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ChroniqueThe Dark Side of the Moon : la force d’attraction éternelle

La pochette montre un prisme reflétant la lumière blanche en faisceau arc-en-ciel sur un fond noir.

La pochette iconique de «The Dark Side of the Moon», créée par Storm Thorgerson et le groupe de création artistique Hipgnosis.

Photo : Facebook/Pink Floyd

J’entre dans le magasin de disques, et je n’ai pas fait 10 pas quand mon regard se pose sur l’album. Il est plus accrocheur pour l’œil que tous les autres réunis sur le présentoir. Tout noir, sauf pour le triangle qui rappelle les pyramides d’Égypte et au travers duquel filtre le spectre de la lumière.

Sur la pochette, pas de titre ni de nom d’artiste ou de groupe. Un commis dans la jeune vingtaine passe près de moi. En pointant le disque du doigt, je lui demande : Monsieur, c’est qui ça?

« Ça? C’est Pink Floyd. Dark Side of the Moon. »

Merci.

Puis, à moi-même : C’est qui, Pink Floyd?

Il est à peu près impensable qu’une telle conversation se reproduise en 2023. Mais en 1975, dans le magasin Discus du Carrefour Laval, un tel échange n’était pas étonnant. Après tout, je n’avais que 13 ans et pas de grand frère qui aurait pu me faire découvrir ce disque-phare de l’histoire de la musique paru le 1er mars 1973.

Euh… Au fait? Est-ce le 1er mars? Selon le magazine Rolling Stone, autorité du panthéon du rock and roll, oui. Pourtant d’autres sources, notamment celles d’ouvrages et d’expositions traitant de Pink Floyd, avancent la date du 10 mars. On serait porté naturellement à se dire qu’il s’agit de la bonne date. Une partie de la confusion tient peut-être au fait que l’album est paru en Amérique (Canada, États-Unis) deux semaines avant qu'il sorte au Royaume-Uni et en Europe. Cela dit, relativisons. Tout le monde s’entend sur le fait que The Dark Side of the Moon a atterri sur Terre en mars 1973.

Portrait en noir et blanc des quatre membres du groupe côte à côte, sur fond blanc.

(De gauche à droite) Roger Waters, Nick Mason, David Gilmour et Richard Wright, de Pink Floyd, en 1971.

Photo : Wikimedia Commons/Billboard

C’est d’entrée de jeu que le disque créé par Roger Waters, David Gilmour, Nick Mason et Richard Wright a amorcé une interminable présence sur le palmarès américain Billboard 200. L’album s’y est retrouvé sans interruption de 1973 jusqu’à l’été 1988, pas moins de 741 semaines consécutives, avant d’y revenir avec régularité. Au moment d’écrire ces lignes, on parle de 971 semaines depuis ses débuts. Au total, ça fait plus de 18 ans, et ça pourrait être encore plus à la fin de cette année…

Les ventes totales s’élèvent désormais à plus de 46 millions d’exemplaires. Lors du 40e anniversaire de sa parution, on estimait que le disque s’écoulait encore à coups de 7000 exemplaires par semaine dans le monde. C’est possiblement encore vrai de nos jours en raison des rééditions, du retour à la production massive de vinyles depuis plus d’une décennie, des coffrets anniversaires – il y en a d’ailleurs un pour le 50e – et du fait qu’une quatrième génération de mélomanes découvre le groupe et l’œuvre. Des chiffres ahurissants, toutes époques confondues.

Le travail en amont

Pour la plupart des albums de musique populaire ou nichée, qu’ils soient légendaires ou modestes, l’histoire commence avec la parution de l’œuvre, ou tout juste avant. Pas ici. En fait, les origines de la première chanson composée pour ce disque remontent au tournant des années 1960-1970.

Comme le rappelle l’excellente exposition Pink Floyd: Their Mortal Remains, qui est présentée au musée Arsenal art contemporain de Montréal jusqu’au 2 avril, la première version de Us and Them – alors intitulée The Violent Sequence – avait été rejetée pour les besoins de la trame sonore du film Zabriskie Point (1970) de Michelangelo Antonioni, portant sur la contre-culture. La première fondation sur laquelle allait reposer l’album existait donc déjà à la fin des années 1960.

David Gilmour et Roger Waters de Pink Floyd en 1972

David Gilmour et Roger Waters de Pink Floyd en 1972

Photo : Facebook/Pink Floyd

Les membres de Pink Floyd ont constamment travaillé en 1971 et 1972 en amont des séances d’enregistrement. Ils avaient même présenté l’œuvre aux médias britanniques le 17 février 1972 au théâtre Rainbow de Londres, prélude à une tournée cette même année. La première prestation intégrale du disque, qui s’intitulait à l’origine Dark Side of the Moon: A Piece For Assorted Lunatics, a été offerte au Brighton Dome, le 20 janvier 1972, soit plus d’un an avant la parution du vinyle.

Effet immédiat

Les pièces qui allaient former The Dark Side of the Moon ont donc été écrites, composées, travaillées, modifiées, réarrangées, enchaînées et jouées en public avant même la première séance d’enregistrement du 31 mai 1972. L’album a eu droit à sa touche finale en studio le 9 février 1973 au terme de nombreuses séances d’enregistrements éparpillées entre les concerts de l’année précédente. Groupe reconnu pour sa minutie, Pink Floyd n’avait vraiment rien laissé au hasard. Il ne faut donc pas s’étonner de l’effet que le disque a eu sur les jeunes de l’époque.

Dans mon entourage, on était très impressionné, se souvient André Ménard, cofondateur de Spectra et du Festival international de jazz de Montréal, qui avait 19 ans lorsque le disque a vu le jour.

On voyait que c’était un virage pop. Il n’y avait pas de toune comme Echoes qui prenait une face [de vinyle] à elle seule. Tu écoutais ça les lumières fermées. C’est encore un album de fin de soirée pour bien du monde.

Une citation de André Ménard

C’est un disque monumental! Quand tu y penses, ça a été fait à Abbey Road... Ils ont travaillé les chansons longtemps avant de les enregistrer. C’est peut-être pour ça qu’il y avait un sentiment plus achevé. Il y avait la qualité d’écriture et une aura qui entourait le band.

Un homme s'accote, les bras croisés, sur une énorme console d'enregistrement.

Nick Mason, batteur de Pink Floyd, pose devant la console utilisée pour enregistrer «The Dark Side of the Moon» aux studios Abbey Road (alors les studios EMI) en 1972 et en 1973.

Photo : The Associated Press / Matt Dunham

Incontournables chansons

Curieusement, si The Dark Side of the Moon cumule près de 20 ans de présence sur le Billboard 200, il n’aura été au sommet de ce dernier qu’une semaine en 1973, devançant Aloha From Hawaii via Satellite, d’Elvis Presley, et Billion Dollars Babies, d’Alice Cooper. Outre la qualité indiscutable de l’œuvre, comment expliquer une telle pérennité?

Au Québec, l’une des pistes de réponses a pour nom CHOM-FM. Fans finis, adeptes modérés ou détracteurs de Pink Floyd, il était absolument, j’insiste, absolument impossible d’échapper à Pink Floyd en écoutant CHOM durant les années 1970, pas plus qu’aux deux premiers extraits tirés de Dark Side of the Moon : Money et Us and Them. Je ne connaissais aucun ami francophone de mon âge qui aimait le rock et qui n’écoutait pas religieusement la station anglophone à cette époque.

On ne se trompe pas en jouant du Pink Floyd, souligne Pierre Landry, l’actuel directeur musical de la station montréalaise qui est né trois semaines avant la parution du disque.

Trois musiciens jouent sur une scène, devant un public assis.

Le seul et unique passage de Pink Floyd à Québec en novembre 1971. Photo prise par le photographe du Soleil, Jean Savard.

Photo : Éditions du Septentrion

Finalement, ce qui était bon en 1973 l’est tout autant en 2023.

On joue encore Money, Time, Us and Them et Brain Damage/Eclipse de façon régulière. Ça reste un incontournable, d’autant plus qu’à sa naissance à la fin des années 1960 et au début des années 1970, CHOM était très fort sur le rock progressif. C’est un groupe auquel on associait la station. Je n’ai pas de statistiques à ce sujet, mais d’après ce que j’ai entendu, Pink Floyd était encore plus apprécié des francophones que des anglophones, poursuit Pierre Landry.

À mon sens, Dark Side… est un disque parfait. Du premier battement de cœur au début du disque jusqu’au dernier, ça s’écoute d’un trait. C’est un voyage sonore et auditif. C’est très cérébral. C’est un des disques que j’ai le plus écoutés avec un casque d’écoute. Il y a quelques albums qui méritent une écoute attentive. Celui-là est du nombre. Oui, ça sonne comme 1973, c’est de son époque, mais ce disque a encore quelque chose de très actuel, il est très intemporel. Je pense que dans 50 ans, on va en parler avec le même émerveillement. 

Six femmes vue de dos, assises sur le bord d'une piscine, chacune avec un album de Pink Floyd peint sur le dos.

Une affiche commandée par EMI en 1997 représentant les albums de Pink Floyd, avec «The Dark Side of the Moon» sur le dos de la troisième modèle.

Photo : Site web de Pink Floyd / Tony May

Le concert du Forum

Après un premier concert à Montréal au Centre d'éducation physique et des sports de l'Université de Montréal (CEPSUM) en novembre 1971, la parution de Dark Side… est tombée à quelques jours près du concert du 12 mars 1973, cette fois, au Forum de Montréal. Les adeptes ont eu droit à la totale. 

Au Forum, c’était archivendu, ils ont joué tout l’album dans son entièreté, se souvient André Ménard. Le billet était 5 $, toutes taxes incluses, dont la taxe d’amusement, qui existait pour les spectacles et le cinéma. Ça devait être un héritage catholique du péché…

André Ménard poursuit : Après le CEPSUM, on savait que c’était un band sophistiqué. Au concert du Forum, il y avait de la fumée artificielle (fumigènes). La fumée, dans un concert, ou bien elle part dans les airs, ou bien elle reste au ras du sol. C’est ce qui s’est passé ce soir-là. Ça donnait l’impression que les gars jouaient sur un nuage. J’étais très bien placé pour voir ça, et pourtant, je n’avais pas encore de contacts dans le milieu.

Il rappelle qu’à cette époque, le public était près de la scène. Il n’y avait pas de barrières comme aujourd’hui. Je ne sais pas quelle quantité d’ammoniac il y avait dans cette fumée, mais le monde étouffait. Il y avait des spectateurs qui montaient sur la scène pour échapper à la fumée et ils étaient repoussés par les gardes de sécurité. C’était une scène dantesque, explique le cofondateur de Spectra. 

Les quatres hommes saluent la foule depuis la scène.

Pink Floyd en 2005 lors du concert «Live 8 London» au Hyde Park de Londres.

Photo : Getty Images / MJ Kim

Les personnes qui n’étaient pas nées ou trop jeunes pour vivre ce moment ont eu l’occasion de se reprendre plus de 30 ans plus tard, lorsque Waters – séparé depuis des lustres de Gilmour, Mason et Wright, hormis les retrouvailles d’un soir au festival Live 8 en 2005 – est venu en tournée individuelle en 2006. Le bassiste a joué entièrement ce disque devant une foule totalement conquise et joyeusement éméchée en raison des hectolitres de bière consommés ce soir-là. Toutes les cuves de houblon du Centre Bell ont dû être vidées.

Il y avait des gens de l’âge de Waters, alors dans la soixantaine, des quadragénaires et leurs enfants. Trois générations ont assisté à ce concert événementiel qui a tenu ses promesses. D’ailleurs, cette tradition de faire découvrir les gloires du passé à sa progéniture demeure.

« Je suis allé voir Roger Waters avec ma fille l’an dernier, note Pierre Landry. Elle avait 12 ans. Elle était hypnotisée… Impressionnée… Notamment durant toute la face B de Dark Side. »

Les quatre membres du groupe posent à l'extérieur.

Pink Floyd croqué sur le vif vers 1973

Photo : Site web de Pink Floyd / Michael Ochs Archives

La face sombre

Durant des années, surtout les années 1970, les adeptes adoraient The Dark Side of the Moon pour la qualité sonore du disque concocté par l’ingénieur de son Alan Parsons, pour l’innovation, pour la fluidité des enchaînements entre les pièces et la qualité de l’instrumentation – guitare, basse, claviers, batterie et saxophone. Bref, le monde aimait ce disque avant tout pour sa musique et pour l’effet qu’elle procurait, que l’on soit sobre ou sur l’influence de l’alcool ou d’une drogue douce.

De nos jours, il semble impossible d’en faire l’analyse ou l’historique sans mettre l’accent sur son propos.

Si le disque porte cette appellation, ce n’est pas uniquement en raison de la pochette créée par Storm Thorgerson et son groupe de création artistique Hipgnosis, qui travaillait avec Pink Floyd depuis des années. Ici, la face sombre est synonyme d’autant d’éléments clés de diverses chansons : folie, fric, violence, mort. Le désir de Waters – qui était alors dans la vingtaine – de mettre de l’avant des thèmes qui sont encore tellement d’actualité n’est certes pas étranger au succès intergénérationnel de l’œuvre. 

Une personne chante devant un micro, en tenant une guitare électrique.

Roger Waters

Photo : lemayf

« Le contenu est très pertinent, souligne Landry. Ça marque l’œuvre de Waters. Il y a la folie – il a Syd [Barrett, premier leader de Pink Floyd jusqu'en 1968] en tête –, l’argent, la corruption… C’est une espèce d’œuvre qui réfléchit sur la vie. Je pense que c’est un disque sur la vie et peut-être la mort. Les paroles, ça fait partie du charme et de la longévité. »

Longévité est ici le mot-clé. À cinq décennies bien comptées, The Dark Side of the Moon possède encore un attrait indéniable pour des millions de gens et cela sera encore le cas bien après le départ de tous ses créateurs et des adeptes de la première heure de ce disque.

Comme on le voit entre la Terre et la Lune, la force d’attraction entre cette œuvre et les mélomanes risque d’être éternelle, elle aussi.

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