Réjean Ducharme et la liberté à tout prix
Réjean Ducharme
Photo : Claire Richard / Succession Réjean Ducharme
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il demeure un des artistes les plus mystérieux qu'a connu le Québec. Réjean Ducharme, décédé mardi (Nouvelle fenêtre), a marqué la littérature d'ici et celle de la francophonie, mais a toujours refusé de compromettre son anonymat, pour une question de liberté, selon son éditeur.
Dès le début de sa carrière, alors que les presses française et québécoise crient déjà au génie, le jeune écrivain refuse toutes entrevues. Il ne veut pas être enregistré, photographié ni filmé.
Après la parution de L'avalée des avalés, en 1966, Radio-Canada s'entretient avec ses parents, Omer Ducharme et Nina Lavallée. Après cet entretien, Réjean Ducharme demandera à ses proches de ne plus s'adresser aux médias.
Nina Lavallée, la mère de l'écrivain Réjean Ducharme
Photo : Radio-Canada
En 1968, un photographe du quotidien Le Nouvelliste parvient à prendre quelques clichés de Ducharme. L'écrivain replongera ensuite dans un anonymat complet.
Dans l'ombre
Cette absence totale de l'espace public nourrit également les rumeurs selon lesquelles Réjean Ducharme n'existerait pas, mais serait plutôt un pseudonyme emprunté par un auteur établi.
Ses 15 minutes de gloire, l'écrivain n'a jamais voulu s'en prévaloir.
« Il n'a jamais dérogé de cela, explique son éditeur chez Gallimard, Rolf Puls, qui n'a que très rarement rencontré Réjean Ducharme en 40 ans de collaboration. C'était quelqu'un d'extrêmement conséquent, c'était un être libre. La liberté, quand on la pousse, quand on la revendique de la sorte, c'est un exemple pour la jeunesse. »
Rolf Puls, éditeur chez Gallimard
Photo : Radio-Canada
L'écrivain en avait particulièrement contre la radio et la télévision. Jusqu'à sa mort, sa méfiance ne s'est jamais dissipée.
[Il avait] la méfiance à l'égard des adultes, la méfiance à l'égard de tous ceux qui veulent vendre quelque chose, comme la radio et la télévision, qui veulent nous vendre du déodorant.
« Pas un extra-terrestre »
Robert Charlebois, qui a bien connu Réjean Ducharme et qui a mis en musique une trentaine de ses textes, allait dans le même sens lors d'une entrevue donnée en 2011. Il n'a pas souhaité, mardi, réagir à la mort de l'écrivain.
C'est un humain, pas un extra-terrestre, même s'il a un comportement d'extra-terrestre. Il n'est pas fait comme nous autres. Consommer, ça n'existe pas pour lui. Tu ne peux pas dire à Réjean que pour des raisons matérielles, on va faire un film, une chanson ou un livre. S'il a cinq cents, il dépense cinq cents; s'il a cinq piastres, il dépense cinq piastres; s'il a 5000 $, il dépense 5000 $. Ce n'est pas un consommateur.
Selon Rolf Puls, « son attitude de ne pas vouloir se mêler du monde médiatique, de ne pas vouloir donner d'interviews », s'explique par le fait que Ducharme « n'a jamais voulu que quiconque lui mette le grappin dessus ». Ce vide médiatique aurait eu des conséquences sur la carrière de l'écrivain.
C'est sûr que s'il avait consenti à aller dans les émissions littéraires, à donner des interviews, son œuvre en aurait bénéficié, et il s'en serait mieux porté financièrement, et Gallimard aussi.
Avec les informations de Louis-Philippe Ouimet et de Mélanye Boissonnault