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Depuis des décennies, les déchets s’entassent dans un immense dépotoir entouré de quartiers résidentiels en plein cœur d’Arvida.
Enquête

De l’Amazonie au Québec, la face cachée de l’aluminium vert

Au Québec, Rio Tinto projette l’image d’un aluminium propre et responsable. Mais ses prétentions vertes sont loin de refléter la réalité, malgré les millions de dollars de fonds publics investis. Enquête a remonté toute sa chaîne de production, de l’extraction de la bauxite en Amazonie jusqu’aux dépotoirs de déchets miniers à Saguenay, et a découvert qu’il s’agit d’une forme d’écoblanchiment.

Depuis plusieurs années, Rio Tinto se vante de produire du métal vert avec de l’hydroélectricité québécoise plus propre que le gaz ou le charbon utilisés ailleurs.

Ces prétentions écologiques ont atteint leur paroxysme en 2018 avec l’annonce de l’arrivée prochaine de la technologie Elysis, un procédé révolutionnaire de fusion de l’aluminium qui promet d’éliminer le carbone et même de produire de l’oxygène.

Ce discours a ensuite été repris par des politiciens, comme François Legault et Pierre Fitzgibbon, qui répètent sur toutes les tribunes que le Québec produit l’aluminium le plus vert au monde.

Pourtant, les quatre alumineries de Rio Tinto et sa raffinerie de bauxite trônent toujours au palmarès des 20 plus gros pollueurs du Québec en raison de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Une compilation des amendes infligées à la multinationale pour sa division aluminium faite par Enquête révèle aussi qu’elle se hisse au 3e rang des délinquants environnementaux de la province, en plus d’être inscrite au registre fédéral des contrevenants, avec 2,1 millions de dollars en sanctions depuis 15 ans.

L'aluminium miracle d’Elysis, fruit d’un partenariat entre Rio Tinto et Alcoa, devait être commercialisé cette année. Mais la technologie est encore loin d’être déployée à grande échelle.

Derrière un quartier en apparence ordinaire de Jonquière se cache un immense dépotoir.

Derrière un quartier en apparence ordinaire de Jonquière se cache un immense dépotoir.

Photo : Radio-Canada

Quand on dit que c'est un mirage ou un écran de fumée, c'est qu’on réussit à gagner du temps, observe un ancien porte-parole de l’entreprise, Jacques Dubuc.

La compagnie disait dans ses rencontres avec les analystes financiers qu'Elysis ne verrait pas le jour avant 2035, renchérit Myriam Potvin, une ex-cadre de Rio Tinto Alcan.

Les gouvernements ont déjà investi 160 millions de dollars pour développer Elysis. Mais voilà que l'industrie réclame encore plus de fonds publics pour faire avancer son projet.

La direction de Rio Tinto devra d’ailleurs comparaître à Ottawa en avril pour expliquer où s'en va son programme.

Nous avons contacté Elysis, qui a refusé de dévoiler son nouveau calendrier, disant être pleinement concentrée sur la recherche et le développement.

Rio Tinto confirme qu’un prototype de taille commerciale doit être mis en service plus tard cette année.

Le reportage de Priscilla Plamondon-Lalancette

De l’aluminium vert, vraiment?

Selon les recherches de la professeure de l’ÉNAP Marie-Claude Prémont, l’opération de verdissage de Rio Tinto détourne le regard de son réel bilan environnemental.

L'aluminium vert est un instrument de marketing. C'est un label qu'on vient ajouter à une industrie qui a peu changé depuis des décennies, explique la chercheuse.

Les experts le disent, l’écoblanchiment, c’est quand une compagnie masque ses opérations polluantes avec une image écoresponsable qui trompe le public.

L’étiquette verte de l’industrie a vu le jour en 2007, bien avant Elysis, dans la foulée de l’instauration de la bourse du carbone au Québec. La facture s’annonçait salée pour les alumineries en tête de liste des pollueurs.

Mais en utilisant cette façade verte en coulisses, l’industrie a réussi à obtenir une exemption pour les GES qu’elle émet, remarque Marie-Claude Prémont.

La professeure de l’ÉNAP Marie-Claude Prémont.

La professeure de l’ÉNAP Marie-Claude Prémont.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

En l’absence de pénalité financière, 17 ans plus tard, les émissions de Rio Tinto n’ont pratiquement pas changé.

D’ailleurs, même si Elysis avait fait son entrée dans toutes les alumineries québécoises cette année comme promis, le bilan carbone ne serait pas nul parce que le reste de la chaîne de production pollue aussi.

À elle seule, la production de l'alumine nécessaire à la fusion de l'aluminium génère entre 1,3 et 2 tonnes de CO2 par tonne d’aluminium, selon la proportion d'alumine produite sur place ou importée.

C'est un peu regrettable de voir nos hommes et nos femmes politiques avoir si peu d'esprit critique par rapport à un instrument de marketing. Parce que le rôle des élites politiques est non pas de gober les yeux fermés ce que l'industrie dit, mais de faire une évaluation de la situation au nom de l'intérêt public. Et le gouvernement prend fait et cause pour l'industrie dans cette affaire-là, signale la professeure Marie-Claude Prémont.

Apple, Ford, Audi, BMW et la bière Michelob Ultra font partie des compagnies qui ont signé des ententes pour obtenir ce métal soi-disant carboneutre et non polluant.

Des déversements non déclarés aux autorités

Un lanceur d’alerte qui œuvre au sein des installations de Rio Tinto à Jonquière, et dont nous devons protéger l’identité, met le public en garde contre cette image verte. Il porte un jugement sévère sur des pratiques dont il a été témoin.

Le respect de l'environnement est seulement là pour bien paraître. Mais ce qu'on peut vivre à l'interne, ce n’est pas la réalité. C'est vraiment juste un écran de fumée.

Cette personne a vu de nombreux incidents et déversements toxiques au fil des ans. Certains ont été déclarés au ministère de l’Environnement, mais bien d’autres sont passées sous le radar des autorités, soutient-elle.

On a eu des déversements dernièrement. On a tout simplement remis du matériel (du gravier, de la terre...) pour dissimuler la couleur et dissimuler le déversement, explique cette source. On a un système interne qui s'occupe de gérer ces cas-là. Ils sont supposés être déclarés au ministère. Mais, personnellement, je peux le voir, ce n’est pas fait.

La raffinerie Vaudreuil de Rio Tinto à Jonquière.

La raffinerie Vaudreuil de Rio Tinto à Jonquière.

Photo : Radio-Canada

Nous avons obtenu copie de la centaine d’infractions environnementales remises à Rio Tinto pour sa division aluminium au Québec. Dans les 15 dernières années, la multinationale s'est fait blâmer à huit reprises parce qu’elle a tardé ou omis de signaler des problèmes de pollution ou des urgences environnementales. À cela s'ajoutent trois manquements pour entrave au travail des fonctionnaires et cinq pour ne pas avoir fourni des documents obligatoires quand c’était requis.

C’est seulement le niveau de l’amende qui peut faire réagir, souligne le lanceur d'alerte.

On fait juste cacher tout le temps, puis balayer en dessous du tapis. Mais il commence à y en avoir pas mal, illustre-t-il.

La compagnie a refusé nos demandes d’entrevue, mais, par courriel, elle nie ces allégations. Rio Tinto Aluminium opère avec une culture de conformité environnementale stricte et va au-delà de la conformité, y compris en regard de la déclaration aux autorités des déversements vers le milieu récepteur. Si un incident survient, il fait l’objet d’une enquête approfondie et les mesures correctives sont mises en place afin d’éviter que l’événement ne se reproduise, écrivent les relationnistes de la multinationale.

En décembre dernier encore, Rio Tinto s’est fait reprocher de ne pas avoir avisé le ministère lors d’un déversement d’acide sulfurique fumant. Selon le rapport d’inspection, la multinationale a contacté les autorités 25 heures après avoir colmaté la fuite à l’usine Vaudreuil de Jonquière, qui transforme la bauxite en alumine.

Des déchets miniers entassés dans la jungle amazonienne.

Des déchets miniers entassés dans la jungle amazonienne non loin du site d'exploitation.

Photo : Radio-Canada

L’Amazonie a mauvaise mine

La bauxite, c’est le minerai qui se trouve au tout début de la chaîne de production de l’aluminium. Et une des sources d’approvisionnement de l’usine Vaudreuil se trouve en Amazonie.

L’équipe d’Enquête s’est rendue dans cette région brésilienne, considérée comme le poumon de la planète. Reconnue pour sa verdure, l’Amazonie est au cœur de la lutte mondiale contre les changements climatiques.

Mais en arrivant à l’immense complexe industriel de la minière Rio do Norte (MRN), c’est plutôt la couleur rouge qui frappe. Tout y est recouvert de bauxite.

La mine à ciel ouvert est située le long de la rivière Trombetas, un affluent du fleuve Amazone. Depuis 45 ans, d’immenses vraquiers parcourent 7000 kilomètres, entre le Brésil et le fjord du Saguenay, pour livrer leurs cargaisons de minerai.

Il faut quatre tonnes de bauxite pour produire une tonne d’aluminium. Et comme ce métal léger est un matériau clé de la transition énergétique, la demande est en croissance.

Je pense que le produit vendu par la société minière contribue et peut contribuer à la fabrication d'aluminium vert, affirme le directeur du développement durable de la mine, Vladimir Moreira.

Ici, la minière coupe la forêt amazonienne et creuse le sol jour et nuit pour répondre aux besoins de l’industrie, notamment pour fabriquer des voitures électriques.

La forêt a été rasée pour extraire du sol la bauxite.

La forêt a été coupée pour extraire du sol la bauxite.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

La multinationale Rio Tinto est actionnaire à 22 % de la mine de Porto Trombetas, un actif dont elle a hérité en rachetant la compagnie Alcan en 2007.

Ce sont d’ailleurs des prospecteurs miniers d’Alcan qui ont découvert le gisement en Amazonie dans les années 1960, grâce à la population locale qui les a protégés des multiples dangers.

En 1979, le premier navire transportant de la bauxite a quitté Trombetas à destination du Canada, se souvient le géologue brésilien Aldo Grossi qui faisait partie de l’équipe d’Alcan.

L’avenir des Quilombolas incertain

Le peuple qui a aidé les employés d’Alcan à survivre dans la jungle était loin de se douter des conséquences.

Ce sont des Quilombolas, des descendants d’esclaves qui ont fui le travail forcé pour créer des communautés dans ce coin isolé de l’Amazonie.

Depuis que la mine s’est installée sur leur territoire, ils disent que leur culture et leur survie sont en péril.

C'est la déforestation. C'est la mort, la pollution, et c'est la dévaluation du territoire. Il n'y a pas d'aluminium vert. Il n'y a pas d'aluminium durable, parce qu’ici, la dignité d'un peuple est violée, lance Carlene Printes, une militante quilombola du village de Boa Vista, collé sur la mine.

Son père Carlos estime que les navires remplis de bauxite détruisent la rivière et tuent les poissons qu’ils mangeaient, que les arbres centenaires où ils cueillaient des noix du Brésil ont presque disparu, tout comme les animaux qu’ils chassaient.

Nous luttons sans relâche, explique celui qui a passé le flambeau à sa fille pour poursuivre le combat.

Carlene Printes, une militante quilombola du village de  Boa Vista.

Carlene Printes, une militante quilombola du village de Boa Vista.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

Tous deux rapportent qu’au fil des ans, les opérations de la mine de Porto Trombetas ont contaminé l’air de poussières rouges et les ruisseaux adjacents de rejets de bauxite. Ils ne peuvent plus boire l’eau qu’ils consommaient autrefois ni pêcher à ces endroits.

Quand il pleut, la crue des eaux charrie des déchets et le ruisseau Agua Fria devient couleur bauxite, dit Carlos. De nombreuses personnes tombent malades à cause de l'entreprise. Mais ils ne font rien pour ces gens-là, allègue-t-il.

Depuis qu’ils ne peuvent plus compter sur les ressources de l’Amazonie, les Quilombolas ont dû aller travailler pour la mine, déplore Marivaldo Rocha, un des leaders de la communauté. Et ça nous a rendus dépendants parce qu'aujourd'hui 90 % des gens y travaillent, souligne-t-il.

Marivaldo est lui-même mécanicien pour MRN depuis 14 ans. Il négocie avec la compagnie pour faire respecter son peuple issu de l’esclavage.

On n'arrête pas d'être esclave, notamment parce que nous travaillons au bas de l'échelle à Porto Trombetas. La majorité des gens ne gagnent pas plus que le salaire minimum.

Et ici, le salaire minimum, c’est moins de 100 $ par semaine.

Des portions du lac Batata sont toujours d'un rouge alarmant.

Des portions du lac Batata sont toujours d'un rouge alarmant.

Photo : Radio-Canada

Le désastre du lac Batata

Quelques kilomètres plus loin, la couleur rouge ne ment pas lorsqu’on arrive au lac Batata, où est survenu un des pires désastres industriels de l’histoire de l’Amazonie.

Entre 1979 et 1989, c’était le dépotoir de la mine.

MRN y a déversé 18 millions de mètres cubes de boues de bauxite, résultant du lavage du minerai. Elles ont recouvert le tiers du lac et anéanti une partie de la forêt.

Ces déchets laissés là continuent de détériorer le lac et de nuire à la population et aux poissons, se désole le chef du village, Raymundo Wilson.

Cent vingt familles habitent autour du lac Batata.

Trente-cinq ans plus tard, seulement une petite partie du lac a été restaurée par la mine. Il faudra encore des décennies d’efforts. En période de sécheresse, il n’est pas rare de voir des tortues ou des alligators emprisonnés dans la boue, raconte notre guide.

Mais en attendant, les gens continuent de s’alimenter dans le lac pour survivre. Plusieurs familles n’ont pas d'autres solutions, elles doivent pêcher et boire cette eau, avoue tristement Raymundo Wilson en nous montrant une poignée de boue.

Raymundo Wilson nous montre une poignée de boue rouge ramassée dans le lac Batata.

Raymundo Wilson nous montre une poignée de boue rouge ramassée dans le lac Batata.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

C’est de l’aluminium rouge que vous devriez dire, pas de l’aluminium vert, ironise-t-il.

La moitié des résidents n’ont toujours pas accès à un puits d’eau potable pour cuisiner ou se laver. Ils se plaignent de problèmes de santé, notamment de démangeaisons. Et les enfants sont les plus touchés.

Des personnes qui boivent cette eau ont la diarrhée et mal au ventre, relate le chef.

Des études scientifiques ont démontré que l’extraction de bauxite peut libérer des métaux lourds comme le plomb, l’arsenic et le mercure, qui peuvent contaminer l’eau.

Mais MRN affirme que ses données techniques établissent qu’il n’y a pas de contamination.

Le directeur Vladimir Moreira assure que les résidus sont inertes et qu’il n’y a aucun danger. Est-ce que vous mangeriez ce poisson-là? lui a-t-on demandé. Bien sûr que j’en mangerais, me répond-il.

Au lac Batata, à Boa Vista et dans les autres villages que nous avons visités autour de la mine, les gens pensent que c’est la pollution de MRN qui les rend malades, mais les données manquent. Des études de santé publique sont en cours pour vérifier si les activités minières sont en cause.

Une famille habite sur ce bateau, ancré sur la rive du lac Batata.

Une famille habite sur ce bateau, ancré sur la rive du lac Batata.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

Une exploitation dévastatrice

Lors de notre passage au Brésil, la sécheresse historique et une vague de chaleur record ont vite compliqué nos déplacements dans les ruisseaux qui sillonnent la forêt amazonienne.

Il a fallu tirer et pousser nos barques, sur de longues distances, malgré les dangers, pour aller à la rencontre des communautés. Ici, les raies piquantes, les piranhas, les anacondas et les crocodiles font partie du quotidien.

Les riverains disent être doublement impactés par le réchauffement de la planète et les conséquences de l'exploitation de la bauxite.

Nous ne voulons pas de dégradation de l'environnement, en particulier pour notre vie qui dépend de l’eau, raconte José Domingos, un résident de Boa Nova qui habite autour du lac Sapucua.

José nous parle de l’érosion créée par la mine située plus haut sur un plateau et des glissements de terrain qui ont défiguré le paysage, en plus de contaminer l’eau.

La procureure de l’État, Lilian Braga, affirme que les activités minières contribuent aux changements climatiques et à la contamination de l’eau. Elle critique le bilan environnemental de MRN.

L'exploitation minière est extrêmement néfaste pour l'Amazonie. Dire que son produit est vert, c'est très grave. C’est très sérieux, vu la chaîne de production de la bauxite. Défricher la forêt, comment on peut dire que c'est écologique? Creuser le sol, comment peut-on dire que c'est vert? s’insurge-t-elle.

Le transport de minerai est incessant.

Le transport de minerai est incessant.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

Rio Tinto dit être consciente des préoccupations liées à l'exploitation de la bauxite au Brésil.

Nous travaillons sans relâche pour continuer à nous améliorer en poursuivant l'intégration de l'économie circulaire et des meilleures pratiques environnementales, sociales et de gouvernance dans l’ensemble de notre chaîne de valeur, de la mine jusqu’au consommateur, déclare Nina Mankovitz, vice-présidente chez Rio Tinto Aluminium.

MRN assure quant à elle que la pollution est chose du passé. Aujourd’hui, le secteur minier compte environ 250 stations de surveillance de la qualité de l'eau, de l'air et du bruit. Et toutes ces stations démontrent qu'il n'y a pas de contamination, indique Vladimir Moreira.

Pourtant, la minière Rio do Norte a reçu près de 12 millions de dollars d’amendes depuis 20 ans pour avoir pollué des ruisseaux, rejeté des substances toxiques dans la nature, coupé des arbres illégalement et fourni de fausses informations sur son bilan environnemental.

MRN assure faire des efforts. Elle nous a montré sa pépinière et les secteurs qu’elle reboise systématiquement l’année suivant l’extraction de la bauxite.

Mais attention à l’image durable que projette la mine, prévient la procureure Lilian Braga. C’est une obligation. Ce n’est pas de la générosité.

Et même si les voitures électriques construites en aluminium sont une solution pour décarboner la planète, elles sont loin d’améliorer le sort de l’Amazonie, dit-elle pour nous conscientiser. D’ailleurs, ici, les déplacements se font surtout en bateau.

Nous avons le sentiment que nous sommes toujours un pays pillé, un pays colonisé, que nos meilleures ressources sont extraites pour contribuer à une vie meilleure que nous n’aurons pas, ici, lance Lilian Braga.

Ce navire est arrivé du Saguenay pour charger sa cargaison de bauxite.

Ce navire est arrivé du Saguenay pour charger sa cargaison de bauxite.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

Les dépotoirs rouges du Québec

La bauxite acheminée par bateau du Brésil est transformée en alumine à la raffinerie Vaudreuil de Rio Tinto qui est en activité depuis 1936 à Jonquière. La seule usine du genre au Canada reçoit aussi du minerai de la Guinée.

Un million de tonnes de résidus sont générés chaque année par ce processus qui précède la fusion du métal.

Le vieux lac de boues rouges toxiques de Laterrière a reçu 10 millions de tonnes de résidus jusqu’en 1989, mais n’a toujours pas été réhabilité 35 ans après la fin des déversements.

Depuis des décennies, les déchets s’entassent dans un immense crassier entouré de quartiers résidentiels en plein cœur du quartier Arvida à Saguenay. Et comme le site arrive bientôt au maximum de sa capacité, le dépotoir va s’agrandir ailleurs.

La production d’alumine est un processus extrêmement polluant. On ne parle jamais de ça quand on parle d’aluminium vert, souligne la professeure Marie-Claude Prémont.

La vue des montagnes de résidus de bauxite contraste effectivement avec l’image écologique proposée par l’industrie.

D’autant que le lieu projeté par Rio Tinto pour son troisième site de dépôt de résidus miniers se trouve dans le Boisé panoramique, une zone verte située en plein cœur de la ville, qui est aussi entourée de résidences.

Ce secteur fréquenté par les amateurs de plein air, été comme hiver, comprend des milieux humides. Il a été sélectionné par la multinationale pour son moindre coût.

Le lac de boues rouges toxiques de Laterrière.

Le lac de boues rouges toxiques de Laterrière.

Photo : Radio-Canada

Le comité citoyen pour un Vaudreuil durable veut empêcher le géant minier d’anéantir une grande partie de cette forêt. Est-ce qu'on est un sacrifice pour être capables d'électrifier nos transports, de diminuer nos gaz à effet de serre? Il ne faut pas que ça soit ça, s’exclame le Saguenéen Christian Lemieux.

Ils se targuent de faire du développement durable. C'est leur objectif. Mais ce n’est pas du développement durable. Non, c'est le moindre coût, plus de profits, proteste la présidente du comité, Hélène Savard.

Les résidents qui vivent autour des dépotoirs de résidus de bauxite et qui s’opposent à son agrandissement craignent les effets sur la santé et l’environnement.

On parle de cadmium, de mercure, de plomb, d'arsenic, de nickel, d'argent, de cobalt, de manganèse, de strontium et d'uranium. Alors comment voulez-vous qu'on ne soit pas inquiet de ce qui se trouve là-dedans?, s’interroge M. Lemieux.

Les documents montrent que la Santé publique exige un suivi serré pour éviter l’émission de poussières rouges fugitives, comportant des risques, notamment en raison des concentrations d’arsenic.

Mais les quartiers en ont été recouverts en 2022 et 2024, lors de tempêtes.

En raison de l’emportement de résidus survenu en 2013, qui s’étaient retrouvés mélangés à la neige, Rio Tinto a été condamnée à payer 160 000 $ d’amende.

Le ministère de l'Environnement a déjà déclaré coupable la compagnie du fait qu’ils déversaient des résidus de bauxite pouvant mettre en péril la santé des humains. C'est toxique, ça, rappelle Hélène Savard.

Pierre-Paul Legendre, Hélène Savard, Danièle Riverain et Christian Lemieux autour d'une table de travail.

Pierre-Paul Legendre, Hélène Savard, Danièle Riverain et Christian Lemieux, membres du comité citoyen pour un Vaudreuil durable.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

Rio Tinto prend cette situation très au sérieux et a entrepris des études pour identifier si des moyens de protection additionnels peuvent être mis en place pour faire face à de tels événements extrêmes dans le futur, assure l’entreprise.

Les citoyens ont suggéré un autre emplacement à Rio Tinto pour son futur dépotoir, qui serait situé loin de toute résidence. La multinationale s’est engagée à étudier cette solution.

Des matières dangereuses interdites

Le lanceur d’alerte de l’industrie qui s’est confié à Enquête révèle qu’en plus des résidus miniers autorisés, Rio Tinto mélange aussi des matières dangereuses interdites dans le crassier d’Arvida, comme des résidus d’acide sulfurique fumant, à l’insu des autorités.

C'est vraiment un amalgame de tous les produits chimiques qu'on peut trouver dans l'usine. Puis c'est mélangé avec le reste des résidus, témoigne la source.

Mais les amendes sont rares. La dernière fois que la compagnie a été réprimandée pour une infraction similaire remonte à 2015.

Selon les chiffres du ministère de l’Environnement, les inspecteurs effectuent moins de six vérifications terrain ou administratives par mois au complexe de Rio Tinto à Jonquière.

Un site qui, avec le crassier, s’étend sur plus de trois kilomètres carrés.

La compagnie répond qu'il est difficile, voire impossible, pour nous de commenter davantage sur des faits allégués dont nous n’avons pas connaissance.

Le dépotoir minier de Rio Tinto à Arvida.

Le dépotoir minier de Rio Tinto à Arvida.

Photo : Radio-Canada

Rio Tinto visée par des enquêtes environnementales

Tout ce bassin-là, qui est en dessous du crassier actuel, ça doit être absolument pollué, nous dit Pierre-Paul Legendre, un retraité du comité citoyen.

Les rapports d’inspection de 2022 confirment ses soupçons. Les eaux souterraines sont contaminées aux fluorures et aux cyanures. Le ministère de l’Environnement enquête sur des rejets qui, depuis 2013, dépassent les critères autour des sites de résidus de bauxite.

Les échantillons provenant des puits situés sur la propriété permettent de suivre la migration des polluants dans la nappe phréatique.

Mais il y a aussi une autre source de contamination : les brasques usées. Cette matière toxique est un autre résidu de la production d'aluminium qui provient du revêtement des cuves de métal.

En 2008, Rio Tinto Alcan annonce avoir mis en place une technologie durable, pour décontaminer ces déchets dangereux remplis de cyanures et de fluorures, en inaugurant l’usine de traitement des brasques, une première mondiale.

Mais cette avancée a connu des ratés. La multinationale est présentement visée par une autre enquête du ministère pour une série de manquements à la loi liés à l’entreposage et aux rejets de cette usine. En 2022-2023, il y a eu d’importantes fuites toxiques.

On a été mis au courant, puis on n'a pas pris de mesures tout de suite correctives. Ça a pris un certain temps, indique le lanceur d’alerte.

Le ministère a notamment relevé que des cyanures excédant du double la concentration permise et des fluorures jusqu’à six fois plus élevées que la limite ont été rejetés dans les eaux souterraines.

Les installations industrielles de Rio Tinto au Complexe Jonquière vues des airs.

L'Usine Arvida fait partie du Complexe Jonquière.

Photo : Radio-Canada

Des moyens de contrôle sont en place permettant de pomper et recirculer l’eau dans nos procédés, évitant la migration de contaminants, lorsque requis. Nos employés et partenaires sont régulièrement formés en matière de respect des normes environnementales, y compris des obligations de déclaration et de conformité, indique Rio Tinto.

Certains déversements de la compagnie ont marqué l’imaginaire dans le passé, comme la rivière Saguenay colorée de rouge, qui a été contaminée sur des kilomètres par des résidus de bauxite il y a plus de 15 ans.

Mais la liste d’infractions commises par Rio Tinto montre que d’autres produits toxiques se sont aussi retrouvés dans la rivière dans les dernières années : 350 000 litres d’eaux acides (2023), 700 litres d’acide chlorhydrique (2018), 20 000 litres d’hydrocarbures (2017).

Le dernier manquement de la liste date de janvier 2024. Le ministère a épinglé la multinationale pour le déversement d’une quantité inconnue d’eaux usées toxiques qui ont coulé vers le Saguenay.

L’équilibre est rompu, selon d’anciens cadres

Des ententes historiques avec le gouvernement ont permis à Alcan, puis à Rio Tinto, de conserver les droits sur six centrales hydroélectriques qui ont été épargnées lors de la nationalisation.

C'est un gros avantage. Et avec ça, ils sont capables de dire qu'ils produisent de l'aluminium vert, souligne Myriam Potvin.

Porte-parole d'un groupe comprenant une vingtaine d’anciens cadres et de scientifiques de Rio Tinto Alcan, elle croit que le Québec perd au change parce que la compagnie ne respecte pas ses engagements mais peut continuer d’utiliser une ressource collective à rabais.

Jacques Dubuc et Myriam Potvin sont membres d'un groupe d'une vingtaine d’anciens cadres et de scientifiques de Rio Tinto Alcan critiques de l'entreprise.

Jacques Dubuc et Myriam Potvin sont membres d'un groupe d'une vingtaine d’anciens cadres et de scientifiques de Rio Tinto Alcan critiques de l'entreprise.

Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette

En échange de cette énergie renouvelable, l’entreprise avait promis d’investir et de diminuer sa pollution dès les années 1980.

Les investissements, c'était de moderniser l'ensemble des usines qui étaient déjà vieillottes, vieillissantes, polluantes, à bout de vie, renchérit son collègue Jacques Dubuc.

Mais 40 ans plus tard, cette modernisation n’est toujours pas complétée. Rio Tinto a repoussé à 2028 le remplacement de l’aluminerie la plus polluante au pays, celle d’Arvida, qu’elle va fermer graduellement.

On a un historique de promesses non tenues, partiellement tenues, avec des excuses ou des entourloupettes pour essayer de prolonger, soutient Jacques Dubuc. Il invite le gouvernement à agir pour le bien commun. La récréation devrait être terminée, dit-il.

Un lobby puissant

L’ancienne ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet affirme que Rio Tinto fait partie des lobbys les plus puissants qu’elle ait vus à l'œuvre et que la multinationale est souvent en amont des décisions des élus et des fonctionnaires.

Elle connaît bien l’industrie. Avant de faire le saut en politique, elle était gestionnaire chez Hydro-Québec et négociait aussi les contrats avec les alumineries.

Quand elle était au gouvernement, la multinationale a réussi à retarder l’implantation de technologies moins polluantes.

La tactique a toujours été la même. C'est le chantage des emplois. Donc, si vous ne faites pas ce que je vous dis, on va fermer telle usine. On ne pourra pas se tenir ouvert parce que ce n’est pas rentable. Ils n'ont qu'un objectif, c'est l'argent. Il faut juste être conscient de ça.

Les alumineries québécoises sont les plus rentables au monde et, selon Martine Ouellet, c’est en raison des largesses des gouvernements successifs.

Les installations portuaires de Rio Tinto à La Baie.

Les installations portuaires de Rio Tinto à La Baie.

Photo : Radio-Canada

Jamais ils ne perdent. Depuis plusieurs années, ils ne font qu'additionner des privilèges et tout ça en siphonnant des fonds publics. En subventions déguisées, on parle de 1,2 milliard de dollars par année, a calculé celle qui est aujourd’hui cheffe de Climat Québec.

Elle inclut les coûts évités des exemptions sur les gaz à effet de serre, les rabais d’impôts et d’électricité ainsi que l’avantage des barrages. Un montant qui continue de gonfler avec Elysis.

On leur donne de l'argent les deux yeux fermés. On signe des chèques en blanc. Je veux dire, ils sont morts de rire. On ne se tient pas debout. On se fait vraiment manger la laine sur le dos et on leur dit quasiment merci.

Pour elle, il n’y a aucun doute. C'est de l'écoblanchiment de dire qu’il s’agit d'aluminium vert.

Ils vont utiliser une électricité extrêmement précieuse en laissant de la pollution sur le territoire, de la pollution en termes de gaz à effet de serre et en partant avec l’argent.

Nous échangeons régulièrement avec les gouvernements à propos de nos activités au Québec et de nos projets d’investissement. Ces échanges se font de manière cordiale et dans le respect le plus strict des lois et de la réglementation en vigueur, rétorque Rio Tinto. La compagnie dit par ailleurs que la majorité de ses projets, qui totaliseraient 2 milliards depuis 2020, n'ont pas reçu de soutien de l’État.

Le reportage de la journaliste Priscilla Plamondon Lalancette et du réalisateur Gil Shochat sera diffusé jeudi 21 h à Enquête sur les ondes d'ICI TÉLÉ.

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