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La quête de la modernité du designer Philippe Starck

Le designer Philippe Starck

Philippe Starck

Photo : James Bort

Radio-Canada

Modernité, évolution, révolution. Le designer français Philippe Starck livre sa pensée sur le monde dans lequel on vit. Michel Désautels l'a interviewé.

Michel Désautels – Plus on avance dans la modernité, avec les technologies et toutes les promesses qu’elles amènent, plus le sens de la vie nous file entre les doigts. Est-ce également la sensation que vous avez?

Philippe Starck – Non. Absolument pas. Ce mouvement profond antiprogrès est non pas dangereux, mais contre nature. C’est la négation de nous-mêmes, de toute notre différence, et c’est la négation du travail de milliards de gens qui nous ont précédés. La différence entre nous et une vache, c’est qu’on pense et que l’on crée du progrès. Aujourd’hui, on a la preuve, au bout de ces quelques centaines de milliers d’années de l’homme moderne que la partie bénéfique a été supérieure à la partie négative, puisque nous sommes encore là! Il y a moins de morts infantiles, il y a moins de conflits et, s’il n’y avait pas des gens intéressés à créer du stress, on s’apercevrait qu’on vit dans un moment formidable. Le progrès, c’est nous. Nous sommes le progrès. Nous sommes nés sous la forme d’une amibe qui n’était vraiment pas brillante, il y a près de 4 milliards d’années. Je vais caricaturer, mais nous sommes devenus un poisson, une grenouille, un singe, et aujourd’hui nous sommes un super-singe. Nous sommes à la moitié de notre histoire terrestre, puisque dans quatre milliards d’années le soleil va imploser.

M.D. – Bien que très évolué par rapport à l’amibe que nous étions, il nous manque encore un peu de vision, parce que malgré les progrès formidables que vous décrivez, on est en train de construire un avenir qui ne se rendra pas à 8 milliards d’années. Est-ce le cas?

P.S. – Vous avez prononcé le mot. L’important c’est de garder la vision. Quand on perd la vision, quand on arrête de travailler sur notre évolution, il faut récupérer ce qui a été perdu pendant ce palier, à ce moment, cela s’appelle une révolution. Une révolution, c’est très cher. Il faut brûler des voitures, tuer des gens, couper des têtes. Il n’y a pas besoin de révolution. Si l’évolution est constante, ce sera un travail permanent, permanent, permanent. Il ne faut pas céder à la paresse.

M.D. – Selon vous, le designer rend la vie plus agréable. Vous avez toujours voulu faire œuvre utile – prendre le moins de choses possibles pour en faire le plus possible pour le plus de gens possible, et ce n’était pas un slogan. Si l'on avait tout cela avec notre brin de génie et notre métier comme objectif dans la vie, est-ce que notre société serait meilleure?

P.S. – Il y a deux choses dans ce que vous venez de dire qui sont passionnantes. C’est le choix binaire dans la responsabilité de notre métier par rapport à la communauté. Il y a être utile ou être inutile. Il y a certains degrés, mais tout en haut, c’est binaire. Utile, c’est ce qui sauve la vie. Inutile, c’est tout le reste, à plusieurs niveaux. Le designer est inutile, dans la mesure où le design n’a aucun pouvoir de sauver la vie. Il a juste, à son mieux, le pouvoir, l’espérance d’améliorer la vie. Ce serait formidable si nous faisions tous des métiers utiles, surtout à une époque où il y a de nouveaux enjeux qui demandent la plus grande urgence.

L'entrevue de Michel Désautels avec Philippe Starck est présentée dimanche dès 10 h sur ICI Radio-Canada Première, à Désautels le dimanche.

M.D. – Vous avez eu une idée utopique, il y a trois ou quatre ans, lorsque vous avez suggéré de mettre sur pied un laboratoire de réflexion qui réunirait des centaines de millions de chômeurs. Collectivement, ils diraient aux gouvernements ce qu’ils peuvent faire afin d’améliorer la situation du travail. Croyez-vous toujours à cette idée?

P.S. – Vous me faites plaisir, parce que j’avais oublié cette idée. L’idée n’était pas totalement idiote. Mais, surtout, elle est totalement réalisable. C’est vrai, qu’aujourd’hui, dans le monde, nous avons une masse de chômeurs, qui n’ont pas de travail et qui ont perdu leur dignité. On peut faire perdre un peu la baisse du niveau d’achat, on peut faire perdre un petit peu le bout de pain qu’on va manger, mais on ne peut jamais s’habituer à la perte de dignité. Car quand on perd cela, on a tout perdu. Donc, il est urgent, à la fois pour des raisons altruistes et égoïstes, de solutionner la situation du travail.

M.D. – En tant qu’Européen, êtes-vous inquiet de voir que l’Europe pourrait être mise en échec?

P.S. – Ça me terrifie tellement que je sais que ça ne peut pas arriver. Les gens qui sont eurosceptiques sont des gens qui ont intérêt à ce que l’Europe s’effondre ou ce sont des imbéciles, ou des gens qui n’ont pas voyagé suffisamment pour comprendre ce qui se passe à l’extérieur. Le monde est fait de grands blocs, qui vont petit à petit se synthétiser, se regrouper. Et si l’Europe n’est pas un grand bloc, elle sera écrasée. Il n’y a pas d’autre choix.

M.D. – Plus que l’efficacité – comme vous en avez parlé plus tôt –, est-ce que le bonheur ne constitue pas votre quête de créateur?

P.S. – Je suis toujours surpris des gens qui mettent la recherche du bonheur avant tout. Je ne suis pas sûr que l’important c’est le bonheur. Ce mot représente une construction intellectuelle fausse. Je crois même que les gens sont malheureux parce qu’ils ne croient pas être heureux. Ils sont malheureux parce qu’ils n’ont pas quelque chose qui n’existe pas. On n’a pas à être heureux ou malheureux, on a juste à vivre.

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