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Un homme d'origine afro-descendante enfile ses patins dans un vestiaire.

Dans « les patins » d’un Noir : chronique du racisme ordinaire en Outaouais

Alors que des incidents de racisme ont secoué le milieu du hockey ces dernières années en Outaouais, Edouard, Wadane et Colin — trois joueurs afro-canadiens de différentes générations — partagent leurs perspectives sur ce phénomène qui perdure.

Edouard Cavé s’exerce comme un « pro » à la patinoire du quartier où il habite à Hull. L’homme de 42 ans n’a rien perdu de sa forme. Il est un sportif naturel et, comme des milliers de Canadiens, un passionné de hockey.

Ce fan des Sénateurs est tombé en amour avec ce sport à l'âge de quatre ans.

Mon premier gros souvenir, se remémore-t-il, c'est de voir les Canadiens [de Montréal] gagner la Coupe Stanley en 1986.

Un homme afro-descendant s'exerce au maniement de la rondelle.

Edouard est tombé en amour avec le hockey à l'âge de quatre ans. Depuis, cette passion ne l'a jamais quitté.

Photo : Radio-Canada / Simon Lasalle

Le jeune Edouard, dont les parents sont originaires d'Haïti, est né et a grandi à Gatineau.

Le Mois de l'histoire des Noirs en Ontario

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Graphique du Mois de l'histoire des Noirs.

C’est son oncle qui l’a inscrit au hockey. Ce souvenir est gravé dans sa mémoire et demeure un des meilleurs moments de sa vie. Faire partie d'une équipe, jouer avec un équipement, être sur la glace, c'était tout ce que je pouvais demander, raconte-t-il.

Pourtant ce rêve devenu réalité aurait facilement pu virer au cauchemar sans la force de caractère d’Edouard. Étant bien souvent le seul joueur noir de son équipe et de la ligue, le jeune garçon affirme s’être fait insulter et traiter du mot en n à quelques reprises.

Un homme afro-descendant effectue un tir au filet sur la patinoire de son quartier.

Edouard dit avoir été inspiré par Claude Vilgrain et Réginald Savage, deux joueurs de hockey noirs qui ont évolué dans la Ligue nationale de hockey (LNH) à la fin des années 1980 et début 1990.

Photo : Radio-Canada / Simon Lasalle

Edouard considère que les entraîneurs, au milieu des années 1990, n’étaient pas outillés pour faire face à ces situations.

J'arrivais sur le banc, ils me voyaient en sanglots, puis ils disaient : "Fais-toi z'en pas, fais juste continuer ton match".

Pourtant l’adolescent de 13-14 ans le ressent comme un petit traumatisme.

T'es jeune, tu joues le sport que t'aimes, puis t'as un banc au complet qui te traite du " mot en n ".

Une citation de Edouard Cavé

Edouard va mettre ces sombres événements de côté et persévérer dans ce sport qu’il aime tant.

Aujourd’hui papa de deux garçons, il passe encore plusieurs heures dans les arénas car son plus jeune a lui aussi choisi notre sport national. Bien intégré dans le hockey mineur, Edouard s’implique pendant deux ans comme entraîneur, une expérience qu’il qualifie de super le fun.

Le parcours de son fils est exempt de racisme, l’expérience est très gratifiante. Toutefois, en mars 2022, des événements vont rappeler à Edouard ses mauvaises expériences.

David Godwin.

David Godwin

Photo : Radio-Canada / Alexander Behne

David Godwin, un adolescent de 14 ans, allègue être la cible d’insultes et de propos racistes discriminatoires lors d’un match de hockey. Le jeune hockeyeur brise le silence et accepte de partager son histoire à Radio-Canada. Aucun joueur n’est suspendu ou visé par des sanctions disciplinaires dans cette affaire, au moment des faits.

À la suite de son témoignage, d'autres langues vont se délier. Deux joueurs de l'Intrépide M15 AAA de Gatineau portent plainte pour des gestes et des propos racistes à leur endroit. Six de leurs coéquipiers feront l'objet de diverses sanctions à la suite d'une enquête du Comité de protection de l'intégrité.

Edouard va dévorer chaque article. Ses lectures vont raviver de vieilles blessures. Ça m’a frustré, lance-t-il, étonné de voir que ces choses-là se passent encore en 2022.

Cet homme d’un naturel pacifique s’exprime calmement en prenant soin de cacher sa colère. C’est dur à lire aussi, confie-t-il. J’envoie mon garçon jouer au hockey, sachant qu’il y a des choses comme ça qui se passent.

Un amour à sens unique

C’est avec un pincement au cœur que Wadane Sougoufara se remémore les incidents racistes de 2022.

T’aimes le hockey, puis le hockey t'aime pas en retour. Je trouve ça vraiment triste.

Une citation de Wadane Sougoufara

Ce joueur et arbitre connaît les victimes des incidents, car il les croise souvent dans les arénas. Il les voit mettre beaucoup d’heures sur la glace et il remarque que le hockey est leur passion. Le visage assombri par la tristesse, il y va de ce constat : Le sport ne te redonne pas l'amour que toi tu lui donnes. J'ai mal pour ces jeunes-là.

Un homme afro-descendant, l'air songeur, est assis à côté de son sac et de son bâton de hockey dans les estrades.

En plus de jouer au hockey, Wadane a commencé à arbitrer au hockey mineur en Outaouais à l’âge de 14 ans, pour se faire un peu d’argent de poche. Le jeune homme souhaite gravir les échelons et se rendre au niveau provincial dans le Midget 3A.

Photo : Radio-Canada / Maxim Allain

Wadane Sougoufara a 19 ans. Il étudie le journalisme à l’Université Carleton. Il est métissé : sa maman est Québécoise et son papa Sénégalais. C’est le nouveau conjoint de sa mère qui l’a initié au hockey dans le patelin de Buckingham, où ils vivent toujours.

Comme joueur, il a atteint le niveau junior B. Il continue de jouer de manière récréative dans la ligue intramurale de son université. Le hockey est une grande partie de sa vie. Son expérience est très positive. Il dénote toutefois avoir été traité du mot en n à quelques occasions. Des histoires similaires à celles vécues par Edouard, 20 ans plus tôt.

Face à ces insultes, Wadane s’est senti impuissant et frustré.

Si l’autre équipe veut me dire des propos racistes, mon équipe n’a pas de contrôle là-dessus.

Wadane réalise qu’on ne peut pas se faire justice soi-même.

Ça serait juste de la violence si tu veux te venger. Puis, on s’entend, ça ne sert à rien.

Trois hockeyeurs, dont un joueur noir au centre, posent fièrement sur la glace.

Wadane continue de jouer au hockey dans une ligue organisée par son établissement scolaire.

Photo : Radio-Canada / Maxim Allain

Selon Wadane, il y a cinq ans à Buckingham, il n’y avait pas beaucoup de diversité dans le milieu du hockey. Les gens n’entendaient pas souvent parler du mot en n, poursuit-il, ils ne réalisaient pas la gravité de ce mot. Lui-même, en 2018, riait, lorsqu’il en parlait à ses amis.

Moi aussi je banalisais un petit peu ça, parce que toute ma jeunesse, on me rentrait dans la tête que c'était normal d'entendre ça.

Cette peau qu’on n'a pas choisie

Je vis dans ma peau. Je suis toujours conscient que je suis noir, déclare Colin Alie au sujet de la difficulté d’être un arbitre noir dans le hockey mineur en Outaouais.

Cet ancien athlète et père de famille arbitre depuis cet automne. Ils sont seulement quatre Noirs à arbitrer dans la région 07. Colin le fait pour s’impliquer dans le sport que pratiquent depuis plusieurs années sa fille et son garçon.

Un arbitre de hockey d'origine afro-descendante sort de son vestiaire.

Colin Alie est d'origine dominiquaise. Il a grandi dans le quartier d'Orléans, à Ottawa. Il arbitre dans le hockey mineur en Outaouais depuis cet automne.

Photo : Radio-Canada / Nelly Alberola

L’homme de 49 ans a pratiqué plusieurs sports, dont le basketball et le football, évoluant même avec les Warriors de Waterloo au niveau universitaire. Il n’a jamais joué au hockey organisé, mais comme de nombreux enfants canadiens, il s’est exercé sur les patinoires extérieures. À l'âge adulte, il s’est de nouveau intéressé au hockey en s’inscrivant dans une ligue de garage avec des collègues de travail.

Colin confie avoir été anxieux et inquiet à ses débuts comme arbitre, en raison des histoires de racisme impliquant des joueurs de hockey mineur en Outaouais. L’homme, qui s’exprime avec un léger accent anglais, répète à plusieurs reprises que ces incidents sont choquants.

Toutefois, les choses se déroulent bien pour lui comme arbitre. Il affirme n’avoir subi aucun commentaire raciste jusqu’à présent. Au contraire, les échos sont plutôt positifs. Des parents l’ont même félicité pour son travail.

Un arbitre afro-descendant signale un arrêt de jeu.

Colin Alie arbitre au hockey depuis cet automne. Ils sont seulement quatre Noirs à arbitrer dans la région de l'Outaouais.

Photo : Radio-Canada / Nelly Alberola

Malgré tout, ce sportif érudit, qui détient un doctorat en génie chimique, éprouve une certaine gêne.

Souvent, je me sens un peu mal à l'aise, un peu inquiet, un peu anxieux en rentrant dans un milieu nouveau comme un nouvel aréna pour jouer avec des gens avec lesquels je n'ai pas joué avant.

Une partie de ce sentiment d’anxiété vient du fait que je suis noir et que les gens que je vais affronter ou jouer ne le sont pas.

Si moi, comme un adulte qui se sent très à l'aise dans sa peau, j'ai ce sentiment, imagine un jeune de sept ou huit ans.

Une citation de Colin Alie

Cette anxiété, Colin assure ne pas la ressentir lorsqu’il pratique le basketball ou le football.

Ce n'est pas nécessairement des gestes ouvertement racistes, mais c'est sûr qu'il y a un sentiment qui existe, quand je me présente, par rapport au fait que je suis noir.

Même s'il reconnaît qu'il ne s'agit que de sa perception, ce sentiment d'inconfort est bien réel, il se permet donc de le partager.

Pour de la réciprocité et une relation saine et équilibrée

Trois hommes noirs de l'Outaouais

Wadane Sougoufara, Edouard Cavé et Colin Alie : trois générations de joueurs de hockey noirs.

Photo : Radio-Canada / Maxim Allain, Simon Lasalle et Nelly Alberola

Que doit-on retenir de toutes ces expériences douloureuses? Pour Edouard, l’éternel optimiste, il ne s’agit pas de faire porter le blâme à qui que ce soit. Cependant, il rappelle qu’il y a encore beaucoup d’éducation à faire, tant au niveau parental qu’au niveau des dirigeants dans le milieu du hockey.

Le jeune Wadane insiste, c’est important de se rappeler que les Noirs sont capables de se faire entendre; il ne s’agit que de leur donner une voix.

Les gens peuvent être d'une grande aide pour nous autres, juste en étant là pour nous, en écoutant, puis en réfléchissant réellement à ce qu'on dit.

Colin, le vétéran du trio, soutient que pour endiguer le problème, il faut davantage d'arbitres et d'entraîneurs issus des communautés. S'appuyant sur sa propre expérience, il explique qu'un jeune joueur noir qui vit une situation sur la glace sera peut-être davantage porté à le voir comme un allié.

[Je pense qu'] il aura la confiance de partager ça avec moi, me voyant comme quelqu’un qui va probablement comprendre ce qui se passe avec lui.

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