AGIR contre les féminicides
Sur les 84 cas de violence conjugale traités depuis 1998 par cette cellule de crise lavalloise, on ne dénombre aucune perte humaine.
Simulation d'une réunion d'AGIR, une cellule de crise de Laval qui travaille à contrer la violence conjugale.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Différentes expériences sont menées au Québec pour tenter de contrer les violences conjugales. Des cellules de crise sont en place en Abitibi-Témiscamingue, dans Lanaudière et en Estrie. Nous avons rencontré les membres de la cellule de Laval, considérée comme un modèle du genre.
On a reçu l’appel d’un résident qui a entendu des cris intenses chez ses voisins. Les policiers sont arrivés sur les lieux, il y avait un couple : deux médecins qui travaillent dans le même hôpital. La situation avait l'air sous contrôle
, résume Martin Métivier, chef de la Division urgence sociale à la Ville de Laval.
Les membres de la cellule de crise AGIR sont réunis pour gérer un risque d’homicide conjugal.
Martin Métivier, coordonnateur du groupe, explique la situation à ses collègues : En cours d'intervention, la dame a commencé à se confier aux policiers, en disant qu’elle avait reçu des menaces de mort. C’est là que le monsieur a commencé à crier et s'est graduellement énervé, au point où les policiers ont eu à le maîtriser et lui ont passé les menottes.
Martin Métivier, chef de la Division urgence sociale à la Ville de Laval
Photo : Radio-Canada
Autour de la table, des intervenants aguerris écoutent. Ils viennent d’organismes sociaux solidement établis à Laval : Maison d’hébergement pour femmes, Centre de prévention du suicide, Centre d’aide aux victimes d’actes criminels, Service de police de Laval et Groupe de soutien pour hommes violents.
C’est le coeur de la cellule de crise AGIR, créée en 1998 pour prévenir la violence conjugale grave comportant des menaces de mort.
En ce matin du 17 février, le groupe participe, à notre demande, à une simulation d’exercice de prévention de féminicide, basée sur les expériences passées.
L’historique de violence, un facteur de risque
Sabrina Tessier, directrice clinique au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels de Laval
Photo : Radio-Canada
Sabrina Tessier, directrice clinique au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), fournit plus de détails sur la mise en scène. Monsieur l'empêche de dormir, il passe des nuits blanches à surveiller les contacts de madame dans son cellulaire. Elle a observé que le positionnement de géolocalisation de son téléphone cellulaire a été activé.
Ce qui préoccupe le plus les intervenants présents, c’est l’historique de violence, qu’elle soit physique ou psychologique, et la rupture annoncée ou imminente de la relation du couple. Ce sont les facteurs de risque les plus fréquents.
Il lui a même dit qu'il voulait partir, mais qu’il ne partirait pas seul. Madame a interprété ça comme des menaces de mort
, ajoute Sabrina Tessier.
En face d’elle, le lieutenant-détective aux enquêtes criminelles de Laval Gaston Forget intervient : Est-ce que madame serait prête à rencontrer des enquêteurs pour une entrevue vidéo, pour déterminer le cercle de violence?
Rapidité d'action
Catherine Labarre, du centre de crise et de prévention du suicide L'Îlot, à Laval
Photo : Radio-Canada
La force de la cellule AGIR est sa capacité à se réunir pour élaborer rapidement des solutions à la crise, venir en aide aux victimes et tenter de traiter les agresseurs à plus long terme.
Pour penser à tuer une femme, sa conjointe, il faut être dans un état mental très perturbé. Ça veut dire qu'on ne va vraiment pas bien. Il n’y a pas beaucoup de ressources pour eux. Les cellules de crise comme la nôtre peuvent contribuer.
Poursuite du scénario de crise. On est prêts, on peut lui faire une place tout de suite dans un de nos groupes
, lance Robert Cormier, directeur général du Carrefour d'hommes en changement (CHOC), un organisme spécialisé dans l’aide aux hommes violents.
On va aller rencontrer monsieur à l'hôpital, lui parler, évaluer le degré de dangerosité. On va procéder à l'évaluation du risque suicidaire et d'homicide
, poursuit Catherine Labarre, de L’Îlot.
Chantal Arseneault, coordonnatrice de la Maison L’Esther, à Laval
Photo : Radio-Canada
En attendant, c’est le sort de la dame qui me préoccupe, rétorque Chantal Arseneault, coordonnatrice de la Maison L’Esther. On pourrait demander à madame si elle veut être hébergée, le temps de voir plus clair. On va lui réserver une place. Tous les éléments nous démontrent qu'elle doit être protégée.
Silence. Chantal Arseneault semble inquiète. Il est très important que madame change ses mots de passe sur son cellulaire et ses réseaux sociaux.
Martin Métivier, coordonnateur du groupe, acquiesce. Il faudrait lui dire aussi de réduire au minimum ses publications sur Facebook.
Depuis 1998, AGIR a traité 84 cas de violence conjugale avec risque d'homicide. Il n’y a eu aucune mort liée à ces dossiers.
On est convaincus d’avoir sauvé des dizaines de vies.
Il y a eu, nous dit-on, trois ou quatre féminicides pendant cette même période à Laval. Des cas qui, malheureusement, n’avaient pas été signalés à la cellule de crise.
À lire aussi :
Un modèle à reproduire
Gaston Forget, lieutenant-détective aux enquêtes criminelles au Service de police de Laval
Photo : Radio-Canada
Est-ce que ce modèle serait applicable ailleurs? Gaston Forget, lieutenant-détective, est catégorique. Oui. Il faut juste réussir à constituer un noyau d'intervenants, comme le nôtre, avec toutes les ressources disponibles dans une ville ou dans une région. Je pense que chaque service de police est capable de faire cette démarche-là.
À Laval, l’expérience de la cellule AGIR montre que la police est responsable du signalement des risques de féminicide dans 25 % des cas. La majorité des alertes de risque d’homicide conjugal proviennent des maisons d'hébergement et des travailleurs sociaux.
Dans la simulation à laquelle nous avons assisté, la femme victime de violence et de menaces de mort a choisi de ne pas porter plainte contre son mari. Un scénario réaliste.
Selon Statistique Canada, seulement 30 % des femmes victimes de violence conjugale décident ou acceptent de porter plainte contre leur conjoint. D’où l’importance de pouvoir compter sur des intervenants sociaux autres que la police pour détecter les indices précoces de féminicide.
Le scénario tire à sa fin. Martin Métivier, directeur de la Division urgence sociale à la Ville de Laval, s’apprête à conclure. Si monsieur n’a pas d'accusations de violence conjugale contre lui, il n’y aura pas d'interdit avec madame, ce qui fait qu'on n'aura pas ce filet de protection là, pour l'instant. On va se donner 48 heures pour laisser la situation évoluer. Comme d'habitude, je vais vous envoyer un courriel sur le plan d'intervention concerté.
La réunion est terminée. Il y en aura d’autres. Des réunions de ce type, la cellule AGIR en a cinq ou six par année. Avec de vrais cas.
Besoin d'aide pour vous ou un proche?
SOS violence conjugale
1 800 363-9010
sosviolenceconjugale.ca (Nouvelle fenêtre)
Ligne québécoise de prévention du suicide
1 866 APPELLE
besoinaide.ca (Nouvelle fenêtre)
Réseau des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC)
1 866 532-2822
cavac.qc.ca (Nouvelle fenêtre)
Pour avoir accès à toutes les ressources offertes au Québec, cliquez ici.