ArchivesComment s’est déroulé le débat sur la peine de mort au Canada
La peine de mort a officiellement été abolie au Canada en 1976.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le 10 mars 1960, Ernest Côté est pendu à la prison de Bordeaux, à Montréal. Le 11 décembre 1962, Arthur Lucas et Ronald Turpin sont pendus à la prison de Don, à Toronto. Ces exécutions, les dernières à avoir lieu au Québec et au Canada, alimentent le débat sur l’abolition de la peine de mort au pays.
Une forme de justice de plus en plus remise en question
C’est un reliquat du Moyen Âge et de la loi du talion. […] On ne doit pas chercher le châtiment du coupable […] La loi humaine cherche à protéger la société.
Je suis quand même en faveur de la peine de mort parce qu’à mon avis, c’est un facteur d’ordre.
L’exécution d’Ernest Côté survient à une époque où le débat sur l’abolition de la peine capitale prend de la vigueur au Canada.
Premier plan, 17 janvier 1960
Le 17 janvier 1960, un peu moins de deux mois avant l’exécution d’Ernest Côté, l’émission Premier plan, qu’anime Gaétan Barrette, présente une enquête du journaliste René Lévesque qui synthétise le débat sur l’abolition de la peine capitale au pays.
Le journaliste interroge un vaste éventail de personnes pour savoir si elles sont pour ou contre l’abolition de la peine capitale.
Il demande notamment à deux membres de l’appareil de la justice, le juge Irénée Lagarde et le procureur de la Couronne Louis Robichaud, de résumer leurs positions dans ce débat.
Le juge Irénée Lagarde est formel : il s’oppose carrément à la peine capitale.
C’est une pratique d’un autre temps qui va à l'encontre de sa conception philosophique de ce que devrait être la fonction de la justice.
Quant au procureur de la Couronne Louis Robichaud, s’il favorise le maintien de la peine capitale au Canada, il souhaite néanmoins que son application soit modifiée.
L’avocat propose notamment une réforme du système de justice qui instituerait un mécanisme automatique d’appel lorsqu'une sentence de peine de mort est prononcée à la suite d’un procès.
Le journaliste René Lévesque accorde par ailleurs beaucoup d'importance à l’opinion publique dans son reportage.
Premier plan, 17 janvier 1960
Un micro-trottoir effectué par René Lévesque, dont voici un extrait, est particulièrement animé.
On y voit un homme et une femme résolument en faveur du maintien de la peine capitale au Canada débattre avec un jeune homme opposé à la peine de mort.
Dans cet extrait, plusieurs arguments en faveur ou en défaveur de l’abolition de la peine de mort sont évoqués.
Selon les calculs de René Lévesque, 58 % des répondants de son micro-trottoir souhaitent l’abolition de la peine de mort.
Le débat sur la peine capitale s’est par ailleurs intensifié au Québec avec la publication par Jacques Hébert, dans les années 1960, de deux livres dénonçant la justice du Québec qui avait fait pendre Wilbert Coffin en 1956.
Au Canada anglais, c'est l'exécution simultanée de deux prisonniers qui alimente la pression pour que la peine de mort soit abolie.
Ce soir, 27 avril 1987
Un reportage du journaliste Daniel Carrière, diffusé à l'émission Ce soir du 27 avril 1987, nous raconte ce fait judiciaire.
Le 11 décembre 1962, Arthur Lucas et Ronald Turpin, incarcérés à la prison torontoise de Don, sont pendus.
Cette double exécution est vivement condamnée par plusieurs manifestants qui en dénoncent la cruauté. De plus, les preuves de la culpabilité des deux hommes ne sont pas convaincantes.
Dans la prison, les témoins assistent à l’agonie des condamnés, qui dure 15 minutes.
Le reportage souligne l'embarras des autorités, qui inhument très discrètement les deux hommes.
En 1963, le gouvernement du premier ministre Lester B. Pearson abolit de facto la peine de mort au pays.
L’abolition de la peine capitale sera adoptée de jure par le Parlement canadien en juillet 1976.
Un rituel qui laisse des marques
En 1987, le rétablissement de la peine de mort est exigé par plusieurs députés fédéraux.
C’est dans ce contexte que la journaliste Catherine Kovacs se rend à la prison de Bordeaux de Montréal.
Elle y rencontre Raoul Boudreau, infirmier à la prison.
L’employé du Centre de détention de Montréal avait pour tâche d’assister aux pendaisons des condamnés à mort.
Montréal ce soir, 6 mai 1987
Il raconte à Catherine Kovacs le rituel de ces exécutions que la journaliste nous révèle dans un reportage présenté à l’émission Montréal ce soir, le 6 mai 1987.
C’est le compte rendu d’un rituel sinistre que nous livre Raoul Boudreau. L’atmosphère qui se dégage de tout le reportage est lugubre.
Ce qui frappe, c’est le fait qu’assister aux exécutions a laissé des marques indélébiles dans la mémoire de l’infirmier.
On se souvient toujours de cela
, affirme Raoul Boudreau.
Il confirme à Catherine Kovacs qu’il avait l’impression à chaque exécution de « vivre un film d’horreur ».
La journaliste conclut son reportage en soulignant que le rétablissement de la peine de mort dépend de la volonté des députés fédéraux.
Elle aurait pu ajouter qu’il était aussi entre les mains du premier ministre du Canada.
Une intervention décisive
En cette année 1987, le premier ministre du Canada Brian Mulroney est devant un dilemme.
Plusieurs députés du Parti progressiste-conservateur du Canada qu’il dirige ont souhaité l’ouverture à la Chambre des communes d’un débat sur le rétablissement de la peine de mort.
Le premier ministre Mulroney a aussi conscience qu’une partie importante des électeurs qui appuient sa formation politique réclame que la peine capitale soit réinstaurée au pays.
Quelques semaines après la diffusion du reportage de Catherine Kovacs, le 22 juin 1987 pour être précis, le premier ministre Mulroney se lève en Chambre.
Téléjournal, 22 juin 1987
L’intervention de Brian Mulroney est tellement marquante qu’elle fait l’objet d’un reportage par le journaliste Normand Lester ce jour-là au Téléjournal qu’anime Jean Ducharme.
Le journaliste explique que le premier ministre a décidé de voter contre le rétablissement de la peine de mort.
Brian Mulroney refuse qu’un jour l’État condamne un innocent. Il n’est pas non plus convaincu de l’effet dissuasif de la peine de mort.
La peine de mort est un acte odieux, dans l’esprit du premier ministre, et parfaitement inacceptable.
L’intervention de Brian Mulroney a l’effet d’un coup de massue sur les parlementaires.
Des membres de l’opposition traversent la chambre pour venir le féliciter.
Le ministre de la Justice Ray Hnatyshyn et le ministre des Affaires étrangères Joe Clark appuient le premier ministre.
Le 30 juin 1987, lors d'un vote libre, 148 députés s'opposent au rétablissement de la peine capitale contre 127 parlementaires qui se prononcent en sa faveur.