ArchivesJehane Benoît, pionnière de l’art culinaire au Québec
Grande communicatrice, Jehane Benoît a publié la célèbre Encyclopédie de la cuisine canadienne en 1963.
Photo : Radio-Canada / André Le Coz
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
À une certaine époque, chaque foyer du Québec possédait son exemplaire de L’encyclopédie de la cuisine canadienne, véritable bible culinaire publiée initialement par Jehane Benoît en 1963. Nos archives témoignent de l’influence de cette communicatrice avant-gardiste qui a consacré sa vie à transmettre sa passion : l'alimentation.
Née à Montréal en 1904, la jeune Jehane Patenaude grandit dans un milieu bourgeois. Après ses études au couvent du Sacré-Cœur, elle part à Paris au début des années 1920 pour étudier la chimie alimentaire à la Sorbonne.
Diplômée en 1925, elle revient à Montréal et est rapidement sollicitée pour transmettre ses connaissances. Elle ouvre ainsi en 1933 une école de cuisine laïque, Le fumet de la Vieille France, puis un restaurant avec un tout nouveau concept végétarien pour les étudiants ou les travailleurs pressés du centre-ville, le Salad Bar.
Jehane Benoît à la radio
Première de couverture du cahier Les recettes Fémina, 1959
Photo : Radio-Canada
Durant la Seconde Guerre mondiale, Jehane Benoît fait ses premiers pas à la radio en proposant des recettes à concocter en période de rationnement. Elle est ensuite recrutée par l’émission Fémina en 1954 afin d’offrir une chronique qui vise à développer l'imagination des ménagères en art culinaire et à rendre attrayante la préparation de petits plats, tout simples, mais à la saveur particulière
. (La semaine à Radio-Canada, du 17 au 23 octobre 1954)
Sa chronique hebdomadaire suscite un tel engouement que Radio-Canada publie le cahier Les recettes Fémina tiré de sa participation à l’émission. En 1959, 14 000 demandes parviennent à la direction de Radio-Canada afin de se procurer cette brochure moyennant la modique somme de 25 cents l’exemplaire.
Metro-magazine (audio), 18 septembre 1963
Photo : Radio-Canada / Pierre Gaudard
Dès lors, Jehane Benoît sollicite les auditeurs et auditrices à travers le pays afin qu'ils lui envoient leurs recettes inédites qui se transmettent de génération en génération. Elle les lit en ondes, les enrichit et les compile pour ses livres de recettes, dont le plus célèbre est L’encyclopédie de la cuisine canadienne.
L’imposant volume de plus de 1000 pages est le fruit de plusieurs années de recherches et de travail, souligne Jehane Benoît à l’émission Métro-Magazine du 18 septembre 1963 au moment de sa publication.
Chacun des 52 chapitres est précédé de règles fondamentales afin d’accompagner autant la jeune femme qui ne sait absolument rien faire du point de vue de la cuisine
que la gourmande, la raffinée qui est bonne cuisinière et qui aime à faire sauter ses crêpes et à flamber ses canards
, explique-t-elle à l’animateur Jean Garneau.
J'espère de tout cœur que cette encyclopédie canadienne va créer ce désir de mettre en évidence la cuisine canadienne du Québec
, exprime également Jehane Benoît, qui souhaiterait que davantage de restaurants ajoutent à leur menu nos plats et spécialités régionales.
Une carrière au petit écran
Montage d'archives : Jehane Benoît à l'écran. Réalisation : Patrice Pouliot
En somme, pour faire la cuisine, il faut user de son intelligence et il faut user de son nez.
Ce montage d’archives nous donne une idée de l'approche chaleureuse et accessible de Jehane Benoît, de son enseignement culinaire et, surtout, de son rôle de pédagogue à la télévision canadienne.
L’influence de Jehane Benoît ne se limite d’ailleurs pas au Québec, puisqu’elle mène une carrière bilingue d’un bout à l’autre du pays. À l’antenne de la télévision Radio-Canada, elle collabore notamment aux émissions Bonjour Madame, Femme d’aujourd’hui et Au jour le jour. Puis du côté de CBC, elle prend part aux émissions Living, Open House et Take 30. On lui doit aussi la première émission culinaire canadienne destinée aux enfants : The Young Chefs.
Souvent, on dit : "la cuisine canadienne, il n’y en a pas". C'est absolument faux, il y en a! Ça serait trop long de vous prouver pourquoi il y en a, mais il y a une foule de plats qui sont très particuliers au pays.
Recettes et conseils de Jehane Benoît
Figure reconnue et respectée, la gastronome s’associe également à quelques marques commerciales, dont la soupe Campbell, l’enduit antiadhésif PAM et les contenants de plastique Frig-O-Seal.
Puis, au tournant des années 1980, Jehane Benoît s’intéresse à la cuisson au four micro-ondes. Son partenariat avec Panasonic l’amènera à voyager au Japon pour y transmettre les riches connaissances qu’elle a acquises.
Une pionnière de la cuisine au four à micro-ondes
Alors âgée de 75 ans, Jehane Benoît sort de sa retraite et entreprend de réécrire ses recettes pour les adapter à une nouvelle technologie : le four à micro-ondes.
Au jour le jour, 22 novembre 1985
L’animateur Normand Harvey la reçoit à l’émission Au jour le jour du 22 novembre 1985 pour discuter de son nouveau livre spiralé en quatre volumes, qui offre, souligne-t-elle, une manipulation plus aisée.
La diplômée de la Sorbonne explique que sa formation en chimie alimentaire l’a aidée à maîtriser ce type de cuisson qui permet de mieux conserver les vitamines des aliments.
C'est la première fois que j'avais un four qui appliquait toutes les données de chimie alimentaire
, exprime Jehane Benoît sur sa découverte de la cuisson au micro-ondes. Ça économise énormément de temps et la saveur est parfaite!
L’illustre cuisinière affirme même qu’elle cuisine maintenant uniquement au four à micro-ondes. Son four traditionnel ne lui sert que pour réchauffer ses croissants.
Victime d’un infarctus, Jehane Benoît décède deux ans plus tard, le 24 novembre 1987, à l’âge de 83 ans.
L’héritage de Jehane Benoît
Montréal ce soir, 25 novembre 1987
Au lendemain de son décès, l’animateur Charles Tisseyre reçoit Josée Blanchette à l’émission Montréal ce soir du 25 novembre 1987. La journaliste revient sur l’influence qu’a exercée Jehane Benoît au Québec.
Selon elle, la cuisinière qui avait fait ses classes à Lyon en plus de la Sorbonne se démarquait par sa connaissance de la cuisine régionale française. Jehane Benoît a apporté un éventail de recettes auxquelles se rattachaient une culture, une histoire
, affirme la journaliste.
Josée Blanchette raconte aussi que Jehane Benoît a d’abord souhaité devenir comédienne. Un choix que n’approuvait pas sa mère. Son talent de communicatrice témoigne-t-il de cet amour pour le théâtre? La journaliste insiste sur l’humour et la vivacité de cette grande dame de l’art culinaire.
Elle était avant-gardiste, et c’est ce qui va nous permettre de la suivre encore de nombreuses années.
C’est ça la vie, 9 novembre 2012
Plus récemment, le Musée des communications et d’histoire de Sutton consacrait une exposition à Jehane Benoît, qui a passé les vingt dernières années de sa vie dans cette municipalité avec son mari, Bernard Benoît.
Ce reportage d’Anne-Claire Fournier à l’émission C’est ça la vie du 9 novembre 2012 nous montre le portrait qu’on y fait de cette femme moderne et inspirante qui a mené une vie trépidante pour son époque.
Elle a su s'adapter à tout le monde
, explique le commissaire de l’exposition Richard Leclerc. Elle n'a pas cuisiné pour les grands chefs et les grandes cuisines, mais a appris à son public à cuisiner avec économie, souligne-t-il dans cet entretien.
Bien avant que l’on parle de terroir, Jehane Benoît a su établir une cuisine adaptée à la région qu’elle habitait, une cuisine qui mettait en valeur les aliments disponibles pour tous.
L’héritage de Jehane Benoît se trouve ainsi dans ce patrimoine culinaire qu’elle est parvenue à rassembler et à diffuser, dans son approche à la fois chaleureuse et pédagogique pour le communiquer, et dans le cran qu’elle a pu avoir comme femme à cette époque pour piloter ce dessein.
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