ArchivesLa chasse aux phoques, une pratique qui divise depuis les années 1970
Suivant les recommandations de la commission Malouf (1986), le gouvernement canadien interdit la chasse aux blanchons en 1987. Téléjournal, 4 janvier 1988.
Photo : Radio-Canada
La chasse aux phoques est un sujet qui polarise les opinions. Dans l’est du Canada, le phoque est chassé depuis plusieurs générations chez les Madelinots, les Terre-Neuviens et les Inuit. Mais depuis les années 1970, la pratique est décriée par certains groupes d’opposants. Nos archives témoignent de la façon dont la guerre d’images, menée par des groupes animalistes et quelques personnalités publiques, a réussi à mettre à mal cette industrie.
Sur la côte est canadienne, on trouve six espèces de phoques (barbu, gris, commun, du Groenland, à capuchon et annelé).
La chasse commerciale dans le golfe du Saint-Laurent se concentre principalement sur les phoques gris et les phoques du Groenland.
Le phoque est chassé pour sa fourrure, sa graisse et sa viande. Pour les Terre-Neuviens et les Madelinots, la chasse représente un pont économique entre deux saisons de pêche.
Personne n’aime dire, moi je suis au chômage. Le monde aime mieux dire, moi je fais de la pêche, moi je vais à la chasse, moi je gagne ma vie.
Durant les décennies 1950 et 1960, la chasse aux blanchons est monnaie courante, car leur pelage blanc est très recherché par l’industrie de la mode européenne. Le blanchon, c’est ainsi que l’on nomme le bébé du phoque.
En 1964, Radio-Canada diffuse le documentaire Les grands phoques de la banquise du réalisateur et chroniqueur de chasse et de pêche Serge Deyglun. Le film, qui dénonce la chasse aux blanchons, est également présenté en Europe.
On y voit des blanchons encore vivants gisant dans leur sang sur la banquise. Une image qui frappe l’imaginaire. Plus tard, le chasseur Gustave Poirier affirmera avoir été payé par le réalisateur pour commettre ce geste. Mais le mal est fait et l’image du Canada en demeurera ternie.
L’arrivée sur la banquise de groupes contestataires
Dans les années 1970, durant la saison de la chasse, de nombreux militants se rendent à Terre-Neuve et aux îles de la Madeleine, ce qui provoque plusieurs affrontements.
La chasse aux phoques est pratiquée avec un gourdin ou un hakapik. L'animal est frappé au crâne, puis saigné sur la banquise. Le contraste du sang avec la blancheur de la neige en fait une image particulièrement offensante.
Les États-Unis interdisent sur leur territoire la vente des produits du phoque dès 1972.
En 1977, l’actrice française Brigitte Bardot débarque au Canada pour dénoncer la chasse aux blanchons. Son célèbre Canadiens assassins
deviendra le cri de ralliement des mouvements de contestation.
Hebdo dimanche, 4 mars 1979
Le 4 mars 1979, Jean Jolivet présente un reportage à l’émission Hebdo dimanche. Il rend compte des conflits parfois violents entre les militants qui s’opposent à la chasse et les chasseurs de phoques.
Les organisations comme WWF, IFAW et Greenpeace mèneront année après année des campagnes pour réclamer l’arrêt de la chasse aux phoques.
En 1984, le gouvernement du Canada met en place la Commission royale sur les phoques et l’industrie de la chasse aux phoques au Canada, présidée par le juge Albert H . Malouf.
À son terme, la commission Malouf émet quelques recommandations.
Le blanchon, une image payante qui émeut
Le rapport Malouf indique que l’abattage au gourdin ou à l’hakapik est la meilleure méthode disponible pour éviter des souffrances inutiles à l’animal
. La commission recommande également l’abolition de la chasse aux blanchons.
L’abattage au gourdin des blanchons n’est pas une pratique cruelle en soi, mais en raison de l’opinion publique, il est irréaliste d’envisager la reprise de la chasse commerciale des petits du phoque.
Même si le blanchon n’est plus chassé depuis 1987 et que l’animal n’a jamais été en voie de disparition, les groupes d'opposants n’hésitent pas à continuer d’utiliser son image angélique pour dénoncer la chasse.
Le 3 mars 2006 au Téléjournal, Denis-Martin Chabot présente un reportage sur le passage de Paul McCartney et de son épouse Heather Mills sur la banquise dans le golfe du Saint-Laurent. Une excursion et un coup médiatique organisés par la Société protectrice des animaux des États-Unis.
Téléjournal, 3 mars 2006
L’agent Phil Jenkins, de Pêches et Océans Canada, a rencontré Paul McCartney et sa femme. Il déplore leur manque de connaissances au sujet de la chasse aux phoques.
Un autre marché qui se ferme
On se battait contre un lobby extrêmement puissant, celui des animalistes.
En 2009, l’Union européenne décide de fermer ses portes aux produits dérivés du phoque sur son territoire. C’est une victoire pour les opposants à la chasse aux phoques. Pas moins de 30 % de la clientèle disparaît ainsi pour les chasseurs canadiens.
Téléjournal, 5 mai 2009
Le 5 mai 2009, le journaliste Daniel Thibeault présente un reportage au Téléjournal sur cette décision qui choque les parlementaires canadiens.
En Espagne, des gens manifestent nus avec du sang sur eux. C’est le pays de la corrida. Il faut avoir de l’imagination pas à peu près pour dénoncer la chasse aux phoques.
Le gouvernement promet alors de porter la décision devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le Canada portera en appel, devant l'organe d'appel de l'OMC, toute décision qui maintiendrait cette interdiction injuste […] Le Canada maintient sa position et juge que la chasse aux phoques est pratiquée sans cruauté, qu'elle est durable et bien réglementée. Toute opinion contraire se fonde sur des mythes et est le résultat de la désinformation.
Le dernier recensement de la population de phoques du Groenland a été effectué en 2017. On y dénombrait 7,6 millions d’individus pour l’est du Canada, dont près de 2 millions dans le golfe.
C’est cinq fois plus que dans les années 1970.
Pour ce qui est du phoque gris, « le troupeau était de moins de 20 000 têtes au début des années 1960. On en compte aujourd’hui 424 000 dans l'est du Canada. »