•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La « neige vivante » et son rôle crucial dans l’écosystème

Des rangées de vignes sous la neige.

Le couvert de neige est beaucoup plus surveillé, étudié et analysé qu'il n'y paraît.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Des rangées de vignes sous la neige.

Le couvert de neige est beaucoup plus surveillé, étudié et analysé qu'il n'y paraît.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

La neige joue un rôle crucial, à la fois comme réserve d'eau pour les rivières et comme manteau isolant pour les sols en hiver. La formation du couvert de neige est un phénomène qui semble simple à première vue, mais qui est pourtant très complexe à étudier, surtout en ces temps de changements climatiques.

Les flocons tombent et les yeux de Gerald Jones s'écarquillent. Chercheur à la retraite depuis déjà une vingtaine d'années, il a toujours cette passion pour la neige. Il l'a étudiée et analysée sous tous ses angles durant de nombreuses décennies à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), à Québec. Mais quand on le rencontre chez lui, à Beaupré, en ce mois de janvier 2023, la neige manque un peu.

C'est pas évident, il n'y a pas assez de neige, souligne l'homme qui a dans ses mains un carottier, un outil qui permet notamment de mesurer l'épaisseur de la neige.

Gerald Jones veut nous montrer ce qu'il faisait comme travail, mais en vain; il est difficile de réaliser une bonne mesure avec cette neige devenue glace.

Durant sa carrière, Gerald Jones a publié de nombreuses études sur la neige, dont Snow Ecology, un ouvrage fondamental sur les liens entre la neige et l'écosystème.

Gerald Jones tient un carottier.

Anciennement de l'Institut national de la recherche scientifique, Gerald Jones a étudié la neige pendant des décennies.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

À -20 °C, il n'y a presque rien qui se passe. Mais quand ça commence à fondre, alors là, la neige commence à vivre!

Une citation de Gerald Jones, scientifique à la retraite

De la neige vivante : voilà une expression qui démontre bien que la neige, ce n'est pas que de l'eau gelée, mais bien un élément riche et utile, qui fait partie des grands cycles écologiques. Mais ces cycles ne sont pas figés, ils varient et se transforment aussi, au rythme des changements climatiques.

Aujourd'hui, de nombreux scientifiques suivent les traces de Gerald Jones pour encore mieux saisir ces importants changements.

Mesurer la variabilité des précipitations

Des scientifiques tirent des traîneaux dans lesquels se trouve leur équipement.

De nombreux chercheurs tentent de mieux comprendre l'impact des changements climatiques sur le couvert de neige.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Sur une grande terre, tout près de Sorel, dans le Bas-Richelieu, la professeure Julie Thériault et son équipe procèdent au lancement d'un ballon météo pour analyser la formation des précipitations dans l'atmosphère.

On mesure jusqu'à 12 kilomètres d'altitude. On prend des informations sur la structure thermique, la variation de température dans l'atmosphère, explique cette spécialiste des précipitations de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). La précipitation est formée dans les nuages. On va avoir de la vapeur d'eau qui va se changer en glace. Et là, on a une formation de cristaux de glace qui vont éventuellement devenir des flocons de neige. Puis vient la précipitation.

La précipitation est un processus complexe, qui subit de nombreuses transformations. Neige, pluie, verglas ou grésil : tout peut changer à mesure que la goutte d'eau tombe vers le sol.

Julie Thériault sourit.

Julie Thériault est professeure à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

La vallée du Saint-Laurent est d'ailleurs un endroit unique pour faire ce genre d'analyse, surtout que la région est propice à la formation de pluie verglaçante. À cause du fleuve et de son effet sur les températures, le type de précipitation peut changer rapidement.

On peut avoir des particules de glace, des flocons de neige ou de l'eau, précise Mme Thériault. On peut aussi avoir des particules mélangées d'eau et de la glace. Tout cela dépend de la température de l'air, si ça bascule un peu en dessous ou en bas de 0 °C, ça complexifie le problème.

Une science approximative?

Si la variabilité des précipitations apporte son lot de défis d'analyse, calculer avec précision leur quantité n'est pas une mince tâche non plus. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, encore aujourd'hui, quand il a neigé, les scientifiques ont de la difficulté à mesurer avec précision l'exacte quantité tombée.

Elle a des propriétés qui changent beaucoup suivant où on se trouve, note l'hydrologue Daniel Nadeau, de l'Université Laval.

Daniel Nadeau à côté d'une motoneige.

Daniel Nadeau est un hydrologue associé à l'Université Laval, à Québec.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

La neige, c'est une particule très, très légère, ajoute son collègue hydrologue Sylvain Jutras. Elle ne va pas nécessairement tomber dans l'instrument qui nous permet de la mesurer donc le moindrement qu'il y a du vent, les flocons de neige tourbillonnent, se déplacent en angle, pratiquement de façon horizontale.

Nous rencontrons les deux chercheurs dans la forêt Montmorency, au nord de Québec. C'est un des endroits les plus neigeux de la province. En moyenne, il tombe ici six mètres de neige par hiver.

Pour déterminer le plus précisément possible la quantité de précipitations – ce qu'on appelle « le manteau nival » –, de nombreux instruments sont nécessaires. Le site de la forêt Montmorency est l'un des plus instrumentés pour l'étude de la neige de l'est du pays. On y mesure la quantité de précipitations de neige, mais aussi l'épaisseur et la quantité d'eau contenue dans le manteau nival.

Si on fait la sommation de ce qui tombe et de ce qui est au sol, on devrait arriver avec la même quantité, explique Sylvain Jutras. Sauf qu'il y a parfois de la pluie qui tombe sur la neige. Quand la pluie tombe sur la neige, elle peut ou bien s'accumuler entièrement dans le manteau nival ou bien passer à travers.

Sylvain Jutras sourit sous la neige.

Sylvain Jutras est aussi un hydrologue associé à l'Université Laval.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Un peu plus loin en forêt, Daniel Nadeau s'apprête à creuser dans la neige. Ici, on va faire un puits de neige, dit-il. On va créer une tranchée jusqu'au sol et on va faire une étude de propriété de la neige.

Ce puits de neige permet de voir tout l'historique des couches de précipitations qui se sont déposées et comment elles ont évolué au cours de la saison. Par exemple, en surface, on va voir de la neige qui est très peu dense, qui va finir par se compacter à mesure que d'autres couches vont se déposer au-dessus, ajoute M. Nadeau.

Grâce à ce travail d'analyse du manteau nival, les scientifiques tentent de mesurer avec précision la quantité d'eau emmagasinée ici et son impact sur le territoire.

La neige, quand elle tombe bien, c'est de l'eau qui est en attente de fonte. Donc, c'est comme un réservoir qui se construit, qui va progressivement être libéré au cours du printemps.

Une citation de Daniel Nadeau, hydrologue associé à l'Université Laval

Le territoire forestier boréal, dans le sud du Québec, est à la source de l'alimentation d'une panoplie de grandes rivières qui se déversent dans le fleuve Saint-Laurent, note Sylvain Jutras.

Un super isolant

Des instruments de mesure sont installés dans un champ enneigé, devant un boisé.

Le couvert de neige protège le sol des forêts, mais également les terres agricoles.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Toute cette couverture de neige a aussi un impact majeur sur la température du sol.

Dans son puits de neige, Daniel Nadeau vérifie aussi comment la neige isole la terre. Près de la surface, on a une température d'environ -6 °C, indique-t-il, un thermomètre dans la main.

Cette fois, si j'insère le thermomètre dans le sol, on remarque qu'il s'insère facilement, signe que le sol est dégelé. On est tout juste au-dessus de 0 °C.

Le couvert de neige est un élément fondamental en milieu forestier, mais aussi en territoire agricole.

La neige nous permet de survivre tout au long de l'hiver. Ça fait une isolation parfaite, note le viticulteur Charles Denault, de Sainte-Pétronille, sur l'île d'Orléans.

Charles Denault ajuste un appareil de mesure dans la neige.

Charles Denault, un viticulteur de Sainte-Pétronille, sur l'île d'Orléans, utilise des membranes géotextiles pour amener la neige à s'accumuler.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Son vignoble, comme plusieurs au Québec, cultive des vignes de type Vitis vinifera. On y fabrique du riesling, du chardonnay ou du pinot noir. Mais ces vignes sont capricieuses, elles ne tolèrent pas le froid parfois brutal du Québec. Donc, pas le choix, il faut de la protection, durant l'hiver.

La solution passe par l'utilisation de grandes toiles géotextiles. La membrane agit comme une clôture à neige aussi. Comme il n'y a pas beaucoup d'arbres alentour, avec le vent, ça permet à la neige de s'accumuler et ça fait une belle couverture, explique M. Denault.

Cette idée de membrane géotextile, Yvan Quirion a été le premier au Québec à l’avoir, dans son vignoble à Saint-Jacques-le-Mineur, dans le sud de la Montérégie.

Quand on le visite, fin janvier 2023, il pousse un soupir de soulagement. La veille, il est tombé 25 centimètres de neige.

Ici, heureusement, malheureusement, c'est la région la plus chaude du Québec. On a beaucoup plus de redoux, beaucoup plus de pluie, explique M. Quirion.

Yvan Quirion marche dans la neige.

Yvan Quirion, un vigneron de Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie, est un pionnier de l'utilisation de la membrane à cette fin.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Pour protéger ses vignes contre les changements de températures, la toile géotextile est nécessaire. Il ne faut pas que les bourgeons subissent plus froid que -20 °C dans le géotextile. S'il n'y a pas de neige, l'isolant ne peut durer que quelques heures. Mais s'il est couvert en neige, il n'y a pas d'enjeu de froid.

On est les seuls au monde à utiliser cette technique-là. Soit on est vraiment brillants, soit on est fous de faire de la viticulture ici!

Une citation de Charles Denault, viticulteur de Sainte-Pétronille

Une riche activité souterraine

À l'arrivée de l'hiver, tout semble s'endormir pour quelques mois. On pourrait croire que cette neige n'agit que comme une couche protectrice. Mais sous terre, c'est autre chose.

Grâce à un bon couvert neigeux, le sol ne gèle pas en profondeur. Il peut ainsi conserver une activité microbienne riche, vivante. Et cela est très bénéfique en agriculture.

Dès que la neige atteint 15 à 20 centimètres d'épaisseur et que le sol n'est pas complètement gelé, les micro-organismes vont s'adapter à cette nouvelle température-là. Fin décembre et début janvier, il y a plein d'activités dans nos sols.

Une citation de Martin Chantigny, chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada
Martin Chantigny devant un champ enneigé.

Martin Chantigny est chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Sur une grande terre agricole à Saint-Augustin-de-Desmaures, tout près de Québec, M. Chantigny dirige une analyse unique. Avec divers instruments de collecte, il perce le manteau neigeux pour savoir ce que produit le sol.

Nous évaluons les bilans de gaz à effet de serre pour différentes rotations de cultures en agriculture, dit-il. Et là, on est en train d'évaluer la portion hivernale de ces émissions-là.

Le sol et les écosystèmes produisent du CO2 de manière naturelle. C'est le résultat d'activités microbiennes dans le sol.

Ce qui arrive en agriculture, c'est qu'avec des opérations comme la fertilisation, on perturbe un peu le système. Ça crée un déséquilibre. Et pendant ces périodes-là, il y a des émissions plus fortes que dans les milieux naturels, souligne M. Chantigny.

Outre le CO2, l'agriculture est responsable de l'émission de deux autres des principaux gaz à effet de serre.

Il y a d'abord le méthane, émis principalement par les ruminants durant leur digestion. Ce gaz est 25 fois plus dommageable que le CO2. Et il y a le protoxyde d'azote, qui est, lui, 300 fois plus dommageable que le CO2. Comme on fertilise les sols chaque année avec des fumiers ou engrais, il y a une portion de cet azote-là qui demeure dans le sol et qui peut effectivement contribuer aux émissions de protoxyde d'azote, explique le scientifique.

Selon les estimations, plus de 35 % des émissions de protoxyde d'azote sont produites en plein hiver, alors que l'agriculture est pourtant en mode arrêt.

Martin Chantigny croit qu'il y a des solutions évidentes qui permettraient une réduction de ces émissions.

On peut mieux gérer les apports de fumier à l'automne, suggère-t-il. Tout ça en utilisant par exemple les cultures de couverture qui vont aider à capter l'azote au lieu de le laisser libre dans le sol pour les micro-organismes.

Tout est lié!

Gerald Jones pointe le ciel.

Les changements climatiques préoccupent énormément Gerald Jones.

Photo : Radio-Canada / La semaine verte

Avec les variations des changements climatiques, la neige est devenue un peu plus rare par endroit, comme chez Gerald Jones, à Beaupré. Il s’inquiète devant ces tendance.

Le manque de neige, c'est la perte d'un élément fondamental de l'écosystème, souligne l'ancien chercheur de l'INRS.

Pour lui, la neige n'est pas inanimée, elle est bien vivante. L'hiver, les organismes dans le sol montent dans la neige pour aller chercher de l'eau. Tout est lié! insiste-t-il.

Si M. Jones a cessé son travail de recherche depuis longtemps, sa science, elle, continue à évoluer. Cette fois, pour bien saisir les effets des changements climatiques sur les précipitations et sur le reste de l'écosystème.

Il faut toujours se questionner sur les liens entre la neige et tout ce qu'elle recouvre : les arbres, le sol, la vie!

Des flocons de neige tombent dans une forêt.

Le reportage de Benoît Livernoche sur le rôle de la neige, présenté à « La semaine verte »

Photo : Radio-Canada

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.