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La comédienne Sylvie Bourque dans l’enfer des benzodiazépines sur ordonnance

La série Lance et compte n’aurait pas été la même sans Linda Hébert, fougueuse journaliste sportive qui s’impose dans un univers d'hommes. Mais le combat que mène maintenant son interprète, la comédienne Sylvie Bourque, est tout autre. Et incertain. C’est un combat contre les médicaments sur ordonnance, dont les benzodiazépines, un traitement contre l’insomnie aux effets secondaires foudroyants.

Une photo de Sylvie Bourque, en 1989, alors qu'elle interprétait Linda Hébert dans Lance et compte III.

Une photo de Sylvie Bourque, en 1989, alors qu'elle interprétait Linda Hébert dans «Lance et compte III».

Photo : Radio-Canada / Michel Gauthier

Une photo de Sylvie Bourque, en 1989, alors qu'elle interprétait Linda Hébert dans Lance et compte III.

Une photo de Sylvie Bourque, en 1989, alors qu'elle interprétait Linda Hébert dans «Lance et compte III».

Photo : Radio-Canada / Michel Gauthier

Sylvie Bourque ne peut pas venir au téléphone.

Elle souhaite raconter son histoire, mais elle est trop mal en point. Son mari nous parlera à sa place; une entrevue par procuration.

Sylvie Bourque n’a pas mis le pied dehors depuis plus d’un an.

On dirait qu’elle fait du parkinson, raconte Serge Ladouceur, la voix nouée d’émotion. Ses spasmes musculaires sont tellement sévères qu’elle a l’impression que ses muscles vont se déchirer.

Malgré sa souffrance, sa conjointe ne veut pas se rendre à l’hôpital. Une autre personne irait à l’urgence, mais elle a peur qu’ils lui donnent une benzodiazépine.

Peur de retoucher au médicament qui, selon elle, a déclenché son cauchemar il y a presque cinq ans.

Serge Ladouceur décrit 2019 comme une année très éprouvante pour son épouse. Après un dégât d’eau, elle se retrouve à gérer d'interminables travaux de réparation en plus de passer des nuits blanches à écrire des projets de longs métrages. Le comble, elle éprouve sans avertissement des enjeux de santé importants et apprend qu’elle doit rapidement subir une endoscopie.

La comédienne dit avoir été paralysée par la peur : quelques années plus tôt, elle avait frôlé la mort à cause d'une réaction anaphylactique à un médicament administré par voie intraveineuse. L'idée de subir une autre intervention médicale la terrifie.

Face à ces enjeux, son médecin lui prescrit un antidépresseur ainsi qu’un anxiolytique de la famille des benzodiazépines, à prendre au besoin.

Le couple dans un restaurant, devant un lustre gigantesque.

Serge Ladouceur et Sylvie Bourque en 2019

Photo : Gracieuseté

La posologie est vague, et l’ordonnance n’est accompagnée d’aucun avertissement. Sylvie ne connaît pas les risques de ce médicament, qui peut rapidement engendrer la tolérance et la dépendance, et en prend tous les jours. Au besoin, comme suggéré par son médecin.

En quelques semaines, Sylvie remarque un changement. Elle ne se sent pas bien, elle a le souffle court, elle est anxieuse. Elle consulte un autre médecin, qui lui prescrit une autre benzodiazépine, d’une dose plus élevée.

Après quelques mois, Sylvie se retrouve à devoir prendre trois comprimés par jour. Juste pour se sortir la tête de l’eau, explique Serge.

Elle dépérit; ses maux se multiplient, au grand désespoir de son amoureux, qui se démène pour l’aider.

Pendant près de deux ans, le couple consulte une ribambelle de professionnels de la santé : urgentologues, cardiologues, psychiatres, alouette. Sylvie ne trouve aucun soulagement.

Certains médecins lui recommandent d’augmenter sa dose, tandis qu'un autre lui conseille d’essayer des antipsychotiques.

À deux reprises, on lui suggère que sa condition est psychosomatique, un diagnostic stigmatisant. Là, c’est écrit dans son dossier, donc après ça, personne ne vous croit, se désole Serge.

Séance d'autographes lors du lancement de la troisième saison de Lance et compte.

Séance d'autographes lors du lancement de la troisième saison de «Lance et compte». La comédienne Sylvie Bourque interprétait la journaliste Linda Hébert.

Photo : Radio-Canada / Robert Baron

Pourtant, les symptômes de Sylvie – spasmes, anxiété, insomnie, akathisie (un état d'agitation irrépressible), lourdeur dans les jambes – sont répertoriés comme des effets secondaires possibles chez certaines personnes, énumérés à même les feuillets d’avertissement qui accompagnent les benzodiazépines et l’antidépresseur qui lui ont été prescrits.

En septembre 2020, Sylvie Bourque décide qu’elle doit cesser la benzodiazépine. Elle constate que l’encadrement d’un professionnel de la santé est recommandé : selon les monographies pharmaceutiques, cesser le médicament requiert une réduction graduelle qui doit être effectuée sous surveillance étroite.

Ici encore, Serge Ladouceur et Sylvie Bourque se heurtent à un système médical qui semble mal outillé.

Sylvie disait : "Je suis prête à me sevrer, je veux votre aide, je suis même prête à être hospitalisée pour le sevrage", raconte Serge. On lui disait : "Le plan, c’est qu’on a pas de plan".

Il se désole de constater que sa conjointe n’aurait jamais dû recevoir ce médicament. Le médecin savait très bien qu’elle souffrait d’asthme depuis l'enfance et d’apnée du sommeil, deux contre-indications à la prescription des "benzos", écrit-il à Radio-Canada. Ces médicaments n’auraient jamais dû lui être prescrits. Elle avait besoin de repos. C’est une grave erreur médicale.

Cauchemar sur ordonnance

Les effets secondaires et problèmes de sevrage vécus par Sylvie Bourque rejoignent plusieurs autres témoignages recueillis par Enquête dans le reportage Cauchemar sur ordonnance.

Après de nombreux revers, Sylvie Bourque est finalement dirigée vers des ressources en toxicomanie. Selon Serge, elle sentait que, finalement, ses symptômes –et son sevrage – allaient être pris au sérieux.

La comédienne attend trois mois avant de rencontrer l’équipe. Après quelques consultations, elle apprend finalement qu’elle ne sera pas prise en charge. Sylvie a passé une entrevue avec l’infirmière, et l’infirmière lui a dit : "Vous n’êtes pas toxicomane; nous, on ne s’occupe pas de ça ici", raconte Serge.

Si cette quête infructueuse s’avère épuisante pour Serge Ladouceur, elle devient destructrice pour Sylvie Bourque. Elle se confine à la maison et s’isole.

Sylvie Bourque, dans les derniers temps.

Sylvie Bourque, ces derniers temps

Photo : Gracieuseté

Comme quoi il existe peu de ressources pour ceux qui deviennent dépendants d'un médicament pris comme il est prescrit, constate-t-il.

Plus tard, le couple tombe sur un psychiatre qui accepte de la sevrer. Ce dernier propose un horaire de sevrage de deux mois, mais Sylvie réussit, preuves à l’appui, à le convaincre d’établir une réduction plus graduelle.

Il disait : "Je n’ai jamais vu ça en 15 ans de pratique", explique Serge. Il trouve que ça ne va pas assez vite, mais Sylvie l’a convaincu que ça ne pouvait pas aller aussi vite qu’il voulait.

Son sevrage dure un an et demi. Elle prend sa dernière dose en septembre 2022.

Des dommages à long terme?

Sylvie Bourque ressent encore aujourd'hui d’importants symptômes.

Sylvie, en ce moment, utilise une canne pour marcher; elle n'est pas capable de rester debout, explique Serge. La maison est sur trois étages, et quand je vois sa canne sur le bord de l’escalier, ça me fend le cœur.

La comédienne ne sait pas si ses troubles persistants sont en lien avec sa prise de benzodiazépines, ou s’il s’agit d’effets secondaires causés par l’antidépresseur qui lui avait également été prescrit. Elle tente actuellement de se sevrer de cet autre médicament.

Elle a développé des problèmes de mouvement qui ressemblent à de la dyskinésie tardive aux allures de parkinsonisme et même à ceux du syndrome du corps raide, écrit Serge. Elle a beaucoup souffert et en souffre encore.

Au fil de notre correspondance avec Serge, nous recevons quelques brèves missives de Sylvie. Elle est présente, elle désire participer, dénoncer, mais elle n’a pas la force de nous accorder une entrevue.

Je vous reviens, entre les épisodes tsunamiques des symptômes, nous écrit-elle le 28 novembre 2023.

Dans une note subséquente, elle explique qu'elle a trouvé la majorité de son réconfort au sein de communautés d’entraide sur le web. Ces groupes, qui réunissent des dizaines de milliers d’internautes, sont souvent cités comme la ressource la plus appréciée des gens qui sont affectés par ces médicaments.

Dans un courriel, elle nous envoie certains des messages qu’elle y a publiés. Des appels à l’aide lancés telles des bouées à la mer, faute d’appui médical.

Je vous remercie d’avance pour vos mots d’encouragement et votre soutien. Je souffre énormément; je ne peux plus tolérer cette descente aux enfers, le sevrage est insoutenable, écrit-elle, en anglais, en juillet 2021.

Je dois en tirer quelque chose de positif de cette atroce expérience. Sinon, l’horreur et l’injustice resteront à jamais gravées dans ma mémoire.

Une citation de Sylvie Bourque
Elle porte une casquette noire, sur fond de ciel bleu.

La comédienne, ici prise en photo avant sa prise de benzodiazépines

Photo : Gracieuseté

Serge se dit soulagé d’avoir trouvé l’existence de ces réseaux, qui ont suppléé aux lacunes du système médical actuel. Elle y a trouvé du soutien; on lui a dit quoi faire pour se sevrer.

Le dernier message de Sylvie, publié quelques semaines avant la mise en ligne de ce texte, est moins optimiste.

Quatre ans que je me bats sans relâche, le cœur vidé de tout espoir de guérison, écrit-elle. Le système nerveux brisé en petits morceaux difficiles à recoller, et un cerveau qui tente tant bien que mal de réparer ses connexions; je prie pour que mon corps retrouve son chemin. C’est un dur combat à mener pour survivre à ces médicaments.

Car quatre ans après le début de son cauchemar, Sylvie Bourque ne reçoit toujours pas l’aide dont elle a besoin.

Sylvie me demandait de vous mentionner qu’elle n’a aucun médecin qui s’occupe d’elle en ce moment, et ce, depuis un bon bout de temps, écrit Serge. J’essaie toujours de rester positif, de l’encourager. Moi, je sais qu’elle va s’en sortir; elle dit qu’elle n’est pas sûre.

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