Aporcalypse : 2019, l’année de la peste porcine africaine
Une hécatombe internationale épargne toujours le Canada, mais tient les autorités du pays sur un pied d’alerte.
La peste porcine s'est grandement propagée en 2019.
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pour bien des éleveurs de porcs à travers le monde, 2019 aura été une année pénible, l’année de la peste porcine africaine.
Hautement contagieuse, la maladie, qui est sans danger pour les humains, s’est propagée de manière fulgurante, entraînant la mort de millions de cochons dans le monde.
Avant l’épidémie, notre famille comptait sur les porcs pour financer les études de mes enfants et nos dépenses quotidiennes. Mais l’épidémie a malheureusement eu lieu, notre famille est dévastée, nous ne savons pas sur quoi compter.
Nguyen Van Duoc, éleveur de porcs.
Photo : Radio-Canada
L’histoire de Nguyen Van Duoc, qui élevait 36 bêtes dans sa ferme de la province de Hanoï, s’est répétée trop souvent cette année.
Rien qu'au Vietnam, 6 millions de porcs sont morts ou ont dû être abattus depuis que la peste porcine africaine y a été détectée en février.
De l’Europe aux confins de l’Asie, en passant par l’Afrique, ce fléau étend son emprise sur le monde.
Qu’est-ce que la peste porcine africaine?
Parfois surnommée l’Ebola du cochon
, cette maladie est originaire du continent africain, où elle est endémique dans une vingtaine de pays.
Elle s’attaque aux animaux de la grande famille des suidés, comme les cochons et les sangliers.
Le vétérinaire en chef du Canada, Jaspinder Komal, explique que, contrairement à d’autres virus, celui de la peste porcine africaine ne se propage pas dans l’air, mais par contact direct avec du matériel, de la viande ou des animaux contaminés
.
Les travailleurs agricoles, la machinerie, mais aussi les voyageurs qui visitent des fermes infectées peuvent être des vecteurs de la maladie.
Et le virus est très persistant : il survit même à la congélation de la viande pendant plusieurs années.
Les phacochères sont naturellement résistants à la peste porcine.
Photo : Radio-Canada
Les phacochères, une espèce de cochon sauvage d’Afrique, sont naturellement résistants, mais les sangliers et les porcs domestiques n’ont pas développé cette immunité.
La maladie, qui entraîne une hémorragie interne, tue la très grande majorité des bêtes infectées en quelques jours seulement.
Malgré des foyers d’éclosion ponctuels à l’extérieur de l’Afrique à partir des années 1950, la maladie demeurait relativement contrôlée dans le monde. Mais depuis un signalement en Géorgie en 2007, on n’arrive plus à freiner sa propagation vers l’ouest comme vers l’est.
Et c’est son arrivée dans un pays qui a fait complètement basculer les statistiques : la Chine.
Au début, on n'avait pas réalisé l'ampleur de cette maladie. Très rapidement la quasi-totalité des provinces chinoises ont été touchées.
Zhan Su, professeur en gestion des affaires internationales à l'Université Laval.
Photo : Radio-Canada
Avec plus de 400 millions de bêtes, la Chine produit la moitié du porc mondial. En comparaison, le Canada en produit 21 millions par année.
Je pense que personne n’avait envisagé que ça se déploierait aussi vite partout. En termes d’impact sur les productions animales, c’est du jamais-vu.
Vétérinaire de formation, Nils Beaumond analyse les marchés mondiaux de la viande depuis 30 ans. De toute ma carrière, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi sérieux
, souligne-t-il.
Nils Beaumond, consultant chez Girafood.
Photo : Radio-Canada
Il explique que la structure même des élevages en Chine, et dans de nombreux autres pays d’Asie, a grandement facilité la propagation de la maladie.
Alors qu’au Canada et en Europe la production est très industrialisée – il n’est pas rare qu’une ferme porcine compte quelques milliers de bêtes –, en Asie, c’est tout le contraire.
La majorité des porcs sont élevés dans de petites fermes familiales, où les animaux sont souvent gardés à l’extérieur, dans la basse-cour.
Pour la biosécurité, ces petites fermes sont un cauchemar.
On peut exiger d’un éleveur qu’il prenne une douche et qu’il se change complètement avant d’entrer dans un élevage important. Celui qui va voir trois porcs le matin, le midi et le soir ne va pas prendre sa douche trois fois par jour. C’est absolument impossible.
Une porcherie familiale de Changtu, en Chine.
Photo : Reuters / Ryan Woo
En Chine, le premier cas a été déclaré en août 2018. Pendant plusieurs mois, on a cru que la situation était maîtrisée, mais la réalité était tout autre.
Les foyers d’infestation n’étaient tout simplement pas déclarés. Encore aujourd’hui, le gouvernement chinois n’a confirmé qu’une infime partie des cas.
Le principe adopté par le gouvernement chinois, c'est toujours d’essayer de rassurer les gens. En d'autres termes, s'il y a des mauvaises nouvelles, il vaut mieux ne pas les rendre publiques.
Craignant de perdre leurs bêtes et de ne pas recevoir les compensations financières promises par Pékin, certains éleveurs se sont dépêchés de vendre leurs cochons malades. Ceux-ci étaient souvent transportés et abattus dans d’autres provinces, multipliant ainsi les foyers d’infestation.
Plusieurs éleveurs ont également raconté avoir subi des pressions de représentants locaux du gouvernement qui ne souhaitaient pas avoir de tache à leur dossier. On enjoignait donc aux éleveurs de se taire ou d’en subir les conséquences.
Pendant ce temps, la maladie progressait…
Les pays d'Asie où la peste porcine est présente.
Photo : Radio-Canada
Fin septembre 2019, l’Organisation mondiale de la santé animale annonçait de sombres prévisions : le quart du cheptel porcin mondial pourrait succomber des suites de la peste porcine africaine cette année. Rien qu'en Chine, cela représente plus de 100 millions de porcs.
En l’absence de vaccin ou de traitement contre la peste porcine africaine, le seul moyen de freiner l’avancée de la maladie est l’élimination des bêtes et leur enfouissement profond. Évidemment, ça fait très mal pour nous de voir ces animaux qui étaient enterrés vivants, parfois brûlés vivants.
L'élimination sanitaire des animaux en cas d'épidémie de ce genre pose toujours énormément de problèmes. C'est très, très compliqué à mettre en œuvre correctement.
Un porc mort de la peste porcine.
Photo : AFP
Le Canada toujours exempt
Au Canada, de telles pratiques contreviendraient aux règlements sur le bien-être animal. Mais Jaspinder Komal estime qu’il faut se pencher sur cette question.
La maladie est toujours absente du territoire canadien, mais les autorités se préparent à toute éventualité.
Et quand on lui parle de la menace que pose la peste porcine africaine au Canada, le vétérinaire en chef avoue d’emblée que cette perspective le tient éveillé la nuit.
La concentration globale du virus dans le monde est en hausse, donc si ça continue à augmenter, la menace va continuer à augmenter.
Pour prévenir l’entrée du virus au Canada, on redouble d’efforts, notamment dans les aéroports.
Des investissements de plus 30 millions de dollars ont été annoncés cette année pour former de nouveaux chiens renifleurs et des amendes pouvant aller jusqu’à 1300 $ sont prévues en cas d’importation illégale de viande.
Le Canada a investi afin de former plus de chiens renifleurs.
Photo : Radio-Canada
La détection d’un seul cas entraînerait la fermeture temporaire des frontières canadiennes à l’exportation, une catastrophe pour l’industrie porcine. Le Canada vend à l'étranger 70 % de son porc, des exportations évaluées à 4 milliards de dollars.
Ce n’est pas seulement une maladie qui touche les cochons, c’est une question de commerce, d’économie, de sécurité des aliments.
Un vaccin à l’horizon?
Même si la maladie a été observée pour la première fois en Afrique il y a plus d’un siècle, un diagnostic de peste porcine africaine signe, encore aujourd’hui, l’arrêt de mort de presque tous les animaux atteints.
Pendant longtemps, tant que c'était une maladie limitée à l'Afrique notamment, la recherche a peut-être été insuffisante sur ce virus.
Jaspinder Komal ajoute que la complexité du virus rendait jusqu’ici le progrès difficile. Mais grâce aux avancées technologiques des dernières années, la recherche progresse.
Avant, nous n’avions pas d’outils de génomique aussi développés qu’aujourd’hui.
Dans notre laboratoire de Winnipeg, nous sommes en train de séquencer toutes les souches de peste porcine africaine qui existent dans le monde. Ces données vont nous apporter une meilleure connaissance du virus
, affirme M. Beaumond.
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Le reportage de la journaliste-animatrice Catherine Mercier et du réalisateur André Raymond a été diffusé le 7 décembre 2019.