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Pas d’anglais, pas de médecin pour des demandeurs d’asile envoyés en Ontario

Il n’est « pas possible » de réaliser un examen médical obligatoire pour Immigration Canada dans un centre ontarien sans parler l’anglais.

Un médecin signe une ordonnance.

Un centre médical ontarien, autorisé par Immigration Canada, demande aux demandeurs d'asile de parler anglais pour rencontrer un médecin.

Photo : Getty Images / Demaerre

« Il n’y a personne pour nous aider. » Au téléphone, Francis paraît désemparé. Son fils de quatre ans est à ses côtés et le réclame. Mais la priorité de ce demandeur d’asile d’origine haïtienne est ailleurs.

Depuis plusieurs jours, il tente d’obtenir des services en français afin de réaliser un examen médical réclamé par les services fédéraux d'immigration. En vain. Personne ne parle français, soupire-t-il.

Avec sa femme et leur enfant, Francis est arrivé au Canada par le chemin Roxham le 11 février. Trois jours plus tard, ils ont été transférés en Ontario. Francis est d’ailleurs un nom fictif. Pour ne pas nuire à sa demande d’asile, nous avons accepté de ne pas divulguer son identité.

On était à l’hôtel [à Saint-Bernard-de-Lacolle] et on m’a demandé où je souhaitais aller. J’ai répondu qu’on voulait rester à Montréal, car on parle français. Mais on m’a envoyé en Ontario, raconte-t-il.

Face à l’achalandage record au chemin Roxham et aux ressources débordées au Québec, le gouvernement fédéral a réservé près de 2400 chambres en Ontario, dans une douzaine d'hôtels de Windsor, Cornwall, Ottawa et Niagara Falls.

C’est dans cette ville, en bordure de la frontière américaine, que Francis et sa famille ont été installés. Et ils ne sont pas les seuls. En date de la mi-février, près de 3000 demandeurs d’asile y ont été déplacés.

La silhouette des gratte-ciel près des chutes du Niagara.

La ville de Niagara Falls accueille désormais plusieurs milliers de demandeurs d'asile provenant du chemin Roxham.

Photo : Radio-Canada

Pas de médecin francophone

Dès son arrivée, en suivant les recommandations fédérales, il a contacté un centre accrédité par Immigration Canada afin de réaliser l’indispensable examen médical, nécessaire pour sa demande d’asile.

Mais au bout de fil, au moment de confirmer le rendez-vous, l’employée de ce centre l’avertit : Vous ne pouvez pas parler avec le médecin. Ce dernier ne parle qu’anglais, insiste cette personne, en français, durant la conversation téléphonique, enregistrée, qui a été transmise à CBC/Radio-Canada.

Ce n’est pas possible de parler avec le médecin si vous ne pouvez pas parler l’anglais.

Une citation de Une employée d’un centre médical lié à Immigration Canada

Le médecin parle anglais, il ne parle pas le français, l’espagnol ou le créole [...] Vous aurez besoin d’une personne [avec vous], reprend-elle, en invitant Francis à chercher dans l’hôtel un éventuel traducteur parmi les autres demandeurs d’asile.

Sans cette tierce personne, il n’est pas recommandé de venir, ajoute-t-elle, en disant être désolée.

Or, dans l’hôtel, Francis assure n’avoir trouvé aucune ressource.

Je ne parle pas anglais, juste créole et français. Ici, je n’ai pas d’amis, il n’y a que des migrants qui parfois parlent espagnol, anglais ou d’autres langues, mais qui ne parlent pas français pour traduire. Et les gens ici n’ont aucune obligation de venir m’aider, souligne-t-il.

Son épouse, précise-t-il, est enceinte et craint d’être délaissée sans l’apport d’une aide médicale francophone. Elle doit se faire comprendre par les médecins, clame-t-il.

D’autres demandeurs d’asile, ne parlant pas l’anglais, seraient dans une situation similaire dans cet hôtel de Niagara Falls, selon Francis.

Des panneaux sur Roxham Road.

Des milliers de personnes arrivent chaque mois au chemin Roxham. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Romain Schué

Les francophones discriminés

Directeur francophone du Centre de santé communautaire Hamilton/Niagara (CSCHN), Bonaventure Otshudi est outré.

Le service en français, c’est un droit pour tout le monde au Canada.

Une citation de Bonaventure Otshudi, direction du CSCHN

Son organisme intervient dans de nombreux hôtels ontariens, à la demande d’Immigration Canada, pour fournir une aide en français à ces demandeurs d’asile. Cependant, avance-t-il, tous les hébergements ne bénéficient pas de tels services.

On a demandé à intervenir partout. Il faut trouver un moyen pour, au minimum, avoir des interprètes dans ces hôtels, estime-t-il. Selon lui, il y a des dizaines de francophones, provenant notamment d’Afrique et d'Haïti, qui ont été transférés à Niagara Falls sans leur consentement.

C’est vraiment inacceptable, juge quant à lui Frantz André, coordonnateur du Comité d’action des personnes sans statut, à Montréal.

Ce dernier a été contacté par des familles provenant de multiples pays, de la Turquie à Haïti, pour tenter d’obtenir de l’aide dans les démarches administratives, malgré un départ vers l’Ontario.

Qui est encore une fois discriminé et qui vit une détresse énorme? Ce sont ces gens qui veulent vivre en français.

Une citation de Frantz André, coordonnateur du Comité d’action des personnes sans statut

Montréal est débordée, c’est vrai, et le fédéral a réagi rapidement en envoyant ces personnes dans des logements disponibles. Mais, alors qu’on parle de protéger la langue française au Québec, pourquoi ne pas faire un triage à la frontière? Pourquoi envoyer ailleurs des francophones prêts à s’intégrer rapidement au Québec? C’est devenu un sujet politique et l’humanitaire a été évacué, se désole Frantz André.

Le centre en question n’a pas répondu aux demandes et appels de CBC/Radio-Canada.

Des médecins désignés

De son côté, Immigration Canada soutient que « ce client n'a pas reçu de bons renseignements ».

« [Immigration Canada] s'engage à fournir aux candidats au Canada un service dans la langue officielle de leur choix : l'anglais ou le français », indique Remi Lariviere, porte-parole du ministère.

« Plus de 150 médecins désignés » parlent le français, à travers le pays, « pour faciliter l'accès des demandeurs », assure Immigration Canada, qui dit avoir néanmoins envoyé un rappel à ce sujet.

[Immigration Canada] a communiqué récemment avec son réseau de médecins désignés pour leur rappeler que les candidats ne doivent pas être refusés s'ils ne peuvent pas communiquer dans la même langue.

Une citation de Remi Lariviere, porte-parole d'Immigration Canada

« Les demandeurs peuvent amener quelqu'un à leur examen médical d'immigration pour fournir des services de traduction si nécessaire, qu'il s'agisse d'un interprète professionnel, d'un parent ou d'une personne de confiance », souligne le ministère fédéral.

Deux hommes discutent.

François Legault a rencontré l'ambassadeur des États-Unis au Canada, David L. Cohen, le 14 février à Québec.

Photo : Twitter/USAmbCanada

Priorités différentes entre le Canada et les États-Unis

Depuis plus d’un an, le chemin Roxham bat tous les records d’achalandage. En 2022, près de 40 000 personnes ont franchi cette voie pour demander l’asile au Canada. En janvier, un nouveau cap a été atteint avec près de 4900 passages en un seul mois.

Récemment, le gouvernement Legault a multiplié les initiatives afin de réclamer un transfert massif de ces demandeurs d’asile vers d’autres provinces. « Sans égard au profil » (Nouvelle fenêtre) de ces migrants, ces derniers devraient tous être redirigés hors du Québec, a par exemple écrit François Legault à Justin Trudeau.

Fermer le chemin Roxham, c’est ce que nous voulons tous, a rétorqué le premier ministre canadien, sur un ton qui tranchait avec ses déclarations passées, où il vantait plutôt la tradition d’accueil du Canada.

Par ailleurs, Justin Trudeau a fait part de son optimisme dans le cadre des négociations avec les États-Unis pour revoir les règles à la frontière. Ces discussions durent depuis des années, a-t-il admis, tout en évoquant des progrès à ce sujet.

L’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, a cependant refusé de confirmer de telles avancées, dans une entrevue accordée à CBC. Revoir l’Entente sur les tiers pays sûrs n’est pas une priorité pour Washington, a-t-il affirmé.

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