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ChroniqueL’effet jubilatoire de Bruce Springsteen et du E Street «Big» Band

Bruce Springsteen joue de la guitare sur scène. On voit un homme à la batterie derrière lui.

Bruce Springsteen et le E Street Band se sont produits à Dallas, vendredi.

Photo : Associated Press / Chris O'Meara

DALLAS - « Merci Dallas! Ce soir, nous avions besoin de votre aide et nous l’avons eue! »

Bruce Springsteen a livré ce commentaire bien senti, vendredi soir, lors des dernières minutes du concert du E Street Band au American Airlines Center, cinquième étape de sa tournée mondiale amorcée quelques jours plus tôt.

De l’aide? Depuis quand le E Street Band a besoin d’aide? Trop âgés, Bruce et sa bande? Du tout. Mais tout le monde a compris que quelque chose clochait dès l’arrivée des membres du groupe sur scène. Comme à la petite école lors de l’appel des élèves, on dénombrait les absents.

Stevie Van Zandt : COVID! Soozie Tyrell : COVID! Patti Scialfa n’est pas là ce soir… Il nous manque des membres. On va avoir besoin de vous, mais on va quand même vous offrir le meilleur concert qui soit! a hurlé le patron. Concert qui marque les retrouvailles du E Street Band avec son public six ans après la fin de la tournée The River 2016, conclue en Océanie en février 2017.

Savoir d’où on vient

Comment ce groupe dont les membres fondateurs sont désormais septuagénaires renoue avec ses admirateurs? Avec un concert où les nouveautés sont liées au passé et où la puissance brute et fédératrice de ce E Street Band majoré fait jeu égal avec une âme soul – et même jazzistique – qui a fait honneur aux ténors de ces idiomes.

Majoré, car en plus de son noyau dur – Springsteen (voix, guitares), Gary W. Tallent (basse), Roy Bittan (piano), Max Weinberg (batterie), Nils Lofgren (voix, guitares), Jake Clemons (saxophone), Charlie Giordano (claviers) – l’ensemble était flanqué des E Street Horns (Curt Ramm (trompette), Ed Manion (saxophones), Barry Danielan (trompette) et Ozzie Melendez (trombone) de choristes (Curtis King jr., Lisa Lowell, Michelle Moore, Ada Dyer) et d’Anthony Almonte (percussions, congas, bongos, voix). Quand il n’y a pas de malades ou d’absents, on parle de 19 artistes sur scène. E Street Band? E Street Big Band, plutôt.

Et d’entrée de jeu, l’ensemble a annoncé la couleur avec No Surrender. Il ne faut pas la prendre au pied de la lettre du texte d’origine, mais plutôt dans le sens : Oui, nous avons plus de 70 ans, mais on fait encore et toujours du Rock and Roll. Aussi longtemps que les Rolling Stones? Le temps nous le dira.

Deux hommes chantent au même micro. Un porte tient une guitare et l'autre un saxophone.

Bruce Springsteen (à droite) sur scène en compagnie de Jake Clemons et du E Street Band.

Photo : Associated Press / Chris O'Meara

Enchaînement avec la nouvelle Ghosts, tirée de Letter To You (2021). Chanson qui évoque en essence la présence éternelle des disparus au sein d’un groupe. Ceux du E Street Band – le claviériste Danny Federici en 2008 et le saxophoniste Clarence Clemons en 2011 – au premier chef, mais aussi tous les autres parti.e.s ces dernières années. Une nouveauté qui a eu de l’effet avec le face-à-face guitare-saxophone entre Springsteen et Jake Clemons. Le genre d’interaction que l’on voyait entre le Boss et Clarence, l’oncle de Jake.

Coup d’accélérateur avec la fédératrice Prove It All Night dont le Ta-Ta-Ta-Ta-Taaaaa! d’entrée est toujours salué d’une forte clameur. Ce n’était pas la version étirée de 1978 avec l’intro à la guitare de cinq minutes que Springsteen avait sorti des boules à mites pour la fin de la tournée 2016 à Boston, mais une fichue de bonne version. Ce sont Tallent et Almonte qui sont venus prendre la place de Van Zandt pour l’échange vocal final. C’était un peu tout croche, mais hautement sympathique. Ce bloc de présentation s’est terminé avec la magnifique Letter To You dont la mélodie est d'une beauté absolue reposant sur un motif rock. En quatre chansons, le E Street Band a lié le passé et le présent avec brio.

Aucune désaffection aux guichets

Justement, qu’en est-il du présent après la controverse de la tarification dynamique de Ticketmaster pour les billets des 31 concerts aux États-Unis? La manœuvre totalement assumée par Springsteen a désillusionné des milliers de vieux admirateurs. Notamment ceux qui géraient le site d’amateurs Backstreet.com qui a fermé boutique en raison du désenchantement des troupes fidèles au Boss depuis quatre ou cinq décennies.

Aucune désaffection de masse à Dallas, on vous l’assure. Il y avait des spectateurs jusqu’à la dernière rangée de l’aréna des Stars et des Mavericks, de la LNH et de la NBA. J’ai fraternisé avec un couple, Saxon et Erin, venu de la Colombie-Britannique pour assister à son premier concert du E Street Band. Il y avait des gens d’Ottawa, ainsi que les deux gars du Minnesota venus voir le Wild affronter les Stars deux jours plus tôt qui ont fait un programme double hockey-musique. Et ce couple venu du New Jersey dont la dame fin trentaine en était déjà à son 43e concert de Springsteen. Rien de changé sous le soleil.

N’empêche, à la lumière de ce que le E Street Band offre en ce début de tournée, il est difficile de ne pas penser que Springsteen a voulu faire plaisir aux vieux de la vieille avec un concert où plus de la moitié des titres étaient issus de la période 1972-1980. The Promised Land et la quête du col bleu d’une vie meilleure a fait mouche comme toujours et Out in the Street a été rassembleuse au point que le nombre d’enchaînements vocaux de la foule a peut-être été l’un des plus longs que j’ai vus depuis les années 1980. L’apport de la foule demandé par Springsteen, on pouvait le mesurer aisément.

Les habitués des spectacles du natif du New Jersey savent que des tas de chansons a-do-rées sont offertes depuis des décennies en rotation, certaines, de façon rarissime. D’où la surprise de constater qu’une Candy’s Room et son solo de guitare incisif figurent au programme en permanence depuis le début de la tournée.

Le E Street Big Band

Jusque-là assez discrets, les cuivres et les choristes se sont mis en évidence durant une séquence aussi séduisante qu’émotive, aussi raffinée que swingnante. La plus belle version de Kitty’s Back jamais entendue? Cette chanson qui est l’une des œuvres les plus complexes de Springsteen était exquise avec la rondeur des cuivres et le souffle des voix. Tous les cuivres ont offert un solo, tout comme Bittan et Almonte. Je nous croyais à la salle Wilfrid-Pelletier durant le Festival international de jazz de Montréal. Splendide.

La table était mise pour le doublé Soul coup de poing formé de Nightshift (Commodores) et de Don’t Play That Song (Ben E. King), chansons figurant sur le nouvel album de reprises de Springsteen, Only the Strong Survive. La première, nappée d’un solo de trompette de Ramm, était goûteuse à souhait. Quant à la seconde, offerte sur un tempo accéléré similaire à la version d’Aretha Franklin, elle a emporté l’assistance dans un tourbillon de bonheur. Cette mélodie… Cet entrain… Ces cuivres… Ces voix… La félicité absolue.

Et ce n’était pas terminé. The E Street Shuffle, elle aussi en résidente permanente de tournée? Je l’avais entendue seulement quatre fois en 58 concerts depuis les années 1980. Vivifiante et raffinée, elle a mis en vedette les 16 musiciens et choristes et s’est conclue avec un duel de batteries entre Weinberg et Almonte, pendant que Springsteen, dos à la foule, dirigeait les séquences et les enchaînements tel un chef d’orchestre. Une pure merveille.

On peut dire la même chose de Johnny 99 qui a eu droit à cette enveloppe jazzy l’enrobant comme jamais. Springsteen ne l’avait lui-même espéré quand il l’a enregistrée en mode acoustique sur une cassette quatre pistes en 1984 (Nebraska). Avec les cuivres et les choristes à l’avant-scène, on a presque versé dans le gospel lors de la finale. Ma voisine de siège, qui m’avait confié être venue essentiellement pour entendre la demi-douzaine de gros tubes, a même cessé de jaser plancher de cuisine avec sa voisine pour savourer toute cette séquence, tellement elle était soufflée. C’est vous dire la puissance de la musique…

Vivre le moment présent

Moment d’accalmie avec Last Man Standing, chanson hommage à George Theiss qui avait embauché un adolescent rebelle aux cheveux longs nommé Bruce dans son groupe The Castiles qui a duré trois ans, de 1965 à 1967. Pas mal pour des adolescents, a souligné Springsteen qui a évoqué sa jeunesse disparue et le fait qu’à 73 ans, il faut vivre le moment présent.

C’est ce qu’on fait les spectateurs lors d’un trio de chansons qui annoncent leur venue par l’entremise des ivoires de Bittan. Backstreets a été monumentale de ferveur et de passion, Because the Night a été transportée par le solo incendiaire de Nils Lofgren – qui virevolte encore sur lui-même - et She’s the One et son Diddley beat majorée de percussions, nous a ramené à la période de la naissance de l’album Born To Run.

Petit retour au présent des chansons de ce siècle (Wrecking Ball, The Rising) qui sont désormais attendues par toutes les générations d’amateurs tant elles ont fait leurs preuves sur les planches avant le dernier droit et les rappels qui ont été jubilatoires.

La foule s’est fait éclater les cordes vocales durant Badlands, quand Springsteen et Clemons, main dans la main, ont levé leurs bras vers le ciel. Plusieurs avaient les larmes aux yeux dans ma rangée lorsque la plus belle mesure d’harmonica qui soit s’est fait entendre, annonçant Thunder Road. La phrase There’s magic in the night, entonnée par plus de 20 000 voix, ça donne des frissons.

Musique sans artifices

Une extinction de lumières de 18 secondes a signifié que nous étions aux rappels. Springsteen a lancé à la foule. Merci Dallas! Celle-là est juste pour vous!

Cadillac Ranch? Pink Cadillac? Tu sais, au Texas… Non. Le Detroit Medley! À Dallas? Ce fut la folie que d’entendre le classique de Mitch Ryder qui reprend lui-même deux titres de Little Richard. Et une version à rallonge, en plus, quand Springsteen a donné des instructions à la foule pour la portion de Jenny Jenny. Pétaradant.

C’était, en fin de compte, le signal de départ d’un rappel époustouflant et explosif sous la lumière blanche. Pas d’artifices, pas de jeux de lumières, pas de projections. Un groupe en feu et des spectateurs et des spectatrices en liesse chantant à tue-tête et dansant leur vie.

Au menu : l’immortelle Born To Run, qui est autant une chanson culte qu’une façon de vivre, Rosalita (Come Out Tonight), l’ode désormais intergénérationnelle d’un jeune rockeur à une hispanophone, Glory Days, et la jeunesse qui fout le camp, Dancing In The Dark, le titre le plus pop de Springsteen écrit en quelques minutes durant les années 1980, et Tenth Avenue Freeze-Out, chanson qui raconte la genèse du E Street Band. Durant cette dernière, Springsteen a ouvert sa chemise afin d’exposer sa poitrine qui est peut-être plus musclée aujourd’hui qu’à la création de la chanson, en 1976.

Le meilleur rappel de la tournée jusqu’ici pour le concert le plus long, à 2 h 50. Même privé de trois membres, le E Street Band a démontré qu’il était à la hauteur de sa légende avec un Springsteen en forme et en voix qui a manié sa guitare comme une tronçonneuse plus souvent qu’à son tour. Il a conclu l’affaire tout seul, avec une version guitare-voix de I’ll See You In My Dreams.

Logiquement, nous devrions avoir des concerts au Canada lors du deuxième segment d’Amérique du Nord qui devrait commencer en août. D’ici là, il faudra faire comme Saxon et Erin, jeunes quarantenaires, passionnés de musique et assidus de concerts, mais qui n’avaient pas encore vu Springsteen sur scène.

Et puis, ce premier concert? Déçus?, ai-je demandé, ironiquement, en les croisant à la sortie de l’aréna, leurs sourires et leurs yeux répondant déjà à ma question.

C’est le meilleur concert qu’on a jamais vu.

L’effet Springsteen. Ça fait 50 ans que ça dure.

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