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Le submersible Titan a implosé au fond de l’océan le 18 juin 2023.
Enquête

Titan, l’implosion que le Canada n’a pas su prévenir

Les lois de la physique s’appliquent même aux rêves les plus fous. C’est ce qu’a appris à ses dépens le concepteur du Titan. Stockton Rush avait ignoré tous les signaux d’alarme et congédié son expert en sécurité. Son empressement a coûté la vie à 5 personnes au large de Terre-Neuve, en route vers le Titanic, un autre célèbre tombeau. Le Canada aurait pu agir, il s’est contenté d’être spectateur.

Sur le gobelet blanc en polystyrène, les mots sont écrits à la main, au feutre : « Titanic 2023, Titan dive 3800 m, June 2023, PH ». S’y trouve aussi un logo, celui d’OceanGate.

Le gobelet est compressé et difforme. On le voit et on peine à y croire : c’est un des rares vestiges intacts du Titan, hormis les pièces retrouvées abîmées ou déchiquetées.

La disparition du submersible en juin dernier, alors qu’il plongeait en direction de l’épave du Titanic à 3821 mètres de profondeur, a fait le tour de la planète. Des recherches internationales frénétiques, portées par l’espoir de retrouver indemnes ses passagers, se sont révélées vaines. Tous étaient vraisemblablement morts dans les instants qui ont suivi leur disparition. La découverte des débris a confirmé le pire. Parmi les victimes se trouvait l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet, PH pour les intimes.

« Titanic 2023, Titan dive 3800m, June 2023, PH».

« Titanic 2023, Titan dive 3800m, June 2023, PH».

Photo : Radio-Canada

Celle qui tient entre ses doigts le gobelet, c’est sa fille, Sidonie.

Sur le coup je me suis dit : ce n’est pas possible que ce petit verre ait résisté à l'implosion. Et après, j'ai cherché la réponse. Et oui, il est bien allé au fond de l'eau.

Sidonie Nargeolet a une petite collection de gobelets comme celui-là. Son père lui en avait rapporté de plongées antérieures, dont un de la fosse des Mariannes (11 000 mètres dans le Pacifique, deepest dive in the world, PH, peut-on y lire).

C’est une tradition dans le milieu sélect des submersibles. Avant chaque plongée, un gobelet est placé à l’extérieur de l’habitacle, où il subira la pression de l’eau, plus forte à mesure que l’on s’enfonce. Plus ils reviennent compressés, plus les explorateurs en sont fiers.

Celui du Titan mesure à peine 5,5 centimètres. Mais celui-là, ce n’est pas de la fierté qu’il suscite. Sidonie Nargeolet ne l'a pas exposé dans sa bibliothèque comme d’autres. Elle le garde caché dans une boîte qu’elle ouvre pour nous.

C'est le survivant du Titan, dit-elle. Quelque part, ça m'a plu d'avoir quelque chose de mon père. Mais pour moi, il représente ce qui l’a tué.

Sidonie, la fille de l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet.

Sidonie, la fille de l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet.

Photo : Radio-Canada

Paul-Henri Nargeolet a eu la piqûre pour la plongée et les épaves dès l'âge de neuf ans.

Français d’origine, né à Chamonix, il suit une formation de plongeur-démineur et rejoint la Marine nationale, où il fait carrière pendant 22 ans. En 1987, recruté par le très respecté Ifremer, l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, il dirige la toute première expédition de récupération d’artéfacts sur le Titanic. Un moment qui déterminera le reste de sa vie : il s’y rendra en tout 37 fois.

Il est, avec le cinéaste James Cameron, réalisateur du mythique film Titanic, celui qui s’est rendu le plus souvent sur l’épave. On le surnomme Monsieur Titanic.

Quand il a fait la première plongée sur le Titanic, moi j'avais trois ans, donc j'ai grandi en entendant parler du Titanic. Et c'est vrai que lui, quand il savait qu'il ferait une mission [au] Titanic, il avait les yeux brillants. [...] Une fois qu'il a rencontré ce bateau, c'est devenu sa priorité dans la vie. Il le faisait passer même avant ses propres enfants, raconte Sidonie Nargeolet souriante, mais le regard triste.

Le Titanic a beau avoir sombré il y a plus d'un siècle, il parvient encore à faire des victimes et à susciter un engouement médiatique auquel Sidonie préfère se soustraire. L’entrevue qu’elle nous accorde est l'une des rares depuis la mort de son père. La tragédie aurait-elle pu être évitée? Ce n’est pas impossible, si l’on se fie aux documents et témoignages que nous avons obtenus, mais aussi à ce que nous avons appris de ce qui s’est passé en sol canadien.

La ville de Saint-Jean, à Terre-Neuve.

La ville de Saint-Jean, à Terre-Neuve.

Photo : Radio-Canada

La caution morale de l'Université Memorial

Juin 2023. Les rives de Saint-Jean de Terre-Neuve sont prises d’assaut par les plus grands médias.

Un submersible, le Titan, remorqué au large en vue d’une plongée en direction de l’épave du Titanic est porté disparu. Il n'en était pas à son premier voyage à partir du port de Saint-Jean.

À bord : son propriétaire Stockton Rush, cofondateur d’OceanGate et concepteur du Titan, trois passagers et l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet.

Si l'entreprise OceanGate a pu opérer à Terre-Neuve, c’est qu’une institution canadienne respectée lui a facilité l’accès : l’Institut maritime de l’Université Memorial. L’Université a accepté de signer un contrat avec la compagnie américaine pour héberger gratuitement le submersible Titan, assumant même certains frais.

En fait, Rush est accueilli comme un invité de marque à l'Université, qui organise des rencontres pour les étudiants. Ce serait génial si vous pouviez faire une allocution lors des cérémonies d’ouverture, quelque chose à propos de la technologie de l’océan qui exciterait les étudiants, lui écrit le vice-président Joe Singleton dans un courriel le 26 avril 2023.

 Stockton Rush, dans l'habitacle de son sous-marin.

Stockton Rush, dans l'habitacle de son sous-marin.

Photo : Radio-Canada / OceanGate

Ce vice-président, ingénieur de formation, ne cache pas sa fierté de l’accueillir et fait même l’éloge du Titan dans une entrevue accordée à CBC quelques semaines avant la tragédie. Tout le monde est très excité par le Titan [...] c’est une pièce d'ingénierie technologique, dit-il avec enthousiasme. Il évoque même la possibilité qu’un étudiant prenne la place d’un membre de l’expédition si elle se libérait à la dernière minute. Une possibilité démentie par l’Université après la tragédie.

Au moins une étudiante se retrouvera tout de même sur le Polar Prince, le navire qui a conduit le Titan au site de plongée, le jour de la tragédie.

Cyr Couturier est professeur-chercheur en aquaculture et pêche à l’Institut maritime. Ce spécialiste en biologie marine se désole que l'Université ait déroulé le tapis rouge à OceanGate. L’histoire de l’étudiante est venue à ses oreilles : c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Pour lui, l’Université avait dévié de sa mission.

Je ne serais pas monté à bord. [...] Pour moi, ça n'avait pas l'air d'être une exploration scientifique. Quelle sorte de recherche ils allaient faire qui n'avait pas déjà été faite? se demande le professeur Couturier. Il y a eu au moins 200 voyages avec des robots et des sous-marins en mer pour voir le Titanic. Mais on ne fait pas d'exploration avec les sous-marins avec des êtres humains. Ce n’est pas notre mandat.

Cyr Couturier est professeur-chercheur en aquaculture et pêche à l’Institut maritime de l'Université Memorial.

Cyr Couturier est professeur-chercheur en aquaculture et pêche à l’Institut maritime de l'Université Memorial.

Photo : Radio-Canada

Cyr Couturier estime qu’OceanGate a profité du nom de l’Institut et de sa crédibilité. Les courriels que nous avons obtenus semblent lui donner raison. En mai 2023, Stockton Rush a encouragé l’Institut à publiciser sa présence, notamment lors du retour d’une de ses expéditions. J’ai l’impression que ça pourrait donner lieu à une couverture de presse positive sans effort, écrit-il à une employée aux communications, en copiant la vice-présidente aux affaires étudiantes et universitaires Angie Clarke. Cette dernière répond : Je suis d’accord!

La vice-présidence et les chefs des différents départements prenaient ça comme une certaine renommée qu'on ait cette exploration-là, déplore Cyr Couturier. On donne une caution morale [...] pour aider la personne ou l'industrie ou la compagnie à faire le projet.

Un célèbre explorateur au service des ambitions de Rush

Stockton Rush avait sans doute compris qu’il avait besoin de s’associer à des institutions et à des personnalités crédibles.

C’est ce qui s’est passé avec l’explorateur Paul-Henri Nargeolet. Et contrairement aux passagers du Titan qui payaient jusqu’à 335 000 $ CA pour aller voir le Titanic, il n’a pas eu à payer sa place.

Il n’a jamais payé de plongée, il n’a jamais été payé non plus par OceanGate, raconte sa fille Sidonie. Il était invité, en fait, pour son expertise sur le Titanic. Donc le but, c'était qu'il soit sur le bateau et qu’il raconte des histoires du Titanic aux touristes, aux clients.

Sur le pont d'un navire.

L'explorateur français Paul-Henri Nargeolet (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté : Sidonie Nargeolet

Paul-Henri Nargeolet est un de ceux qui ont le plus contribué à la récupération d’artéfacts du Titanic. 111 ans après son naufrage, l’épave et ces objets qui révèlent quelques secrets de ceux qui étaient à bord continuent de faire courir les foules.

Assiettes et tasses à l’effigie de White Star Line, chandeliers, bijoux… les artéfacts fascinent; Paul-Henri Nargeolet au premier chef. Il a ramené à la surface plus de 80 % des artéfacts exposés en décembre dernier à Stockholm. Sidonie Nargeolet n’en est pas peu fière.

C'est beau de voir une partie de son travail exposé, que dans le monde entier les gens puissent voir. Je vois ça et je me dis : mon papa, il a bien travaillé.

Les lanceurs d'alerte ne manquaient pas

Quand OceanGate invite Paul-Henri Nargeolet à monter à bord du Titan en 2021, le submersible est déjà controversé.

En fait, plusieurs acteurs reconnus du milieu des submersibles avaient prédit la tragédie il y a déjà quelques années, dont William Kohnen. Avec son frère Charles, ils font partie des pionniers de cette industrie depuis presque 30 ans. Ces deux ingénieurs de formation, qui ont grandi à St-Hyacinthe au Québec, sont aujourd’hui installés en Californie. Tous deux voyaient aller Stockton Rush et s’inquiétaient de ses plans.

C’est que le fondateur d’OceanGate et concepteur du Titan ne voulait pas faire les choses comme les autres. Il a tourné le dos au titane, le matériau de prédilection pour les submersibles en raison de sa résistance à la pression des eaux, pour privilégier la fibre de carbone, plus légère et moins chère.

En plus, il a donné une forme cylindrique à son submersible, plutôt que sphérique, pour pouvoir accueillir plus de passagers. La forme sphérique d’un submersible permet à la pression d’être répartie également sur les parois.

C’est de la physique, explique Charles Kohnen. Le cylindre n’aura pas la possibilité de retenir autant de pression. La sphère a la meilleure géométrie [pour soutenir] plus de pression.

Le sous-marin Titan dans l'eau.

Écoutez les bruits d'origine inconnue qui ont un temps fait battre le coeur des secouristes.

Photo : OceanGate

À un moment donné, la sécurité est une pure perte, dira Stockton Rush en entrevue à CBS en 2021. Si vous voulez être en sécurité, ne sortez pas du lit, ne prenez pas votre voiture, ne faites rien. Il faut prendre des risques. Moi, je dis que je peux le faire en toute sécurité en ne respectant pas les règles

Son partenaire d’affaires jusqu’en 2013, le cofondateur Guillermo Söhnlein, le résume ainsi : Parfois, ce sont des individus qui font avancer l’humanité. Ceux qui ne se préoccupent pas de ce qu’on pense d’eux, ou qui pensent que les règles ne s’appliquent pas à eux.

Encore aujourd’hui, à ses yeux, Stockton Rush, un ingénieur en aérospatiale diplômé de Princeton, était un homme brillant et audacieux. Je le décrirais comme une des personnes les plus intelligentes que j’aie connues. Il avait aussi une grande curiosité intellectuelle. Surtout quand il s’agissait d’ingénierie, il excellait à résoudre les problèmes. Il cherchait à résoudre des problèmes que d’autres n’étaient pas parvenus à régler, ou à les résoudre de manière créative.

Mais cette façon de faire inquiète William Kohnen. D’autant qu’en qualifiant son projet d’expérimental – et non pas de touristique – des années avant la tragédie, OceanGate n’a pas eu à faire certifier son submersible pour l’exploiter. Il n’était pas habitué à se faire dire : ce que tu fais là, ce n'est pas correct.

David Lochridge, ingénieur ,a été directeur des opérations marines chez OceanGate.

David Lochridge, ingénieur, a été directeur des opérations marines chez OceanGate.

Photo : YouTube/GeekWire

Et il n’est pas le seul à le penser : au sein même d’OceanGate, quelqu’un avait sonné l’alarme. Nul autre que son directeur des opérations marines, David Lochridge, un ingénieur. Tant la sécurité des passagers que la maintenance étaient de sa responsabilité. En somme, j’étais responsable de toutes les opérations. Quand le submersible était sous l’eau, ça relevait de moi, expliquait-il en février 2018 à un responsable de la commission américaine des normes du travail, dans un entretien enregistré jamais entendu jusqu’ici et dont Enquête a obtenu copie.

David Lochridge a tenté dans les mois précédents d’alerter les dirigeants d’OceanGate : selon lui, tant la conception que la construction du Titan sont à revoir. Mais ils sont sourds à ses arguments. Il leur soumet ensuite un rapport d’inspection et de contrôle qualité détaillé. Stockton Rush le congédie peu après et lui intente une poursuite. Il transmet alors son rapport à l’Occupational Health and Safety Administration (OSHA), l'équivalent américain de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Nous avons obtenu ce rapport.

David Lochridge avait fait analyser une section de la coque en fibre de carbone par un spécialiste des matériaux composites. Dans l’appel dont nous avons obtenu copie, il rapporte les propos du spécialiste au sujet d’une photo incluse dans son rapport. On y voit distinctement l’usure de la coque causée par les plongées.

On voit distinctement l’usure de la coque causée par les plongées.

Photo tirée du rapport de David Lochridge.

Photo : Gracieuseté : David Lochridge

[Le spécialiste ] a dit : cette section est un gâchis absolu. Tu peux voir au travers comme dans un fromage suisse. Si tu y projettes de la lumière, tu la vois traverser le matériau. Il explique dans le même appel que Stockton Rush et son directeur de l’ingénierie ne voulaient simplement plus faire de tests. Lorsqu’ils ont mis fin à mon emploi, j’ai demandé : pourquoi ne plus le faire inspecter? Rush a répondu : personne ne peut le faire. J’ai demandé si Boeing ne pouvait pas le faire [...] Ils se sont fâchés [...] Et j’ai dit : "avez-vous épuisé toutes les mesures, vous êtes certains que personne ne peut le faire?" Et la réponse a été : "non, nous n’avons pas besoin de faire ça".

Le congédiement de cet ingénieur respecté, William Kohnen le considère comme un sacrilège. Lui et une quinzaine de professionnels de l’exploration sous-marine écrivent une lettre la même année pour avertir Stockton Rush des risques auxquels il exposera d’éventuels passagers.

Vos prétentions sont au minimum trompeuses pour le public et ne respectent pas le code de conduite que notre industrie s’efforce de maintenir, écrivent-ils. L’approche "expérimentale" adoptée par OceanGate pourrait entraîner des résultats négatifs (de mineurs à catastrophiques) qui auraient de graves conséquences pour tous les acteurs de l’industrie.

Patrick Lahey, un concepteur de submersibles respecté.

Patrick Lahey, un concepteur de submersibles respecté.

Photo : Radio-Canada

Patrick Lahey, l’un des concepteurs de submersibles les plus respectés, a vu un modèle du Titan pendant ses vacances aux Bahamas, là où Stockton Rush a d’abord testé son submersible. Beaucoup de choses m’ont semblé ne pas avoir été pleinement réfléchies, se souvient-il. J’avais fait une liste de choses qui, selon moi, devaient être examinées.

Cette liste, il l’a remise à OceanGate. J’avais l’impression que le Titan était loin d’être prêt à plonger, que ça n’arriverait probablement jamais. Je pense que j’ai sous-estimé la ténacité [de Stockton Rush].

Préoccupé par ce qu’il a vu, Patrick Lahey a tenté de prévenir Paul-Henri Nargeolet et de l’empêcher de monter à bord du Titan. En vain.

Il était très intelligent et très expérimenté. Quand je lui ai demandé pourquoi il faisait ça, il m’a dit : "peut-être que si je suis là, je pourrais les aider à éviter une tragédie, et aider à renforcer la sécurité de leurs opérations". Malheureusement, on sait maintenant qu’il s’est retrouvé au milieu d’une tragédie, au lieu de la prévenir.


Les bruits de cognements qui n’en étaient pas

Certains se rappellent peut-être ce qu’on a appelés les bruits de cognements, captés par l’équipe de recherche canadienne, qui avaient suscité tant d’espoir lors des opérations de secours. Une répétition de deux coups successifs, symétriques et rapides, captés une trentaine d’heures après la perte des communications avec le Titan. Appel à l’aide? Signe de vie? Espoir vain. Les experts les ont écoutés et sont revenus avec une certitude de 100 % qu’ils n'étaient pas d’origine humaine, affirme le capitaine Jamie Friedrick de la Garde côtière américaine. Les passagers avaient vraisemblablement déjà perdu la vie au moment où ils ont été enregistrés.

Le sous-marin Titan dans l'eau.

L'entreprise OceanGate propose des voyages permettant d'observer l'épave du Titanic. (Photo d'archives)

Photo : OceanGate


Le Titan, traité comme une simple marchandise

Stockton Rush a dit à ses clients qu’il avait tenu compte des critiques de David Lochridge, son ancien directeur des opérations marines, et reconstruit une nouvelle coque. Mais malgré les inquiétudes soulevées sur la fibre de carbone, il a de nouveau utilisé ce matériau pour le submersible qui a implosé l’an dernier.

Lors des 13 plongées qui ont eu lieu en 2021 et 2022, le submersible Titan avait été transporté jusqu’au site de l’épave du Titanic sur le pont de l’Horizon Arctic. Mais en 2023, c’est un navire différent qui le conduira vers le site de l'épave. Installé sur une plateforme, il sera remorqué sur 600 kilomètres d’eaux tumultueuses par le Polar Prince, un navire moins cher à opérer.

Des marins d’expérience nous ont interpellés sur les risques d’endommager la structure en procédant de cette façon.

Quand Sidonie Nargeolet a vu les images, après l’implosion, elle a elle-même été stupéfaite. Je suis habituée à voir des photos du travail de mon père avec des bateaux de l'Ifremer, par exemple, avec le Nautile posé sur le bateau [...] Alors là, de le voir tracté comme ça, comme si... Mais je me dis, effectivement, s'il y a une mauvaise météo, le sous-marin bouge beaucoup, je ne trouve pas ça très sécuritaire.

Le Polar Prince, qui a remorqué le submersible Titan le jour fatidique.

Le Polar Prince, qui a remorqué le submersible Titan le jour fatidique.

Photo : Radio-Canada

Le capitaine du Polar Prince, le bateau qui remorquait le submersible, aurait pu juger que l’opération n’était pas sécuritaire et refuser de procéder. Nous n’avons pas pu lui parler.

C’est son patron, l’homme d’affaires milliardaire canadien John Risley, copropriétaire du Polar Prince, qui a répondu à nos questions

C’était la première fois qu’il parlait publiquement depuis la tragédie.

Nous n’avons pas remorqué le submersible, nous avons remorqué une barge sur laquelle le submersible se trouvait. Le remorquer sur 10 milles ou 10 000 milles, cela ne change rien.

Pour lui, le Titan était remorqué comme n’importe quelle autre marchandise.

Nous ne sommes pas des experts en submersibles. Alors qu’il s’agisse de fibre de carbone ou d’acier ou de quoi que ce soit, nous n’y avons pas prêté attention. Franchement, ça ne nous regardait pas.

Lors de cette entrevue, il nous fait une autre révélation : avant le voyage fatal, lors de voyages précédents, les communications entre le navire et le submersible Titan, sous l’eau, avaient déjà été perdues, et ce, plus d’une fois.

Ce n’était pas la première fois qu’on perdait le contact radio avec eux. C’était souvent arrivé. Combien de fois? Je ne saurais dire.

Mais ni lui ni personne d’OceanGate n’y ont vu une raison pour mettre un frein aux expéditions.

L'équipe d'Enquête dans un Zodiac dans le port de Saint-Jean.

L'équipe d'Enquête dans un Zodiac dans le port de Saint-Jean.

Photo : Radio-Canada

Qu’a fait le Canada?

Ainsi, et malgré tous les signaux d'alarme, le 18 juin, le submersible Titan s’est mis en route, depuis Terre-Neuve, pour son dernier voyage. Et OceanGate a mené ses opérations au vu et au su de toutes les autorités canadiennes. La Garde côtière et les autorités portuaires de Terre-Neuve ont leurs bureaux au port de Saint-Jean; Transports Canada est tout juste à côté.

Lors de notre tournage, les caméras des autorités portuaires ont capté des images de notre équipe à bord d’un Zodiac et nous ont demandé de revenir sur la rive. Nous avons demandé à la responsable des opérations marines et capitaine de port, Melissa Williams, qui nous avait interpellés, pourquoi le Titan avait, lui, pu partir sans être dérangé.

Il a été remorqué. On l’a vu à la caméra. On présumait qu’ils respectaient la réglementation, nous a-t-elle expliqué, avant de nous dire que c’est Transports Canada qui avait la responsabilité de les surveiller.

Pour William Kohnen, qui a effectué des dizaines de plongées à travers le monde, Transports Canada aurait simplement dû arrêter le Titan. Tu ne le laisses pas partir, tranche-t-il.

William Kohnen, un des pionniers de l'industrie des submersibles, originaire de Québec.

William Kohnen, un des pionniers de l'industrie des submersibles, originaire du Québec.

Photo : Radio-Canada

Transport Canada a refusé nos demandes d’entrevue, invoquant l’enquête en cours. Même chose pour la Garde côtière canadienne. Pourtant, les coûts de l’opération pour retrouver et récupérer le Titan se sont élevés à plus de 3 millions de dollars au Canada.

Rencontrée à Terre-Neuve, la ministre responsable de la Garde côtière, Diane LeBouthillier, n’exclut pas que cette tragédie la force à revoir la réglementation.

On a des préoccupations actuellement, puis ça va être important de travailler ensemble parce que les gens veulent faire des expériences nouvelles, explorer. Donc, pour nous, ça va être important de s'asseoir pour mettre des règles en place pour justement faire en sorte que ce genre d'événement tragique là ne se reproduise plus.

Mais tout cela ne ramènera jamais les cinq victimes de la tragédie du Titan. Et de son père, Sidonie Nargeolet n’a plus que des souvenirs, et les témoignages en polystyrène de ses exploits.

Des petits gobelets qu’elle conserve précieusement.

Sidonie, la fille de l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet.

Sidonie, la fille de l’explorateur français Paul-Henri Nargeolet.

Photo : Radio-Canada

Moi, je crois que les gens, ils ont été un peu trompés. C'est vendre un produit en disant : je vous rassure le plus possible, alors que dans le fond, quand on regarde, il y avait des manques sur pas mal de choses. C'était de mettre de la poudre aux yeux : faites-nous confiance, ça va super bien se passer, alors qu'en fait non, il y a eu des problèmes derrière quand même. [...] C'est une chose d'être passionné du Titanic, mais si des gens disent que c'est risqué, c'est risqué.

Avec la collaboration de Bernard Leduc

Illustration d'entête par Sophie Leclerc

Le reportage de la journaliste Julie Dufresne et de la réalisatrice Sophie Lambert sera diffusé le jeudi 14 mars à 21 h sur les ondes d'ICI-Télé.

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