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ChroniqueLe temps fuit, mais la voix de Tom Jones demeure

Tom Jones chante sur scène.

Tom Jones en concert en 2017, en Allemagne.

Photo : Reuters / AXEL SCHMIDT

Les chansons de Chuck Berry, de Buddy Holly, des Drifters et de groupes tels The Chords s’enchaînaient les unes aux autres, mercredi, au théâtre St-Denis, en attente de l’entrée en scène de Tom Jones, comme si elles annonçaient un concert nostalgique du Britannique.

Oui et non, pourrait-on dire, a posteriori, de cette soirée qui fut le coup d’envoi de la semaine officieuse des légendes-musicales-des-années-1960-âgées de plus de 80 ans à Montréal.

Après Jones (82 ans), Ringo Starr (82 ans) sera à la Place Bell lundi prochain et Frankie Valli (88 ans) se produira à la salle Wilfrid-Pelletier le 29 septembre. C’est un peu comme si les vedettes du Swinging London et du Jersey Shore s’étaient donné rendez-vous en même temps dans la métropole...

Évidemment, à cet âge vénérable, on a parfois de petits bobos. Ceux de Jones sont apparus très évidents quand il s’est pointé sur scène à l’aide d’une canne. Avec un humour british grinçant à souhait, il a expliqué que ce satané truc était nécessaire en raison de la détérioration de sa hanche droite lors de la portion européenne de sa tournée actuelle, cinq ans après le remplacement de sa hanche gauche. Bref, qu’il allait devoir chanter assis sur le haut tabouret pour ses concerts à venir en attendant l’opération salvatrice dans quelques semaines.

J’ai trop ondulé du bassin, m’a dit mon médecin, a ironisé Sir Tom, nous téléportant mentalement à l’époque où ses déhanchements provoquaient en Grande-Bretagne le même genre de réactions chez les femmes que ceux d’Elvis Presley, aux États-Unis, une dizaine d’années plus tôt.

Le temps qui fuit

Ce constat inéluctable du temps qui fuit, Jones l’a épousé d’entrée de jeu avec un doublé coup de poing de chansons enregistrées en 2021 pour son plus récent disque, Surrounded By Time : la très explicite I’m Growing Old, splendide, dans sa forme piano-voix, et la reprise de Bob Dylan, Not Dark Yet, du fabuleux disque Time Out Of Mind (1997), interprétée avec ses cinq musiciens, qui fait allusion à la fin qui approche.

Jones a privilégié une approche intimiste dans de petites salles pour cette tournée, ce qui lui permet de livrer une foule d’anecdotes savoureuses sur la genèse de chansons ou de moments clés pour lui. Celle touchant What’s New Pussycat?, tirée du film de 1965 du même nom à la distribution prestigieuse (Peter Sellers, Peter O’Toole, Romy Schneider, Woody Allen, Ursula Andress, excusez du peu…), était du tonnerre.

Entendre Jones nous raconter comment l’auteur-compositeur Burt Bacharach lui a proposé la chanson dans son flat, à Londres, était délectable. Jones a cru que l’Américain le menait en bateau quand il a joué la rythmique de la chanson.

Je ne peux pas chanter ça!

Et pourtant… On connaît la suite. La chanson est devenue un succès. L’instrumentation (percussions, accordéon, guitares) et les arrangements quelque peu modifiés de 2022 en regard de la version originale ont été adéquats et rafraîchissants. D’autant plus que le public qui remplissait le théâtre St-Denis à ras bord ne s’est pas fait prier pour entonner les What’s new pussycat?! et les wo-oo-oo-wo! d’usage.

Ce fut moins vrai pour un autre monument de Jones, It’s Not Unusual, sa chanson signature de 1965 qui l’a lancé et qui est devenue le thème de son émission télévisée This Is Tom Jones, produite par ITC en Grande-Bretagne et également diffusée aux États-Unis sur ABC, de 1969 à 1971.

It’s Not Unusual sans cuivres, désolé, ça ne marche pas. C’est comme si les Rolling Stones interprétaient (I Can’t Get No) Satisfaction sans guitares électriques. Les versions intimistes ont leurs limites, même si celle-là était jolie, mais sans son exubérance habituelle. Ceux qui étaient présents au Centre Bell en 2004 ont dû regretter la version pétaradante d’alors.

Nostalgie et moment présent

Tom Jones a interprété plus d’une demi-douzaine de chansons de Surrounded Time, qui sont des reprises. Nostalgie sur le fond, donc, mais versions actualisées pour ce qui est de l’enveloppe sonore. Cet entre-deux a mené à un couteau à deux tranchants.

L’interprétation magique de la version anglaise du classique Les Moulins de mon cœur (The Windmills of Your Mind), popularisée dans les années 1960 par Dusty Springfield, l’excellente reprise de Dylan, One More Cup of Coffee, avec les paroles sur l’écran arrière, ainsi que l’abrasive et cynique Talking Reality Television Blues, de Todd Snider, pour ne nommer que celles-là, étaient impeccables.

Cette dernière était particulièrement intéressante à entendre venant de Tom Jones qui était animateur de télé il y a 50 ans et qui fait partie des juges à The Voice UK. On frisait le contre-emploi, là. Et que dire que Tower of Song, de notre Leonard Cohen, dans cette mouture country. Splendide, vraiment.

Le revers de la médaille, c’est qu’avec tant de nouveautés, Jones a laissé de côté des chevaux de bataille qui sont fréquemment dans ses concerts : She’s a Lady, I’ll Never Fall In Love Again, Sixteen Tons, I (Who Have Nothing). Un spectateur a même hurlé I’ll Never Fall In Love Again! durant le rappel, sans l’obtenir.

Par moments, j’avais l’impression que Tom Jones faisait comme Robert Plant depuis des décennies : oui pour les classiques, quitte à les enrober différemment, mais pas question de verser dans le concept de concert de grands succès à rallonge. Avancer, sans se renier, mais sans tomber dans le passéisme non plus.

La voix d’or

On l’a déjà dit, c’est le privilège de l’artiste de déterminer sa sélection de titres. Et Jones a quand même offert une version dynamique de Sex Bomb, une autre, belle à pleurer, de Green, Green, Grass of Home, une Delilah à déplacer des montagnes (quelle voix!) et une interprétation de You Can Leave Your Hat On, qui nous a fait presque oublier Joe Cocker.

C’est la marque de commerce de Jones depuis le début de sa carrière : même s’il n’était pas l’interprète initial d’une chanson, il a pu tout s’accaparer avec son timbre reconnaissable entre tous et sa voix puissante.

Il suffit d’aller revoir sur YouTube les duos mémorables qui ont été immortalisés à son émission avec Janis Joplin, Ray Charles, Little Richard, Stevie Wonder, Jerry Lee Lewis… Pop, rock, soul, country. Peu importe le genre, Sir Tom répond présent. Notamment, avec Kiss, de Prince, qu’il a faite sienne depuis longtemps.

L’enfant des années 1950

N'empêche, comme il le dit lui-même, il est un enfant des années 1950. J’avais 15 ans quand Rock Around the Clock est parue. Et il s’est visiblement fait plaisir au rappel.

En 1970 ou 1971, Elvis jouait au Hilton et moi au Ceasars Palace. Elvis vient me voir et me dit : "Chuck Berry joue dans le lounge du Hilton, tu viens?" Et pendant que Chuck déchirait tout, Elvis m’a dit : "C’est lui le vrai roi du Rock and Roll". Et Jones et ses musiciens d’enchaîner avec une interprétation électrique de Johnny B. Goode.

Lloyd Price, Lousianais d’origine et autre ami de Tom Jones, lui a déjà demandé comment il se faisait qu’il n’était pas au Temple de la Renommée du Rock and Roll. Price, décédé à 88 ans en 2021, a même écrit aux dirigeants.

J’attends toujours une réponse , a rigolé Jones. Et Lawdy, Miss Clawdy, enregistrée par Price il y a 70 ans cette année, a suivi. Suis tombé à la renverse... Lawdy, Miss Clawdy, interprétée à Montréal en 2022? J’en dois une à Tom Jones.

Et, sans surprise, quand on connaît le lien qui unit le chanteur à Jerry Lee Lewis – il l’a visité en 2019, après que le Killer eut subi un AVC –, la soirée s’est terminée avec une offrande jubilatoire de Great Balls of Fire, ma chanson préférée des années 1950.

Ce rappel, finalement, nous ramenait aux chansons d’ambiance qui ont précédé le concert. Peut-être que Tom Jones avait plus envie de saluer ses contemporains que de plonger à satiété dans son propre répertoire. Qui sait?

Mais avec la forme vocale qu’il tient, il ne faudrait pas s’étonner de le voir reprendre la route après son opération à la hanche lors d’une tournée où il pourrait se déhancher de nouveau. Dieu qu’il avait envie de se lever de son tabouret durant certaines chansons, mercredi soir.

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