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Les antidépresseurs posent-ils un problème de sevrage?

« Les symptômes que les gens décrivent sont tellement incroyables que ça sonne comme un problème de santé mentale. C’est probablement ce que j’aurais pensé moi-même en tant que médecin si je ne les avais pas vécus. » - Dr Mark Horowitz

Une jeune femme, les jambes repliées sous elle, assise devant une fenêtre.

Une jeune femme, les jambes repliées sous elle, assise devant une fenêtre.

Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier

Une jeune femme, les jambes repliées sous elle, assise devant une fenêtre.

Une jeune femme, les jambes repliées sous elle, assise devant une fenêtre.

Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier

Des patients rapportent depuis plusieurs années des symptômes sévères et persistants à l’arrêt des antidépresseurs. Au Royaume-Uni, ils ont été entendus par les autorités de santé publique. Après révision de leurs guides de pratique clinique, elles recommandent dorénavant beaucoup plus de précautions dans la prescription de ce type de médicament et au moment de cesser le traitement.

Ces nouvelles lignes directrices pourraient, l’espère-t-on au Royaume-Uni, faire une différence pour éviter à certains patients un douloureux sevrage. Elles tranchent assurément avec celles d'autres pays occidentaux comme le Canada qui, de façon générale, ne considèrent pas l’arrêt des antidépresseurs comme problématique et ne voient pas la nécessité d'opter pour une nouvelle approche.

C’est un changement de cap très important. C’est maintenant complètement différent d’il y a quatre ans [au Royaume-Uni], alors qu’on disait que les antidépresseurs pouvaient être arrêtés en quelques semaines, sans problème, explique le Dr Mark Horowitz, un chercheur anglais spécialisé dans la neurobiologie de la dépression et la pharmacologie des antidépresseurs, qui est également résident en psychiatrie.

Le virage a été entrepris à la suite d’une commission de santé publique sur les médicaments d’ordonnance associés à la dépendance ou au sevrage. Dans son rapport final (Nouvelle fenêtre), paru en 2019, Public Health England ne remet pas en cause l’utilité des antidépresseurs pour lutter contre la dépression, et réitère l’importance d’arrêter la médication graduellement, avec l’aide d’un médecin. Elle y recommande néanmoins des changements significatifs pour mieux accompagner le patient dans le processus d’arrêt.

Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) (Nouvelle fenêtre) et le Royal College of Psychiatrists (RCP) (Nouvelle fenêtre) ont ensuite changé leurs lignes directrices pour surligner que l’arrêt des antidépresseurs peut être long et difficile, et recommander de procéder sur plusieurs semaines, mois, ou davantage, selon la tolérance du patient.

Pendant des années, en Angleterre, on avait les mêmes recommandations qu’il y a présentement au Canada et aux États-Unis. On disait qu’on pouvait arrêter les antidépresseurs en environ quatre semaines et que les effets du sevrage étaient légers et ne duraient qu’une à deux semaines. C’est ce qui a été enseigné aux médecins, indique le Dr Horowitz, qui est lui-même en processus d’arrêt des antidépresseurs.

Le retrait était trop rapide pour beaucoup de patients, qui éprouvaient des effets de sevrage sévères. Et comme les médecins ne sont pas entraînés à repérer les effets de sevrage, mais qu’ils sont très bien entraînés à repérer les rechutes ou les nouveaux problèmes de santé, ça menait à de nombreuses erreurs de diagnostic.

Dr Mark Horowitz.

Dr Mark Horowitz, chercheur clinique au National Health Service au Royaume-Uni.

Photo : Crédit Daniel Jackont

Pour les patients en processus d’arrêt des antidépresseurs, le diagnostic de rechute est parfois difficile à croire. Certains voient plutôt des indicateurs clairs de sevrage dans la force et la nouveauté des symptômes qu’ils ressentent.

Beaucoup se font dire par leur médecin ou leur psychiatre : non, ce n’est pas le sevrage, c’est le retour de la dépression ou de l’anxiété [...] Alors plusieurs vont essayer de se sevrer sans soutien médical, explique John Read, professeur de psychologie clinique à l’University of East London et chercheur en santé mentale.

Ils se tournent vers les groupes Facebook, où il y a des dizaines de milliers de personnes qui se soutiennent, car ils n’arrivent pas à avoir l’aide dont ils ont besoin de la part de leur médecin.

La conséquence est une grande souffrance chez les patients, soutient John Read, qui a sondé près de 1300 personnes provenant de 49 pays, et réparties dans 15 groupes Facebook destinés à l’arrêt des antidépresseurs, pour l’une de ses récentes recherches.

La Dre Joanna Moncrieff, psychiatre, professeure et chercheuse à l’University College London, a contribué à cette enquête (Nouvelle fenêtre), dont l’objectif était de mieux comprendre l'expérience et les besoins de patients qui éprouvent des difficultés à cesser leur médication.

Les symptômes de sevrage sévères peuvent vraiment être invalidants; ils peuvent empêcher les gens de travailler, ruiner des relations et rendre la vie misérable, soutient-elle.

Considérant la forte progression de la consommation d’antidépresseurs au Royaume-Uni et dans l’ensemble des pays de l’OCDE, où elle a plus que doublé depuis 2000, le syndrome de sevrage pourrait s’avérer un énorme problème social, selon la Dre Moncrieff.

Dans la peur et la souffrance

Sarah King, de Kent, au Royaume-Uni, espère que les récents changements éviteront à d’autres ce qu’elle a vécu. Elle avait 33 ans lorsque son médecin lui a prescrit du Paxil, en 2002, pour atténuer l’anxiété et le trouble panique développés à son retour au travail après la naissance de sa fille.

Paxil faisait alors partie d’une nouvelle classe de médicaments contre la dépression et l’anxiété, les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) et de la noradrénaline (IRSN), réputés pour ne pas créer de dépendance. Parmi les plus connus, il y a aussi Effexor, Prozac, Cymbalta, Celexa, Cipralex, Zoloft et Luvox.

Sarah a pris du Paxil pendant 14 ans. Sa première tentative d’arrêt, encadrée par son médecin, a échoué. Elle a ensuite décidé de se sevrer seule, beaucoup plus lentement, en réduisant les doses sur 13 mois. Malgré tout, elle a ressenti des symptômes intenses, effrayants et persistants à l’arrêt, qui ont fini par disparaître après quatre ans et demi.

Sarah King.

Sarah King travaillait dans le milieu de l’éducation lorsqu’elle a entrepris un long et difficile processus d’arrêt du Paxil. Aujourd’hui dans la cinquantaine, elle n’a plus de symptômes et vit sans antidépresseurs.

Photo : Crédit : Sarah King

Ça a affecté à peu près toutes les fonctions de mon corps, se souvient-elle. C’est comme si tous tes sens sont assaillis : la lumière de l’écran de télévision est trop brillante, les sons sont trop forts, les gens sont trop bruyants.

Au fil des mois, différents symptômes se sont côtoyés et succédé : problèmes gastriques, maux de tête, sueurs et frissons, vision embrouillée, douleurs physiques. Mais ce sont les symptômes psychologiques, d’une intensité jamais vécue auparavant, qui l’ont le plus marquée.

Quelque chose avec le sevrage te fait paniquer à propos de n’importe quoi, sans raison. Comme si ta vie était en jeu 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dès le réveil, j’étais envahie par une sensation terrible de peur totale. Et ça recommençait jour après jour.

Une citation de Sarah King

Pendant cette période difficile, Sarah a trouvé du soutien dans les communautés en ligne, où il y a aussi beaucoup de Canadiens. Valérie, une résidente de la grande région de Montréal qui a tenté pendant des années d’arrêter les antidépresseurs, en fait partie. Comme d’autres Québécois à qui nous avons parlé, elle est réticente à raconter son expérience de sevrage qui l’a profondément troublée. Elle a accepté de se confier sans être identifiée.

Elle était dans la trentaine lorsqu’elle a commencé à prendre de l’Effexor pour un problème d’anxiété apparu après la naissance de sa fille. Le médicament l’a aussi aidée à traverser une dépression. Mais après cinq ans, elle se sentait prête à l’arrêter. Avec l’aide de son médecin et de son pharmacien, elle a fait quatre tentatives d’arrêt, chacune s’étalant sur plusieurs mois.

J’aurais voulu me rendre à zéro milligramme, mais mon corps ne m’a jamais permis d’aller là, dit-elle. C’était physiquement impossible.

Pour tenter d’éviter les symptômes, son médecin lui a conseillé de réduire les doses très lentement en retirant les petites billes à l’intérieur des capsules d’Effexor. Une technique avec laquelle beaucoup de patients qui tentent d’arrêter les antidépresseurs sont familiers. Puisque ces médicaments ne sont pas commercialisés en très petites doses et qu’ils le sont rarement en format liquide, des patients en viennent à couper, égrener ou même dissoudre leurs pilules pour atténuer les effets du sevrage.

Mais dans le cas de Valérie, rien n’a fonctionné. Chaque réduction dans le dosage était accompagnée de sensations de choc électrique au cerveau (brain zaps), de grands étourdissements, de maux de cœur.

Des fois je pensais que j’allais perdre connaissance, je voyais le mur croche… C’est un peu comme se lever le lendemain d’une "grosse brosse". C’était au point où je n’étais pas fonctionnelle; je devais aller me coucher. Je ne pouvais pas faire ma journée.

Même si elle a réussi à substituer Prozac à Effexor, Valérie a renoncé à son projet d’arrêter les antidépresseurs. J’ai trop peur, dit-elle. Si je recommence [à essayer], il faut que je mette ma vie en pause, car je n’arrive pas à fonctionner.

Des patients plus à risque

Trente ans après la mise en marché de la nouvelle génération d’antidépresseurs, on ignore toujours quel pourcentage de patients vivent des symptômes de sevrage lorsqu’ils arrêtent leur médication. Beaucoup y parviendront sans trop de problèmes, mais d’autres sont plus à risque.

Selon l’Institut d’excellence en soins de santé du Royaume-Uni (NICE), les patients qui prennent des antidépresseurs sur une longue période [NDLR : plus de deux ans], à haut dosage, et qui utilisent des médicaments qui s’éliminent rapidement dans le sang, comme Effexor (venlafaxine) et Paxil (paroxétine), ont plus de risque d’avoir des problèmes à l’arrêt.

Mais même sans ces facteurs, certaines personnes vivent des difficultés. C’est le cas de Liz Craig, de Bristol, au Royaume-Uni, qui a pris de la mirtazapine pendant quatre mois pour un syndrome de stress post-traumatique. Deux ans plus tard, elle est toujours aux prises avec des symptômes qui l’empêchent de travailler.

Cinq jours après l’arrêt de sa médication, elle s’est mise à être malade, très anxieuse, et à faire de l’akathisie [incapacité à rester immobile]. Elle n’arrivait plus à dormir ni à manger.

J’avais vraiment peur; je ne comprenais pas ce qui arrivait, dit-elle.

Liz Craig.

Liz Craig

Photo : Liz Craig

Son médecin lui a dit qu’elle souffrait de symptômes de discontinuation qui disparaîtraient en deux semaines. Mais les symptômes ont perduré.

C’était physiquement la chose la plus terrifiante que j'avais vécue. Je ne pouvais pas continuer comme ça, explique la femme de 39 ans. J’ai réintroduit la pilule et tous mes symptômes avaient disparu le lendemain.

Depuis, Liz diminue ses doses très progressivement en utilisant de la mirtazapine en format liquide. Malgré tout, elle doit composer avec des nausées, des étourdissements et une fatigue qui l’empêchent d’avoir une vie normale.

Je reste sur le divan pratiquement toute la journée. Avant, j’allais au gym six jours par semaine; maintenant tout ce que je peux faire, c’est de prendre une marche avec mon chien.

Une citation de Liz Craig

Parmi la quinzaine de témoignages récoltés dans le cadre de ce reportage, certains ont aussi décrit des problèmes à l’arrêt de Prozac (fluoxétine), Cymbalta (duloxétine), Cipralex et Lexapro (escitalopram).

Les symptômes

Les symptômes de sevrage peuvent être à la fois physiques et psychologiques et se distinguent par leur intensité ou leur nouveauté. Selon le Royal College of Psychiatrists, ils apparaissent généralement dans les heures ou les jours suivant l’arrêt de l’antidépresseur et disparaissent aussi rapidement à la reprise du médicament. En voici quelques-uns.

  • Symptômes s’apparentant à ceux de la grippe : fatigue, maux de tête, sueurs, douleurs physiques
  • Perturbation du sommeil : cauchemars, insomnie
  • Problèmes gastriques : nausées, vomissements, diarrhée
  • Instabilité : étourdissements, vertiges
  • Problèmes sensoriels : engourdissements, picotements, sensations de choc électrique au cerveau, dans les bras et dans les jambes
  • Symptômes psychologiques : irritabilité, anxiété, attaque de panique, crise de larmes, peur irrationnelle, confusion, pensées suicidaires
  • Autres : akathisie, troubles de la vision (embrouillée, stroboscopique), palpitations, acouphènes, tremblements

Sources : Stopping Antidepressant (Nouvelle fenêtre), Royal College of Psychiatrists et le NICE

Faire bouger les choses

La question du sevrage aux antidépresseurs fait partie de l’actualité depuis plusieurs années au Royaume-Uni en raison des signalements et témoignages de patients. Leur détresse mais aussi leur colère ont poussé le All-Party Parliamentary Group for Prescribed Drug Dependence à se pencher sur la question et à presser le gouvernement d’agir.

L’apport d'experts en santé mentale qui ont témoigné de leurs propres problèmes de sevrage, comme le Dr Horowitz, a été non négligeable.

Les symptômes que les gens décrivent sont tellement incroyables que ça sonne comme un problème de santé mentale. C’est probablement ce que j’aurais pensé moi-même en tant que médecin si je ne les avais pas vécus, dit le Dr Horowitz.

Il a commencé à prendre des antidépresseurs pendant ses études en médecine, en 2000. Quinze ans plus tard, à sa première tentative d'arrêt après une réduction de quatre mois, les choses ne se sont pas déroulées telles qu’anticipées.

Ce qui était écrit dans les livres et les articles des experts ne reflétait en rien ce que j’ai vécu. Ils parlaient de symptômes légers et disaient que ce n’était pas un enjeu. Ce que j’ai expérimenté, ce sont les pires symptômes que j'aie jamais vécus.

Ces dernières années, le Dr Horowitz et son collègue David Taylor, un professeur de psychopharmacologie qui a aussi témoigné de ses problèmes de sevrage, ont développé un protocole d’arrêt beaucoup plus lent et graduel (Nouvelle fenêtre), reposant sur le principe que les petites doses sont les plus difficiles à sevrer. Par conséquent, les pourcentages de réduction doivent être plus faibles en fin de processus.

Le NICE et le Royal College of Psychiatrists se sont basés sur leurs travaux dans leurs nouvelles recommandations.

Les nouvelles lignes directrices, qui ont fait l’objet d’un nouveau guide (Nouvelle fenêtre) sur la prescription et le retrait sécuritaire des médicaments associés à la dépendance ou au sevrage (voir encadré plus bas), prendront toutefois du temps à s’enraciner dans la pratique, croit le Dr Horowitz.

Il y a un gros décalage entre les changements des guides et la compréhension qu’en ont les médecins. Parfois, le décalage peut aller jusqu’à 10 ans, dit-il.

Usage élargi et prolongé

Pendant ce temps, le nombre d’utilisateurs d’antidépresseurs continue de grandir et la Dre Joanna Moncrieff s’inquiète du peu d’informations qui leur est transmis au sujet de cette médication. D’ailleurs, aucun des patients interrogés dans le cadre de cet article n’avait été avisé par son médecin des difficultés possibles à l’arrêt.

Il y a des millions et des millions de personnes qui prennent des antidépresseurs, et on continue de mettre les gens sur ces médicaments en très grand nombre, soutient la psychiatre britannique. Ils doivent être informés et donner un consentement entièrement éclairé avant de les prendre. Ils doivent être conscients de toutes les complications et effets secondaires possibles.

Le Royaume-Uni et le Canada sont parmi les plus grands consommateurs d’antidépresseurs au monde. En 2021, le Royaume-Uni était au troisième rang des pays de l’OCDE (Nouvelle fenêtre) avec 13,8 % de sa population qui était utilisatrice, tout juste devant le Canada avec son taux de 13 %.

Certaines tendances ont contribué à la forte augmentation des prescriptions d’antidépresseurs ces 20 dernières années dans les pays occidentaux.

D’abord, l’usage des antidépresseurs s’est considérablement élargi au fil des ans. Ils sont maintenant utilisés pour différents problèmes de santé mentale autres que la dépression et l’anxiété, comme les troubles paniques, les troubles obsessifs-compulsifs, le syndrome de stress post-traumatique, les phobies et la boulimie.

Les antidépresseurs sont aussi prescrits pour d’autres maux (Nouvelle fenêtre), pour lesquels leur usage n’est pas toujours approuvé.

Ainsi, des patients souffrant, entre autres, de douleurs chroniques liées à la fibromyalgie, à la neuropathie diabétique et à l'arthrite rhumatoïde, de maux de dos chroniques, d’incontinence, d’urticaire, d’un syndrome prémenstruel, de migraines, de bouffées de chaleur dues à la ménopause, de trouble du sommeil et de trouble de l’attention se font parfois prescrire des antidépresseurs en première ligne.

Une étude réalisée au Québec (Nouvelle fenêtre) portant sur plus de 100 000 prescriptions d’antidépresseurs délivrées entre 2006 et 2015 indique que 29 % d’entre elles étaient liées à des usages non approuvés par les autorités régulatrices.

Des illustrations de pilules.

La consommation d'antidépresseurs a plus que doublé dans les pays de l’OCDE depuis 2000.

Photo : Radio-Canada

Ensuite, il y a le recours grandissant au traitement prolongé afin de prévenir les rechutes.

À la base, les antidépresseurs étaient utilisés pour aider les gens à traverser des moments plus difficiles et prescrits pour une durée approximative de 6 à 12 mois.

Avec la nouvelle génération d’antidépresseurs, le nombre de personnes qui les prennent pendant au moins deux ans a augmenté significativement. Néanmoins, l’état de la recherche ne justifie pas toujours le recours à ce type de traitement pour la dépression, indique le Royal College of Psychiatrists dans une déclaration (Nouvelle fenêtre).

L’utilisation à long terme est appropriée pour certains individus – ceux aux prises avec une dépression chronique ou récurrente. [Autrement] il n’y a pas de données qui démontrent la prévalence de prescrire les antidépresseurs et de poursuivre la médication au-delà de ce qui est cliniquement recommandé.

L’association de psychiatres s’inquiète aussi du lien apparent entre l’usage prolongé des antidépresseurs et les symptômes de sevrage qui, jusqu’à présent, ont fait l’objet d’évaluations limitées de la part des entreprises pharmaceutiques. La plupart des essais cliniques pour les antidépresseurs n’ont pas été conçus pour étudier attentivement le sevrage, peut-on lire dans la déclaration du RCP.

De plus, les essais cliniques sont généralement courts et ne durent que huit à douze semaines, précise John Read. Des études de longue durée sont aussi menées par les entreprises pharmaceutiques, mais la plupart ne durent que de 6 à 12 mois.

Ultimement, ce sont les compagnies pharmaceutiques qui sont à blâmer pour pousser ces médicaments sur le marché sans avoir la moindre idée de leurs effets à long terme, soutient le professeur anglais.

Un reproche que rejettent les entreprises pharmaceutiques telles Eli Lilly (Prozac, Cymbalta). Dans une déclaration écrite, Ethan Pigott, un porte-parole de la compagnie, assure que leurs essais cliniques sont validés par des organismes réglementaires, comme Santé Canada. Lilly s’assure ainsi que ses essais sont menés conformément aux bonnes pratiques cliniques et aux normes, dit-il.

Un phénomène connu et difficile à quantifier

Les entreprises pharmaceutiques reconnaissent que des symptômes physiques et psychologiques peuvent survenir à l’arrêt des antidépresseurs. Elles les appellent symptômes d’arrêt ou de discontinuation.

Les médicaments de la classe des IRSN-ISRS sont associés à des considérations bien connues concernant leur arrêt, en particulier lorsqu'il est brusque. Les patients sont avisés de toujours suivre les instructions de leur professionnel de la santé sur la façon de réduire leur dose prudemment et sans danger, pour éviter les symptômes de sevrage, a indiqué Peter Dixon, porte-parole de Viatris (Effexor XR), dans une déclaration écrite à Radio-Canada.

Comme tous les médicaments, les ISRS ont des effets secondaires potentiels, a pour sa part réagi Emilie Gentès, cheffe des communications chez GlaxoSmithKline (Paxil).

Les effets indésirables liés à l'arrêt du traitement par Paxil n'ont pas été systématiquement évalués dans la plupart des essais cliniques. Cependant, le risque de symptômes d'arrêt du traitement est clairement décrit dans la monographie canadienne du produit.

Les entreprises pharmaceutiques décrivent bien les risques liés à l’arrêt dans leurs monographies de produits. Elles avisent que des symptômes de sevrage, parfois sévères et persistants, peuvent survenir. Toutefois, elles ne précisent pas dans quelle proportion les utilisateurs en sont affectés.

Peu d’études indépendantes existent pour quantifier l’incidence des symptômes de sevrage. John Read et son collègue chercheur James Davies, professeur en anthropologie médicale et en psychologie à l’Université de Roehampton, à Londres, ont tenté de le faire en réalisant une méta-analyse à partir de 24 études internationales (Nouvelle fenêtre) menées auprès de patients.

Parmi les utilisateurs d’antidépresseurs, 56 % (la moyenne de 14 études) disent avoir éprouvé des symptômes à l’arrêt malgré la réduction progressive, et 46 % (la moyenne de quatre larges études) ont qualifié leurs symptômes de sévères.

Cette méta-analyse, qui a été publiée en 2019 et citée dans le rapport de commission de Public Health England, a fait l’objet de débats au Royaume-Uni.

En 2021, un groupe de chercheurs a répliqué avec une étude basée sur des données de l’OMS (Nouvelle fenêtre) recueillies entre 1988 et 2020. À partir de 338 498 rapports de pharmacovigilance concernant les antidépresseurs, ils ont déterminé que 4,6 % constituaient des cas de syndrome de sevrage.

Parce qu’il est encore difficile d’avoir l’heure juste, le Royal College of Psychiatrists presse les chercheurs de se pencher sur la question.

Le manque d’études sur le syndrome de sevrage résulte, selon Joanna Moncrieff, du marketing entourant l’introduction sur le marché des ISRS-IRSN, destinés à corriger un déséquilibre chimique au cerveau.

Elle croit que cette façon de présenter la dépression comme un problème biomédical qui nécessite une solution biomédicale a quelque peu brouillé les pistes. Cette théorie, qui est contestée depuis quelques années (Nouvelle fenêtre), a fait en sorte que les gens ne se sont pas questionnés sur l’effet réel de ces médicaments sur le cerveau.

Les antidépresseurs sont des médicaments, des produits chimiques, qui changent l’état et la chimie normale du cerveau, explique la Dre Moncrieff.

Joanna Moncrieff.

Dre Joanna Moncrieff est psychiatre praticienne. Elle enseigne et mène également des travaux de recherche à l’University College London.

Photo : David Bebber

Il y a de plus en plus d’évidences des conséquences à long terme sérieuses, comme le syndrome de sevrage et les dysfonctions sexuelles permanentes ou persistantes, qui émergent et qui suggèrent que ces médicaments altèrent le cerveau pour une longue période, soutient-elle. Et ça ne devrait pas nécessairement nous surprendre. Le cerveau est un organe délicat. Si tu interfères trop avec lui, tu peux peut-être causer des dommages.

Qu’en est-il au Canada?

Malgré les changements importants survenus au Royaume-Uni, Mark Horowitz se désole que des pays comme le Canada, les États-Unis et l’Australie n'aient pas emboîté le pas. Selon moi, les recommandations y sont complètement dépassées et ne correspondent pas avec ce qu’on sait aujourd’hui des antidépresseurs.

Au Canada, le fédéral approuve les médicaments, mais ce sont les provinces qui déterminent leurs propres lignes directrices en matière de soins.

De son bureau au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, le Dr Pierre Bleau ne voit pas de grande révolution venir de l’Angleterre. Le directeur national des services en santé mentale a d’ailleurs une lecture bien différente des choses concernant le syndrome de sevrage.

Il n’y a pas de sevrage avec les antidépresseurs. Je pense que le Royaume-Uni nomme mal ça, dit le Dr Bleau. Il y a des symptômes de discontinuation, et c’est connu depuis plusieurs années.

Un sevrage, c’est un état clinique qui va entraîner l’inverse de ce que le médicament fait, explique-t-il. Par exemple, un anxiolytique comme les benzodiazépines va créer une dépendance et le sevrage va faire en sorte que les patients vont devenir beaucoup plus anxieux. Avec les antidépresseurs, ce n'est pas tellement un sevrage car ils ne créent pas de dépendance.

La dépendance, selon la définition clinique qui prime au Canada et au Royaume-Uni, requiert la présence de certains critères en plus des symptômes de sevrage. Parmi eux, il y a le désir compulsif de prendre le médicament, la difficulté à en contrôler l’utilisation malgré les torts évidents causés, et le développement d’une tolérance qui oblige l’augmentation des doses pour obtenir le même effet. À l’égard de ces critères, les antidépresseurs ne sont pas associés à la dépendance.

Dans son plus récent guide sur le traitement de la dépression chez les adultes (Nouvelle fenêtre), le CANMAT, une société savante très influente au Canada, indique que les symptômes de discontinuation sont fréquents lorsque les antidépresseurs sont arrêtés abruptement, mais qu’ils sont généralement légers et transitoires.

Des informations similaires sont reprises sur le site de Santé Canada (Nouvelle fenêtre). Dans de rares cas, il peut être difficile de cesser de prendre un antidépresseur même en procédant graduellement, peut-on lire. Personne n’était disponible pour répondre à nos questions à Santé Canada, qui a décliné notre demande d’entrevue.

Comme une grippe

Le Dr Benoit Mulsant, professeur et directeur du Département de psychiatrie à l’Université de Toronto, estime que le sevrage aux antidépresseurs ne constitue pas un problème.

C’est comme avoir la grippe. C’est des symptômes grippaux qui durent 3, 4, 5 jours. Des gens sont un peu étourdis, ont des problèmes gastriques, de la nausée, de la diarrhée, dit-il.

Un petit nombre [de patients] ont des troubles de sevrage, ça doit être 5 à 10 %. Mais chez 90 % d’entre eux, on peut les éviter simplement en diminuant progressivement. Mais pas sur des mois, c’est une absurdité, dit-il. Pour arrêter, c’est deux à trois semaines.

Selon lui, seul un très faible pourcentage pourrait avoir des symptômes plus sévères pour des raisons qu’on ne comprend pas.

Si un patient qui commence un antidépresseur me demande s’il aura des problèmes à l’arrêter, je dirais à 99 % non, affirme le Dr Mulsant, qui ne partage pas l’opinion de certains de ses collègues anglais sur le syndrome de sevrage.

Ils ont fait une montagne d’une taupinière, dit-il. On prétend que c’est un grand problème. Mais on a beaucoup d'autres problèmes en psychiatrie que l’arrêt des antidépresseurs.

Une citation de Dr Benoit Mulsant, professeur et directeur du Département de psychiatrie à l’Université de Toronto

D’après ses nombreuses années de pratique comme pharmacien au Québec, Yvan Lagacé fait état de protocoles d’arrêt très similaires à ceux décrits par le Dr Mulsant.

En général, on voit des sevrages sur deux à trois semaines. Et si un patient a été sur un antidépresseur pendant longtemps, par exemple cinq ans, on va prendre plus de temps et sevrer sur un mois et demi environ. Dans certains cas, il est possible que le sevrage dure plus longtemps, dépendamment comment le patient réagit à chaque diminution.

Comme le Dr Bleau, la Dre Daphné Rocha Marussi, psychiatre et professeure à l’Université de Sherbrooke, croit que la clé dans le processus de sevrage est de respecter le rythme du patient.

Il n’y a pas vraiment de protocole, soutient la Dre Rocha Marussi. On baisse selon la tolérance du patient jusqu’à la dose minimale et on l’arrête. Ça peut prendre des semaines ou des mois; pas juste à cause des effets secondaires, mais aussi pour éviter les risques de rechute. C’est vraiment du cas par cas.

J’ai des patients qui ont zéro problème à arrêter, même du jour au lendemain. Tandis que chez d’autres, et c’est mal connu, on a des symptômes qui font en sorte qu’on doit diminuer au compte-gouttes et essayer autre chose, explique le Dr Pierre Bleau, qui enseigne la psychiatrie à l’Université McGill.

Il faut l’arrêter tranquillement, mais ça ne veut pas dire que la personne est dépendante. Son cerveau s’est habitué à avoir une concentration de neurotransmetteurs plus élevée. Ce n’est pas dangereux, c’est surtout désagréable.

Une citation de Dre Daphné Rocha Marussi, psychiatre et professeure à l’Université de Sherbrooke

Elle rappelle que les antidépresseurs contribuent à sauver des vies et dit qu’il faut faire attention dans l’interprétation des symptômes de sevrage. Les nausées, les étourdissements, les sueurs nocturnes, les cauchemars en font partie, mais si c’est de la tristesse et un manque d’énergie, ce n’est pas le sevrage, c’est une rechute.

Même s’il n’a aucun doute sur les bienfaits des antidépresseurs, le Dr Mulsant croit qu’ils sont nettement surprescrits.

Il y a trop de gens, si vous voulez mon avis, qui sont traités avec des antidépresseurs au Canada. La moitié n’en ont pas besoin, dit-il.

Peu de données sont disponibles au niveau fédéral sur la consommation d’antidépresseurs à travers le Canada. Mais selon des données colligées par l’OCDE, le taux de consommation y serait passé de 8,3 % à 13,4 % entre 2012 et 2022.

Le Québec se situe au-dessus de la moyenne canadienne avec 15,7 % des adultes de 21 ans et plus couverts par le régime public qui prenaient des antidépresseurs en 2022, selon les informations transmises par la RAMQ à Radio-Canada.

Garder espoir

Quoi qu’il en soit, certains Canadiens n’arrivent tout simplement pas à arrêter leur médication, même avec l’aide de leur médecin de famille ou de leur psychiatre. C’est le cas de Steven Hollman, un Albertain de 44 ans qui prend des antidépresseurs depuis l’âge de 12 ans pour des problèmes d’anxiété.

Steven Hollman.

Steven Hollman est directeur créatif dans le domaine de la publicité, à Toronto. Il a commencé à prendre du Zoloft à l’âge de 12 ans avant de changer pour Effexor au début de la vingtaine.

Photo : Steven Hollman

Sa première tentative d’arrêt, en 2019, a mal tourné. Pendant huit mois d’enfer, il a été assailli de symptômes physiques et psychologiques qui ont rendu sa vie invivable.

Je me sentais comme si j’étais pourchassé par un ours sans arrêt. Tout me paraissait un danger [...] J’avais l’impression que j’étais en train de perdre la tête et je me demandais : est-ce que je suis comme ça sans médicament?

Une citation de Steven Hollman

Malgré tout, il n’a pas renoncé. Je voudrais avoir la chance de vivre différemment et de trouver d’autres moyens de composer avec ce que je suis.

En 2021, une initiative de télémédecine cofondée par le Dr Horowitz, visant à accompagner des Canadiens dans leur sevrage aux antidépresseurs, lui a redonné espoir. On lui a fait un plan d’arrêt personnalisé et proposé des suivis médicaux serrés. Le projet pilote a pris fin, mais Steven a choisi de poursuivre le travail au privé, avec son infirmière praticienne.

Il sait que l’opération sera longue, très chère, mais il est prêt à payer le prix. Car selon lui, ce plan représente peut-être son seul espoir de vivre sans antidépresseur.

L’approche anglaise

Les nouvelles lignes directrices au Royaume-Uni sont regroupées dans deux guides produits par le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) à l’attention des professionnels de la santé et des patients. Il s’agit du guide pratique sur le traitement de la dépression (Nouvelle fenêtre) (mis à jour en 2022), et du guide sur la prescription et le retrait sécuritaire des médicaments pouvant causer de la dépendance ou des symptômes de sevrage (Nouvelle fenêtre) (publié en 2022).

Voici quelques-unes des principales recommandations, en plus de celles déjà décrites liées aux protocoles d’arrêt :

  • Ne pas recourir systématiquement aux antidépresseurs comme premier traitement pour les cas de dépression légère à modérée.
  • Considérer toutes les autres options de traitements non pharmacologiques avant de prescrire des antidépresseurs.
  • Informer le patient des bénéfices, mais aussi des effets indésirables des antidépresseurs, notamment ceux liés au sevrage.
  • Discuter avec le patient du plan de traitement (médicament choisi, dose et durée).
  • Au moment de l’arrêt, recourir au format liquide lorsque possible pour faciliter la réduction.
  • Effectuer un meilleur suivi des patients prenant des antidépresseurs et réévaluer leur traitement aux six mois.

Le NHS England, qui dispense les soins de santé à travers le Royaume-Uni, a aussi adapté ses pratiques. Dans son nouveau plan d’action (Nouvelle fenêtre), adopté en 2023, il incite les établissements de santé locaux à fournir davantage de services aux personnes qui souhaitent arrêter certains médicaments, dont les antidépresseurs. Il demande également de mieux former les médecins à reconnaître les symptômes de sevrage.

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