réservoir d’eau douce.

Selon les options retenues, la facture pourrait dépasser 2,5 milliards de dollars canadiens. L’argent, ça ne sera pas un problème, lance-t-elle. Après tout, le canal demeure très rentable.

Ilya Espino De Marotta croit qu’il sera plus compliqué de convaincre les élus et les résidents d’agir rapidement. À moins que la crise ne réveille vraiment les esprits.

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