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Une mère toujours sans réponse aux questions sur l'assassinat de sa fille à Pointe-Sapin

Rose Marie Smith tient une photo de sa fille.

Rose Marie Smith tient une photo de sa fille, Lisa Graves-Smith, tuée en 2019 par un homme ayant des antécédents de violence envers les femmes.

Photo : CBC / Karissa Donkin

Radio-Canada

Lisa Graves-Smith a été assassinée sur son lieu de travail le 25 juillet 2019 à Pointe-Sapin, au Nouveau-Brunswick, par un homme qu’elle a brièvement fréquenté et qui s’est suicidé après l’avoir abattue d’un coup de feu. Elle avait 30 ans.

Des collègues et des amis de Lisa ont dit à sa famille qu’elle avait fréquenté Christian Poirier pendant une brève période, mais avait conclu qu’elle ne voulait pas approfondir sa relation avec l’homme de 42 ans.

Lisa était une jeune femme très forte, dit sa mère, Rose Marie Smith. Quand elle disait non, elle le pensait vraiment.

Elle se demande si d'avoir dit non à Christian Poirier est ce qui a décidé ce dernier à la tuer.

Photos d'une fillette étalées sur une table.

Des photos d'enfance de Lisa Graves-Smith.

Photo : CBC / Karissa Donkin

Ces femmes qu'on tue

Consulter le dossier complet

 Une femme à contre-jour

Rose Marie Smith raconte que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lui a fourni peu de détails sur la mort de sa fille aux mains d’un homme violent dont les antécédents criminels remontaient à plus d’une décennie, et qui n’avait pas le droit légalement d’avoir une arme à feu.

On lui a expliqué que sa fille travaillait seule dans un local de l’entreprise DJ Marine, à Pointe-Sapin, vers 7 h 30 le matin du 25 juillet. Le coroner lui a assuré que Lisa est morte sur le coup et ne s’est probablement jamais rendu compte de ce qui allait se produire. Les policiers lui ont dit que c’était Christian Poirier, un homme connu de la police, qui l’avait tuée.

Des casiers à homard et un petit bateau devant un entrepôt.

DJ Marine, où les corps ont été retrouvés, à Pointe-Sapin, au Nouveau-Brunswick, le 25 juillet 2019

Photo : CBC / Shane Magee

Depuis sept mois, la mère reconstruit elle-même, morceau par morceau, l’histoire des derniers jours de sa fille en parlant à des amis et à des collègues de celle-ci.

Née au Nouveau-Brunswick, Lisa Graves-Smith a grandi en Nouvelle-Écosse. Sa famille la décrit comme la plus curieuse des 15 enfants des Smith. À l’âge adulte, elle est retournée vivre dans sa province natale et y élevait trois enfants. Ses enfants passaient en premier, dit Rose Marie Smith, qui décrit sa fille comme motivée et altruiste.

Un homme avec des antécédents de violence conjugale

Lisa Graves-Smith était déjà au travail lorsque Christian Poirier, employé au même endroit, y est arrivé, café à la main, tôt le 25 juillet 2019. Il a salué des collègues. Il est allé abattre Lisa Graves-Smith dans un local de la compagnie.

Ce n’était pas la première fois que Christian Poirier était violent envers une femme qu’il avait fréquentée.

Des policiers devant un bâtiment.

Les policiers de la GRC sur les terrains de l'entreprise DJ Marine le 25 juillet 2019

Photo : CBC / Shane Magee

Les premiers éléments qui constituent son lourd dossier criminel apparaissent en 2009, lorsqu’il est condamné pour voies de fait, menaces et non-respect de l’ordonnance qui lui interdisait de communiquer avec la femme qu’il avait agressée.

CBC a obtenu un enregistrement de l’audience sur la détermination de la peine. Le procureur de la Couronne, Mario Cormier, y décrit les crimes commis par Christian Poirier entre 2006 et 2009.

En mai 2006, la police intervient. Poirier aurait tenté d'étrangler une femme qu'il fréquentait après l'avoir jetée au sol. Les agents sont convaincus que l’incident allégué s’est bel et bien produit, mais la femme ne veut pas être interrogée par les enquêteurs et aucune accusation ne peut être déposée à ce moment-là.

Six mois plus tard, la même femme est une fois de plus victime d’une tentative d’étranglement. Elle parvient à empêcher Poirier de la tuer, mais à plusieurs reprises durant l’agression, elle est incapable de respirer.

Elle dit s’être sentie engourdie et avoir vu des taches blanches devant ses yeux.

C’est après une troisième attaque qu’elle explique finalement tout aux policiers. Le 9 décembre 2006, Christian Poirier se met très en colère, raconte en cour le procureur de la Couronne, Marco Cormier.

Poirier pousse sa conjointe, la projette au sol. Il l’empoigne et la tire par les cheveux, la traîne ainsi de la cuisine jusqu’à la chambre. Il serre ses mains autour de sa gorge.

La femme raconte alors à la police qu’elle pouvait à peine respirer. Elle a vraiment eu peur de mourir, affirme le procureur.

La conjointe de Christian Poirier se réveille étourdie, souffrant de sévères maux de tête. Elle a les yeux injectés de sang et des ecchymoses aux bras et au visage.

Elle téléphone à la police. Cette fois, des accusations sont déposées contre Poirier.

Cette femme ne voulait pas être interviewée de peur de se remémorer la violence relatée dans ces documents judiciaires.

La famille de Christian Poirier a décliné notre demande d'entrevue.

Le palais de justice de Richibucto, au Nouveau-Brunswick.

Christian Poirier a été condamné en 2009 au palais de justice de Richibucto pour des faits survenus en 2006 et 2007.

Photo : CBC / Shane Magee

Une humeur « volatile »

En cour, le procureur Cormier a aussi narré un incident survenu en 2007. Alors que Poirier se trouvait d’une humeur décrite comme volatile, il a retenu la même femme contre son gré dans sa voiture et conduit pendant plusieurs heures, même s’il lui avait été interdit d’être en contact avec elle.

La femme a informé la police. Pour une raison que je ne peux expliquer, M. Poirier n’a pas été arrêté après cet incident. Je ne sais pas pourquoi, a dit au juge le procureur Cormier.

Quelques mois plus tard, Poirier a suivi la femme jusque chez elle et a menacé de tuer l’un de ses proches. Quand les policiers sont arrivés pour l’appréhender, il les a entraînés dans une poursuite en voiture à haute vitesse.

La stratégie de Wendell Maxwell, l’avocat de Christian Poirier, a été de faire porter une partie du blâme par la victime lors de l’audience sur la détermination de peine en 2009. Le couple avait une relation orageuse, a-t-il plaidé. La route sur laquelle ils étaient engagés en était probablement une menant à la destruction, a-t-il dit.

À l’audience, le juge Joseph Michaud a répondu à l’avocat Maxwell que ses déclarations n’excusaient aucunement les actions de Poirier.

Il semble qu’il ait des difficultés à assumer la responsabilité de ses actes et a tendance à blâmer son ancienne partenaire et le système pour son comportement violent, a mentionné le juge.

L’avocat Wendell Maxwell, maintenant à la retraite, a décliné une demande d’entrevue et affirmé à CBC qu’il ne se souvient pas d’avoir eu Poirier comme client.

Un bâtiment en hiver avec un homard peint sur un mur extérieur.

Le meurtre de Lisa Graves-Smith a causé une onde de choc dans la petite communauté de Pointe-Sapin.

Photo : CBC / Shane Magee

Poirier a reçu une sentence conditionnelle, c’est-à-dire qu’il évitait la prison tant qu’il respectait certaines conditions.

Mais Poirier a continué d’être violent, et il a été envoyé en prison pour 2 ans et 24 jours.

Selon des documents de la Commission des libérations conditionnelles, ce qui a provoqué son incarcération est une altercation avec un autre homme, pendant une dispute au sujet d’une femme. Poirier a pointé une arme à feu en direction de l’homme et l’a ensuite pourchassé, à haute vitesse, en voiture.

Pour cette raison, Poirier a été frappé d’une interdiction de posséder une arme à feu pendant 10 ans. Cette interdiction devait être en place jusqu’en 2022.

Étudiant sa demande de libération de jour, la Commission des libérations conditionnelles a plus tard décrit Poirier comme un individu ayant un risque modéré d’être violent à nouveau envers une conjointe, et ayant un risque faible d’être violent envers toute autre personne.

Révisant son dossier un an plus tard, la commission écrivait alors que le détenu avait toujours une propension à la violence, même s’il avait participé en prison à des ateliers sur la manière de gérer un comportement impulsif.

Selon la Commission, Christian Poirier avait des difficultés émotionnelles, incluant de l’impulsivité et des relations intimes malsaines et une attitude procriminelle.

Tous ces facteurs contribuent à un risque d’infraction criminelle violente, estimait la Commission des libérations conditionnelles.

En fait, vos infractions les plus courantes sont violentes et incluent l’usage d’une arme à feu, lit-on dans les documents.

Il n’est pas clairement indiqué qui était responsable de s’assurer que Poirier ne se porte pas acquéreur d’une arme à feu après sa sortie de prison.

Deux femmes regardent un album de photos de famille.

Jennifer Graves-Smith (gauche) et Rose Marie Smith (droite) regardent des albums de famille.

Photo : CBC / Karissa Donkin

Un porte-parole du ministère de la Sécurité publique du Nouveau-Brunswick dit que le gouvernement joue seulement un rôle indirect de soutien dans l’application de ces ordonnances. Le ministère a suggéré de poser ces questions au Programme canadien des armes à feu (PCAF), géré par la Gendarmerie royale du Canada.

Mais la GRC au Nouveau-Brunswick ne nous a rien appris sur la provenance de l’arme utilisée par Christian Poirier pour tuer Lisa Graves-Smith, laissant en suspens les questions sur les raisons pour lesquelles cette interdiction de posséder une arme à feu n’a pas été respectée.

Communiquer les détails serait « inaproprié », selon la GRC

La porte-parole de la GRC au Nouveau-Brunswick, Jullie Rogers-Marsh, explique que des réponses sur ce genre de questions surgissent souvent lorsqu’une affaire est portée devant les tribunaux. Dans ce cas-ci, Christian Poirier étant mort, aucune accusation n’a été déposée. Ce n’est pas une information que nous pourrions confirmer, a déclaré Mme Rogers-Marsh.

L’an dernier, lorsque les faits sont survenus, la police s’est contentée de dire qu’une femme de 30 ans avait été abattue d’un projectile d’arme à feu par un homme de 42 ans, qui s’est ensuite suicidé. Et que les deux personnes se connaissaient.

Publiquement, la police n’a pas décrit les événements du 25 juillet 2019 comme étant de la violence conjugale, un type de crime qui touche disproportionnellement les femmes au Canada.

Quatre semaines après la mort de Lisa Graves-Smith et Christian Poirier, la GRC a conclu son enquête. Il n’y avait personne contre qui déposer des accusations, et rien de plus à dire, selon la police.

Photo du bâtiment de la GRC en hiver.

Le détachement de la GRC à Richibucto, au Nouveau-Brunswick, le 14 février 2020.

Photo : CBC / Shane Magee

D'après la porte-parole de la GRC au Nouveau-Brunswick, Jullie Rogers-Marsh, il aurait été inapproprié de fournir plus de détails sur le crime, puisqu’aucune accusation n’était déposée. Elle mentionne les lois sur la vie privée. Ce n’est pas que nous ne voulons pas, c’est que nous ne pouvons pas, spécifie la gendarme.

Rose Marie Smith a demandé à la GRC de voir le rapport d’enquête. La police lui a répondu de faire une demande d’accès à l’information. Des frais de 5 $ sont exigés et elle doit acheminer au gouvernement fédéral une copie du certificat de décès de sa fille. 

La mère souhaite obtenir des informations, explique-t-elle, au cas où, un jour, les enfants de Lisa voudraient comprendre ce qui s'est passé à leur mère.

L'enseigne de l'administration portuaire de Pointe-Sapin près d'un quai.

La pêche est une activité importante à Pointe-Sapin, une collectivité d'environ 500 personnes près du détroit de Northumberland.

Photo : CBC / Shane Magee

Lisa Graves-Smith a laissé dans le deuil trois enfants, ses parents, et 14 frères et soeurs, en plus de nombreux amis et connaissances.

Pas des crimes passionnels

Que Christian Poirier ait eu des antécédents de violence bien avant qu’il assassine Lisa Graves-Smith ne surprend pas Kristal LeBlanc, la directrice du Centre de ressources et de crises familiales Beauséjour, à Shediac.

Kristal LeBlanc.

Kristal LeBlanc, directrice du Centre de ressources et de crises familiales Beauséjour.

Photo : CBC / Shane Magee

La plupart des auteurs du meurtre d’une partenaire ou ex-partenaire, y compris ceux qui s’enlèvent la vie après le fait, ont un historique de violence conjugale et des antécédents criminels, explique Mme LeBlanc.

Ce ne sont pas des crimes passionnels, comme on les décrit parfois, maintient-elle.

Mme LeBlanc relate avoir lu et entendu plusieurs personnes qui affirmaient que, puisque Poirier avait amené son lunch au travail ce jour-là, le meurtre-suicide devait être un acte spontané, non prémédité. Cette interprétation masque la situation réelle.

La réalité dans les homicides conjugaux, c’est qu’il s’agit d’un cycle, qu’il y a une escalade. Et cette escalade survient habituellement lorsqu’une femme prend la décision de, finalement, s’en aller, dit Kristal LeBlanc.

Un photo d'une femme dans un cadre posé sur un meuble.

Une photo de Lisa Graves-Smith à la résidence familiale.

Photo : CBC / Karissa Donkin

Cela fait maintenant sept mois que Lisa Graves-Smith est morte, et sa mère ignore toujours quand la GRC répondra à sa requête pour en savoir plus sur la mort de sa fille.

Dans sa demeure en Nouvelle-Écosse, il est impossible de visiter la grande maison où a grandi Lisa sans poser les yeux sur une photo ou un souvenir de la défunte.

D’après le reportage de Shane Magee et Karissa Donkin, de CBC

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