Le spectre d’une sécheresse prolongée plane sur l’Alberta
L'Alberta a connu de graves périodes de sécheresse en 2009, 2010, 2015, 2021 et 2023. Celle de 2001 a été la plus dévastatrice, coûtant 5,8 milliards de dollars à l'économie canadienne.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
L'Alberta a connu de graves périodes de sécheresse en 2009, 2010, 2015, 2021 et 2023. Celle de 2001 a été la plus dévastatrice, coûtant 5,8 milliards de dollars à l'économie canadienne.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Les signes laissant présager un nouvel épisode de sécheresse sévère en Alberta sont difficiles à ignorer. L’hiver est à peine terminé, mais les réserves d’eau dans le sud de la province sont à des niveaux anormalement bas. Des avis de conservation de la ressource ont déjà été diffusés par certaines municipalités et le secteur de l’agriculture est en état d’alerte avant même d’avoir commencé à semer.
Dans le district municipal de Pincher Creek, à 200 km au sud de Calgary, la prise d’eau qui dessert les quelque 4000 habitants de la région a cessé de fonctionner depuis août dernier, faute d’eau dans la rivière Crowsnest.
C’est la première fois que l’eau descend aussi bas, au point où notre prise n’est plus submergée.
La rivière est un affluent du réservoir Oldman, un des plus grands du sud de l’Alberta. Selon les données récentes du gouvernement provincial, son niveau est deux fois plus bas que la normale à cette période-ci de l’année.
Le réservoir Oldman a été construit en 1991 pour alimenter un vaste réseau d'irrigation dans le sud-ouest de l'Alberta et permettre aux agriculteurs affectés par la sécheresse de diversifier leurs cultures.
Photo : Radio-Canada
Un peu plus à l’est, le réservoir St. Mary, qui alimente de son côté le plus grand district d’irrigation du Canada, contient pour sa part moins du quart de ses réserves habituelles.
L’eau a toujours été une denrée rare en Alberta. Depuis des siècles, les sécheresses vont et viennent dans le climat semi-aride du sud de la province. Cependant, avec les changements climatiques, la rareté de l’eau est un problème de plus en plus préoccupant.
David Cox, préfet du district municipal de Pincher Creek, estime la facture des mesures mises en place pour pallier les problèmes d'eau dans la rivière Crowsnest à plus d'un million de dollars.
Photo : Radio-Canada / Anne Levasseur
C’est un signal d’alarme. Dépendre d’une seule source d’approvisionnement nous rend très vulnérables aux aléas de la météo
, dit David Cox.
D'ici quelques mois, le préfet espère obtenir les fonds pour creuser deux puits artésiens, ce qui leur permettrait de ne plus dépendre entièrement du débit de la rivière Crowsnest. En attendant, le district municipal de Pincher Creek a dû installer une pompe temporaire dans le mince filet d’eau qui coule au fond du lit de la rivière Crowsnest.
En été, la rivière Crowsnest est un lieu de plaisance populaire pour les amateurs de sports nautiques.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Comme cela ne suffit pas dans les périodes de fortes demandes, le district doit aussi acheter de l’eau à la Ville de Pincher Creek et la transporter par camion, soir et matin, jusqu’à son usine de traitement des eaux. Le coût de tout ça est énorme
, reconnaît David Cox.
Des revenus menacés
Pour tout le sud de l’Alberta, des milliards de dollars en revenus agricoles pourraient aussi être mis en péril si les réserves d’eau ne s’améliorent pas dans les prochains mois. Sans irrigation, les terres les plus rentables de la province ne peuvent pas produire à leur plein potentiel.
Les faibles précipitations en Alberta ont nui aux agriculteurs l'an dernier.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Selon un rapport d’experts commandé en 2021 par l’Association des districts d’irrigation, moins de 5 % des terres agricoles albertaines sont irriguées, mais leur rendement représente 27 % des recettes du secteur agroalimentaire provincial.
Une grande partie de nos récoltes dépend de l’irrigation.
Ryan Selk, copropriétaire d'une ferme laitière, compte semer de l'orge cet été plutôt que du maïs pour limiter ses besoins en eau.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
À titre d’exemple, le producteur laitier explique qu'une terre irriguée peut donner trois ou quatre récoltes de foin
par an, contre une seule pour les cultures non irriguées. Or, pour irriguer, il faut de l’eau, beaucoup d’eau.
Néanmoins, dans les Rocheuses, les quantités de neige reçues cet hiver sont jusqu’ici bien en deçà des seuils nécessaires pour remettre les réservoirs à flot.
Selon John Pomeroy, spécialiste des eaux de l’Université de la Saskatchewan, les accumulations sont par endroits à un niveau de 150 à 200 mm plus bas que la normale. Cet expert étudie les effets du climat sur les ressources d’eau dans les Prairies depuis des années.
La rivière Crowsnest fait partie des affluents du réservoir Oldman et puise la majeure partie de son eau dans les Rocheuses.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
À défaut d’importantes précipitations de neige et de pluie d’ici juin, le chercheur craint que les quantités d’eau qui s'écouleront des montagnes au printemps soient largement insuffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins en aval.
C’est ce qui nous a causé des ennuis avec la sécheresse l’an dernier et qui risque de se produire cette année encore.
L’eau, une ressource limitée à partager
En prévision d’un autre été de sécheresse sévère, le gouvernement albertain a entamé depuis janvier des discussions avec les plus grands consommateurs d’eau de la province.
En Alberta, près de la moitié des ressources en eau disponibles sont allouées à l’irrigation. La province est divisée en 11 districts d’irrigation et, ensemble, ceux-ci ont la priorité sur les ressources en eau disponibles devant tous les autres secteurs de l’économie… même la consommation humaine.
L’allocation de l’eau dans la province est régie par un système de licences qui date de 1894. Les titulaires des permis les plus anciens ont priorité sur leurs cadets.
Historiquement, lorsque la ressource est limitée, des ententes sont conclues entre les différents titulaires de permis pour partager les réserves d’eau disponibles.
Un système de gicleurs permet l'irrigation des champs en Alberta.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
La province compte donc sur les districts d'irrigation pour partager leurs allocations et éviter que le reste des Albertains subisse les effets d’une pénurie majeure.
Légalement, à cause de leur droit d’ancienneté, les districts d’irrigation pourraient exiger de recevoir leur pleine allocation d’eau […], mais nous ne le ferons pas
, explique David Westwood, directeur général du district d’irrigation de St. Mary.
Le responsable du plus vaste district d’irrigation au Canada affirme que les districts d’irrigation ont toujours reconnu l’importance de permettre à tous les autres secteurs de la société d’avoir accès à l’eau dont ils ont besoin
.
Par ailleurs, il estime que les négociations amorcées en janvier avec le gouvernement provincial et les autres titulaires de licences vont bon train et qu’elles se déroulent dans un esprit de collaboration qui est très positif
.
Le reportage d'Anne Levasseur
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Des restrictions inévitables
L’imposition de restrictions d’eau semble toutefois inévitable, tant pour le secteur agricole que pour les municipalités.
Nous avons déjà avisé les producteurs qu’il y a de fortes chances que nous soyons obligés de limiter les quantités d’eau disponibles pour l’irrigation
, affirme le directeur général du district d’irrigation de St. Mary.
Sur sa terre, Ryan Selk s’inquiète déjà des quotas qu’il pourrait se voir imposer. On a besoin d’une certaine quantité d’eau pour certaines cultures
, fait-il valoir.
De son côté, la Ville de Calgary a déjà lancé une campagne de sensibilisation pour encourager sa population à économiser l’eau. De plus, elle prévient que des restrictions d’usage à l’extérieur pourraient être imposées dès le mois de mai.
Vue du centre-ville de Calgary
Photo : Radio-Canada / Tiphanie Roquette
Dans le district de Pincher Creek, les restrictions d’eau font déjà partie du quotidien de la population depuis l’été dernier.
Je ne crois pas qu’on pourra lever les restrictions d’eau de sitôt. Il faudrait voir une augmentation majeure de nos réserves avant de pouvoir y songer.
Pour sa part, John Pomeroy croit que la situation actuelle est un bon exemple de ce qui attend les Prairies d’ici la fin du siècle. Les températures, les précipitations, le manteau neigeux : ce qu’on voit ressemble aux modèles de ce qui sera la norme dans environ 75 ans
, constate-t-il.
Il estime qu’il faut apprendre de cet épisode, l’étudier et identifier où sont nos faiblesses. Apprendre à s’adapter à ces conditions, c’est notre meilleur espoir pour le futur
, soutient-il.