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Les locaux de l'Église de scientologie à Québec.
Enquête

Les remèdes de la scientologie

Durant trois mois, l’émission Enquête a mené une opération d’infiltration au sein de l’Église de scientologie. L’objectif : documenter comment elle accueille des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Cette démarche nous a menés chez un garagiste en banlieue de Québec et chez un médecin de Shawinigan… et révèle que la scientologie exercerait illégalement la médecine.

Saint-Roch, ville de Québec

17 août 2023

18 h 14

Quartier Saint-Roch, dans la Basse-Ville de Québec. Nous garons notre véhicule sur la rue Sainte-Hélène, près des locaux de l’Église de scientologie, mais hors de portée de vue pour qui en sortirait ou y entrerait. Il faut être discret. Assis sur la banquette, Pierre s’agite. Il n’y a pas de fil? On ne voit rien?

On le rassure. Mais en fait, nous sommes tous nerveux.

Pierre est un nom d’emprunt : ce journaliste professionnel a accepté de faire une infiltration pour Radio-Canada. Et on vient de l'équiper de caméras cachées.

Fébrile, Pierre nous dit au revoir et se dirige vers les locaux de l’Église de scientologie. Sa respiration s’accélère. L’opération d’infiltration est en branle depuis déjà un mois, mais cette soirée s’annonce différente. L’Église l’a convoqué en entrevue pour savoir s’il est venu secrètement faire du trouble. Se méfie-t-on de lui? Va-t-on le démasquer?

Il s’apprête à subir un interrogatoire en règle, branché à un appareil qui ressemble à un détecteur de mensonges.

Pour Pierre, pas question de reculer : l’enquête journalistique ne peut pas s’arrêter maintenant.

L’Église de scientologie entretient depuis longtemps une méfiance envers les médias. Mais ce dont elle se méfie aussi, c’est la psychiatrie, détestée par son fondateur, L. Ron Hubbard, qui rêvait de s’établir comme un maître de la santé mentale.

Tout ce qui commence par "psy" en scientologie, c'est diabolisé, c'est mal, c'est dangereux, raconte Michel Laflèche Francœur, un ancien membre du personnel de l’Église. Il a lui-même participé à des manifestations contre cette profession avec d’autres scientologues.

Les scientologues, en général, pensent que les psychiatres et les psychologues sont des gens qui veulent fondamentalement détruire la société.

Une citation de Phil Lord, professeur de droit

Hubbard a écrit La Dianétique, un livre qui se voulait un traité en santé mentale dans le but de révolutionner la santé mentale, poursuit Phil Lord, professeur de droit à l’Université de Moncton et un des rares experts de l’Église de scientologie.

Depuis la mort de Hubbard, en 1986, ses disciples poursuivent son œuvre.

Sa méthode de guérison, offerte aux seuls initiés, est enrobée de mystère.

Pierre a besoin d'aide

Marie

Est-ce que tu es déprimé?

Pierre

– Il y a certains moments, oui.

Pour savoir ce qui se passe entre les quatre murs de l’organisation, l’émission Enquête a créé le personnage de Pierre.

Pierre dit avoir un diagnostic de bipolarité et être suivi par un psychiatre qui lui prescrit des stabilisateurs d'humeur et des antidépresseurs.

C'est un peu ce qui m'a mené chez vous, explique-t-il à Marie, une membre du personnel de l’Église, au tout début de l’infiltration.

La maladie de bipolarité se caractérise par des états anormaux et extrêmes, des périodes de manie où la personne est énergique, hyperactive, puis des périodes dépressives.

Depuis sa fondation, en 1954, l’Église de scientologie offre des services pour libérer les humains de leurs traumatismes et pour améliorer leurs conditions de vie. Elle compte sur des églises à l’architecture tape-à-l’œil dans de nombreux pays pour attirer des adeptes.

L’église de Québec, où se présente Pierre, est une des plus modernes et des plus attrayantes dans le monde. Des portraits de son fondateur ornent les murs, ses ouvrages bien en évidence sur de nombreuses étagères.

On est des milliards de personnes sur la Terre, puis la majorité va se coucher sans se sentir écoutée. Alors, quand tu t'assis avec quelqu'un qui t’écoute, puis qui a l'air de s’intéresser à toi, c'est attirant, raconte Michel Brillon, un Québécois qui a investi près de 25 ans de sa vie dans la scientologie avant de rompre, amer, tous liens avec l’organisation.

À la suggestion de l’Église, Pierre passe un test de personnalité de 200 questions imprimées sur un dépliant.

M. Brillon connaît bien ces tests de personnalité, comme celui qu’on fait passer à Pierre, car il en a lui-même analysé alors qu’il était un membre du personnel de l’Église.

Ils trouvent ta propre bibitte, la faille qui fait en sorte que tu n’es pas heureux ou que tu ne réussis pas au point où tu le voudrais, explique-t-il. Ils vont trouver ce qui te fait mal. Puis, ils vont peser dessus jusqu'à ça fasse assez mal pour que tu débourses de l'argent pour te sortir de là.

Résultat du test : Pierre est déprimé. Ils ont trouvé son talon d'Achille.

Marie, la scientologue qui analyse son test, lui parle alors de divers services, dont un programme de purification à 2500 $ plus taxes.

Le programme de purification

Mise au point par le fondateur Hubbard, la purification est une des premières étapes en scientologie. On promet à ceux qui empruntent cette voie un esprit clair, le sentiment d'être plus éveillé et plus alerte, un regain d'énergie et d'enthousiasme dans la vie.

La proposition est attirante pour Pierre qui, comme convenu dans le scénario que nous avons mis au point, dit se sentir dépressif malgré les médicaments psychotropes qu’il prend depuis deux ans. On lui promet d’ailleurs que la purification le débarrassera de toutes les toxines présentes dans son corps, dont celles qu’auraient laissées ses médicaments.

Malgré ses problèmes de santé mentale, l’Église accepte de le préparer pour la purification.

Première étape : Pierre doit faire une entrevue.

Ils vont poser des questions sur plein d'affaires sur ta vie, lui explique la scientologue Marie.

Quelques minutes après avoir quitté notre véhicule garé sur la rue Saint-Hélène, Pierre entre dans l’église. On l’attend.

Pierre

– Allô, Brigitte.

Brigitte

– Est-ce que tu as un téléphone sur toi?

Pierre

– Oui.

Brigitte

– On va le laisser ici ou tu le fermes, puis on le laisse à la porte. Est-ce que tu connais un petit peu l'électromètre?

Pierre est emmené dans une petite salle de l’église de Québec et se retrouve, médusé, face à l’électromètre, une étrange machine made in scientologie.

Une scientologue nommée Brigitte lui demande de prendre dans ses mains deux cylindres métalliques branchés à un appareil muni d’un cardan sur lequel oscille une aiguille.

Les caméras cachées installées sur Pierre filment la scène.

Selon l’Église, cet instrument religieux mesure l’état mental d’une personne et aide les individus à se libérer de leurs tourments.

Cependant, cet appareil a une autre utilité : faire des vérifications de sécurité. C'est un peu comme un détecteur de mensonges, explique l’ancien scientologue Michel Laflèche Francœur.

L’entrevue, lancée par des questions banales, se corse rapidement.

Brigitte

Représentes-tu une tentative d'investiguer la scientologie?

Pierre

– Non.

Brigitte

– Connais-tu quelqu'un qui investigue la scientologie?

Pierre

Non plus.

Brigitte

– Es-tu connecté à une agence de renseignement?

Pierre

– Non.

Un homme tient deux cylindres connectés à une machine.

Un électromètre de l’Église de scientologie.

Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

La scientologue Brigitte reste de marbre. Pierre aussi. Toutefois, en son for intérieur, il ne peut pas s'empêcher de se demander s'il a été démasqué. A-t-il été démasqué? Cette machine fonctionne-t-elle vraiment? L’entrevue se poursuit.

Brigitte

As-tu un passé de traitements psychiatriques ou psychologiques?

Pierre

Heu.. Oui.

Brigitte

Dans un institut ou non?

Pierre

En fait, je suis suivi par un psychiatre.

Brigitte

As-tu déjà pris des drogues psychiatriques?

Pierre

Des drogues psychiatriques, c'est des médicaments?

Brigitte

Oui.

Pierre

Oui, oui, je prends des drogues psychiatriques. Je prends des médicaments actuellement.

Brigitte prend des notes et semble suivre un plan d’entrevue préétabli et détaillé.

Brigitte

As-tu jamais menacé ou tenté de te suicider?

L’entrevue, qui ne dure que 30 minutes, se termine sans jugement de la part de la scientologue Brigitte.

La bombe antidrogue

Quelques jours plus tard, Pierre est convoqué à une rencontre avec Kathleen, une autre scientologue. Elle veut lui vendre le programme de purification.

Cependant, cela vient avec une condition : il doit tourner le dos à sa médication, comme Marie l'avait déjà laissé entendre.

Le message est clair : si Pierre veut se purifier, il doit arrêter de prendre ses médicaments pour contrôler sa bipolarité. Arrêter les médicaments est un choix individuel, nuance Kathleen. C'est le choix de la personne, dit-elle en lui recommandant d’en parler à son médecin.

Selon la scientologie, les médicaments génèrent des toxines qui se logent dans les graisses adipeuses. Le programme sert justement à s’en débarrasser.

Cela n’a aucun fondement scientifique. Les médicaments ne créent pas de toxines, explique la psychiatre Marie-Ève Cotton, qui a accepté de commenter certains moments de l’infiltration de l’émission Enquête.

Elle est critique des procédés de l’Église.

Même si on ne lui demande pas directement d'arrêter son traitement, si on lui dit que les psychotropes créent des toxines, puis qu'il doit s'en débarrasser pour aller bien, l'équation n’est pas très compliquée pour penser que ses médicaments sont néfastes pour lui, dit la Dre Cotton.

Pour les fins de l’infiltration, Pierre accepte de jouer le jeu et dit aux membres du personnel de l’Église qu’il va arrêter de prendre ses médicaments. J'en ai parlé avec mon psychiatre qui n'était pas tout à fait content, mais il me disait : 'Écoute, je ne peux pas t'empêcher. Je ne peux pas t’obliger", dit le journaliste-infiltrateur.

C’est seulement à ce moment-là qu’on lui propose la formule, mise au point par le fondateur de l’Église de scientologie, pour l’aider dans son sevrage : la bombe antidrogue.

C’est une formule de vitamines qui a montré son efficacité pour lutter contre les effets du manque. Ça aide la personne dans le sevrage, explique Kathleen, qui lui montre un petit livret intitulé Réponses aux drogues. Puis ils disent "bombe", parce que c'est comme vraiment une grande quantité de vitamines.

Le livret indique même que la niacine, la vitamine B3, aide à surmonter tout trouble mental.

La formule de vitamines recommandée par l'Église n'est cependant pas disponible dans ses locaux, pas plus qu'elle est en vente libre en pharmacie. Pour se la procurer, on le redirige plutôt... vers un garagiste.

Un vernis de légalité

Lors des incursions de Pierre au sein de l’Église de scientologie, des membres du personnel lui ont demandé de signer des documents. Il y est écrit que l’organisation ne propose pas de guérison physique, qu'elle n'accepte pas de personnes à la recherche d’un traitement pour une maladie physique ou mentale et que si Pierre arrête de prendre ses médicaments, c’est à son initiative à lui seul. En aucun cas, je ne t'ai demandé d'arrêter. Et il n'y a personne qui va te demander d'arrêter les choses ici, dit la scientologie Marie. C'est ben important. La médecine, c'est la médecine. Ce n’est pas nous.

Dans les faits, on recommandera bel et bien à Pierre de cesser de prendre ses médicaments. Les documents qu’on lui fait signer ne peuvent d'ailleurs pas permettre l'exercice illégal de la médecine au Québec, selon des experts consultés par Enquête.

L'homme est confiant et sourit à Pierre.

Le garagiste-scientologue Doris Sanfaçon et une boîte de vitamines VitalBuk.

Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

Le garagiste-scientologue

Loretteville, ville de Québec

29 août 2023

11 h 16

Pierre

Bonjour! J’ai rendez-vous avec Doris Sanfaçon.

Doris Sanfaçon

Viens-t’en, mon ami!

Pierre a rendez-vous avec le vendeur de vitamines dans un imposant garage de mécanique générale à Loretteville, en banlieue de Québec.

Un homme à la stature imposante et habillé d'une chemise fleurie hawaïenne se présente. On sent qu'il dirige tout le monde ici : c'est sa business.

La première fois que j'ai connu la scientologie, ça fait… Il faudrait que je calcule. Plus que 45 ans. 48 ans, peut-être, dit Doris Sanfaçon dans son bureau adjacent au garage.

M. Sanfaçon n’est pas un simple garagiste : c’est un membre du personnel de l’Église de scientologie de Québec.

La conversation porte d’abord sur les principes en scientologie avant de devenir plus personnelle. Le garagiste s'avance prudemment.

Doris Sanfaçon

Tu vas le revoir, ton psy?

Pierre

Oui.

Doris Sanfaçon

Tu vas lui dire qu'on s'est rencontrés?

Pierre, hésitant

Sûrement.

Doris Sanfaçon

Ben... Disons.

Pierre

Il ne sait pas que je veux arrêter [de prendre mes médicaments] pour la purification. Ça, on n'en a pas parlé.

Doris Sanfaçon

Moi, j'aimerais mieux pas.

Pierre

De quoi?

Cette fois-ci, à cette question toute simple de Pierre, le garagiste se laisse aller. C'est une sortie en règle. Moi, j’aimerais mieux pas [...] que tu lui en parles. Parce que présentement, ceux qui tiennent le plancher pour la santé mentale au Canada [...], c'est les psys, c’est pas la scientologie. Là, tu as deux approches. Je te laisse choisir par toi-même, affirme M. Sanfaçon, qui poursuit tout de même avec verve à défendre ses idées.

Il y a deux univers. On ne sera jamais d'accord là-dessus. On ne sera jamais d'accord du fait que pour traiter ta détresse, la noirceur que tu as eue [...]. Moi, je ne serai jamais d'accord d'embarquer dans les psychotropes.

Le psy, lui, ce qu’il fait, poursuit-il, c’est qu'il développe avec les compagnies pharmaceutiques [...] des psychotropes. [...] C’est vraiment la pire affaire à faire, ces traitements-là. Ça fite vraiment pas avec le fait de libérer un esprit.

De toute manière, la source du mal-être de Pierre ne peut pas être la bipolarité.

Bipolaire, excuse-moi, ça n'existe pas. C'est une maladie inventée.

Une citation de Doris Sanfaçon, garagiste scientologue

Le scientologue Doris Sanfaçon lui recommande une nouvelle approche : boire de l’eau filtrée et prendre de fortes doses de vitamines de la compagnie VitalBulk, la fameuse bombe antidrogue.

Normalement, ce qu'il faut faire, je vais te le dire : t'arrêtes les psychotropes maintenant. T'arrêtes toute drogue maintenant, clame-t-il.

Proposer une thérapie qui n'a aucune justification scientifique pour une maladie comme la maladie bipolaire, c'est dangereux, analyse la psychiatre Marie-Ève Cotton, qui ajoute ceci : Dire à quelqu'un qu'il devrait arrêter ses médicaments pour la bipolarité, c'est un geste médical.

Non seulement dangereux mais aussi contraire aux lois, selon des experts à qui nous avons parlé.

Poser un diagnostic et proposer un traitement pour améliorer l’état d’une personne constitue une forme d’exercice illégal de la médecine. Les individus et les organisations qui posent des gestes de nature médicale s’exposent à une enquête du Collège des médecins et à être poursuivis devant les tribunaux.

Les autorités ne sont pas non plus sans moyens pour lutter contre ce phénomène.

Une des choses pour lesquelles un gouvernement peut intervenir auprès d'un organisme religieux, c'est lorsqu'il y a pratique illégale de la médecine, explique justement le professeur Phil Lord.

Doris Sanfaçon exerce ses activités de scientologue dans son garage, mais il explique à Pierre qu'il a une autre entreprise vouée à cette fin : le Centre d'amélioration de la vie. Le garagiste est aussi le fournisseur officiel de vitamines pour le programme de purification que souhaite suivre Pierre.

Il faut que tu achètes les vitamines par moi. Parce que, légalement, on ne peut pas les passer dans [l’Église de scientologue], révèle-t-il candidement.

La facture s’élève à 188,71 $. Pierre paye en argent comptant pour éviter de révéler sa véritable identité.

Enquête a aussi découvert que les vitamines VitalBulk sont vendues illégalement par le garagiste scientologue.

Ce sont des produits carrément non autorisés au Canada, confirme une porte-parole de Santé Canada en entrevue. Les vitamines VitalBulk ne sont pas homologuées au pays. Ça veut dire que le produit n'a pas été évalué par Santé Canada comme rencontrant les normes de sécurité, d'innocuité et de qualité auxquelles on peut s'attendre pour des produits vendus au Canada, dit-elle, ajoutant qu’un inspecteur devrait s’intéresser à cette affaire et saisir les produits.

Pierre quitte le garage avec ses achats et promet de rester en contact avec le garagiste.

Deux mois plus tard, à la fin de l’opération d’infiltration, Enquête contacte M. Sanfaçon pour lui révéler que Pierre était un infiltrateur. Il n’y a pas de mauvaise intention dans ça. C’est de l’aide, dit-il, sous le choc, en ajoutant que la scientologie est inattaquable.

Écrivez-nous - Vous pouvez écrire à notre journaliste par courriel : gaetan.pouliot@radio-canada.ca (Nouvelle fenêtre)

Nom de code : Calcium

Le scénario d’infiltration et le personnage de Pierre n’ont pas été inventés de toutes pièces. Ils sont basés sur un cas vécu.

L’équipe journalistique lui a donné un nom de code : Calcium. Cette personne, qui avait reçu un diagnostic de bipolarité, était suivie par un psychiatre et prenait des médicaments psychotropes. Comme Pierre, elle a été prise en charge par l’Église, qui lui avait vendu son programme de purification.

Enquête a obtenu un rapport confidentiel et interne de l’Église de scientologie qui le prouve.

Alors qu’il se sentait mourir, il a vu l’Église de scientologie et c’est là qu’il a été aidé et sauvé, écrit le garagiste Doris Sanfaçon à ses collègues scientologues. Je l'avais rassuré que je pouvais l'aider avec sa situation physique par un sevrage éduqué de la vingtaine de psychotropes qu'on lui avait fait prendre.

M. Sanfaçon y décrit certains symptômes du sevrage de Calcium. Il se sentait zombie , avait de terribles cauchemars et même des pensées homicides. Je l’ai encouragé à continuer son sevrage, écrit encore le scientologue garagiste. Je lui ai rappelé de boire beaucoup d’eau et de s’assurer de m’appeler.

Pour un psychiatre, c'est un peu cauchemardesque, un bipolaire qui arrête ses médicaments, qui a des pensées homicides, des cauchemars, et qui est sous les soins d'un garagiste, affirme la Dre Marie-Ève Cotton, à qui nous avons présenté le rapport confidentiel de l’Église. C'est un peu une urgence médicale.

La maladie bipolaire, ça ne se guérit pas, ça se contrôle, met-elle en garde. C'est le diagnostic psychiatrique où le taux de suicide est le plus élevé. Il y a 15 % des gens qui ont un diagnostic de bipolarité qui vont décéder par suicide.

Calcium ne fréquente plus l’Église de scientologie et est aujourd’hui de nouveau suivi par un psychiatre.

D’autres personnes pourraient avoir été accompagnées dans leur sevrage par l’organisation. Au cours des trois mois d’infiltration, des membres du personnel ont parlé à diverses reprises de leurs expériences avec des gens qui cessaient de prendre leurs médicaments.

Grotesque, selon l’Église de scientologie

Enquête a contacté les membres du personnel rencontrés par Pierre. Ils n’ont pas voulu accorder d’entrevue.

L'Église de la scientologie de Québec a demandé à connaître les noms des ex-scientologues qui s'exprimaient dans notre reportage ainsi que ceux de tous nos experts. En vertu de nos normes, nous avons refusé.

Par courriel, l’Église écrit ceci : Votre tentative de recaractériser un service religieux, tel que le programme de purification, est grotesque [...]. Rien ne justifie, n’explique ni ne protège le fait que vous ayez utilisé des procédés clandestins à l’encontre de notre Église et nos volontaires religieux.

Des médecins collaborateurs

Avant de faire le programme de purification, les règles de l’Église exigent des participants qu’ils consultent un médecin. Celui-ci doit donner son approbation éclairée, sur papier, en signant un formulaire de l’Église.

Pourtant, le programme de purification n’est aucunement basé sur la science.

Il n'y a pas beaucoup de médecins qui acceptent de faire ça. C'est très controversé, explique l’ancien scientologue Michel Brillon.

Ce papier de médecin, encore là, c'est une précaution du fondateur, c'est l'intelligence d'Hubbard, décrit Michel Laflèche Francœur.

Et pour cause : bien des éléments du programme santé mis au point par Hubbard peuvent en fait la menacer. Le programme de purification, qui coûte environ 2500 $, comprend un peu d’exercice et de quatre à cinq heures de sauna, tous les jours durant environ quatre semaines.

Mais ce n’est pas tout.

J'ai fait le parcours de purification. Je devais prendre un cocktail de vitamines, dont une grosse quantité de niacine qui grossissait chaque jour, explique Michel Laflèche Francœur, qui souligne que la niacine lui donnait des plaques rouges sur la peau.

Lors du programme de purification, les participants vont prendre des doses massives de vitamines qui dépassent largement les seuils maximaux recommandés par Santé Canada.

Tout ça présumément pour lutter contre les toxines. Bref, on confie à des vitamines le soin de faire ce que l’organisme fait naturellement.

Se détoxifier, c'est le travail de notre foie. On est capables de faire ça tout seuls, normalement, explique la Dre Rachel Goubau.

Enquête a aussi demandé à la Dre Maude St-Onge d’analyser le programme de purification. Toxicologue, elle est la directrice médicale du Centre antipoison du Québec. C’est la dose qui fait le poison, dit-elle.

Si le programme de purification de l’Église de scientologie peut donner des nausées, des vomissements, des diarrhées, il est aussi potentiellement toxique.

Il y a des préoccupations qui sont soulevées par rapport à certaines des vitamines, analyse-t-elle, notamment les fortes doses de niacine et la vitamine A que doivent prendre les participants. Il y a plusieurs vitamines qui, en prises répétées, peuvent avoir des effets qui vont se combiner et qui peuvent donner des problèmes de foie à long terme, tranche la Dre St-Onge.

Malgré tout, l’Église de scientologie peut compter sur des médecins collaborateurs.

Nous, on a des médecins qui connaissent le programme de purification. C'est pour ça que c'est à eux autres qu'on envoie les gens : parce qu'il y a un questionnaire spécifique, pis tu dois répondre à toutes les questions avec le médecin, a expliqué à Pierre la scientologue Marie.

On a un médecin. En tout cas, c'est sûr qu'il est loin. Il est à Shawinigan. Mais il est vraiment très, très minutieux dans ses choses. On lui fait confiance, a pour sa part expliqué Brigitte.

Un médecin a un stéthoscope autour du cou.

Le Dr Joseph Sylvain dans son bureau de Shawinigan.

Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

Grand-Mère, Shawinigan

26 octobre 2023

17 h 55

Au cœur de l’automne, l’équipe de l’émission Enquête se rend à une clinique médicale de Shawinigan. Les jours raccourcissent, il fait déjà noir. Voilà déjà trois mois que l’opération d’infiltration est en cours.

Nous fixons les caméras sur Pierre. Il doit rencontrer un médecin de famille qui collabore avec l’Église de scientologie : le Dr Joseph Sylvain.

Le Dr Sylvain lui a envoyé une requête pour faire des prises de sang, des tests d’urine et un électrocardiogramme. Or, Pierre ne l’a jamais rencontré. C’est l’Église qui a fait toutes les démarches.

La procédure est étrange. Pierre n’a pas de dossier dans cette clinique et il ne devra pas utiliser sa carte d’assurance maladie. Le Dr Sylvain ne prend d’ailleurs plus de patients, lui dit la réceptionniste lors d’un appel.

Malgré tout, l’Église organise un rendez-vous et demande à Pierre d’apporter 375 $ en argent comptant. C’est ainsi que le médecin voudrait se faire payer : un don pour financer un organisme caritatif à Haïti.

Pierre se présente à l’heure prévue. Le Dr Sylvain est assis à son bureau derrière de nombreux dossiers empilés.

Les résultats des tests reçus par fax par le médecin n’indiquent rien d’anormal.

Cependant, lorsqu’il prend sa pression, le médecin dit : C’est trop haut. Malgré son flegme, l’infiltrateur est nerveux, très nerveux. Et contrairement à l’électromètre, les signes vitaux ne mentent pas.

Le médecin refuse alors d’autoriser le programme de purification et ne demande pas les 375 $.

C’est à ce moment que l’équipe d’Enquête décide de mettre un terme à l’opération d’infiltration. Nous attendons que le médecin sorte de son bureau pour lui parler.

Lors d’une longue discussion, le Dr Sylvain avoue à Enquête avoir reçu des patients envoyés par l’Église de scientologie et avoir autorisé le programme de purification, même si c’est très controversé.

J'ai fait ça comme ça. Mais je n'avais pas le droit de le faire, avoue-t-il candidement, disant qu’il voulait simplement aider. Le problème, c’est que je ne connais pas le programme pour pouvoir autoriser ça. C’est là que je suis en faute. C’est pas légal, c’est pas propre, ajoute-t-il, promettant de mettre fin à sa collaboration avec l’Église de scientologie.

Le Dr Sylvain n’est pas le seul médecin à collaborer avec l’Église de scientologie.

Catherine, la scientologue qui sert d’intermédiaire entre l’Église et le médecin, a affirmé à Pierre qu’un autre médecin, basé à Montréal, collabore actuellement avec la scientologie.

Et selon les informations de l’émission Enquête, d’autres médecins de la région de Québec et de Montréal ont eux aussi collaboré avec l’Église dans le passé.

Pour suivre le programme de purification, que ce soit à Québec, à Toronto, à Los Angeles ou à Paris, un médecin doit donner son consentement. C’est la règle du fondateur Hubbard. Et il est interdit d’y déroger.

Toutefois, cette collaboration avec une organisation qui propose un programme de purification qui n’est pas basé sur la science est problématique, selon des experts consultés.

Selon leur code de déontologie, les médecins du Québec doivent protéger la santé et le bien-être des individus et ne doivent pas consulter un charlatan ni collaborer de quelque façon que ce soit avec lui. Les médecins qui enfreignent leur code de déontologie s’exposent à une enquête du Collège des médecins.

Le fait qu'on m'envoie voir un médecin, ça me faisait croire que c'était légal, que le médecin pouvait croire dans ça, explique Michel Laflèche Francœur.

L’opération d’infiltration d’Enquête, qui a duré trois mois, aura permis de découvrir un système parallèle à la médecine psychiatrique.

La purification n’est d'ailleurs qu’une des premières étapes dans l’univers de la scientologie en vue de libérer l’être de ses traumatismes. Et ce service n’est pas uniquement réservé à ceux qui ont des problèmes de santé mentale. Tous les adeptes qui veulent monter sur le pont vers la liberté totale et acquérir des superpouvoirs doivent passer par là.

On veut devenir presque des dieux, dit l’ancien scientologue Laflèche Francœur. Comme Hubbard nous le promet.

Avec la collaboration de Sophie Lambert et de Pierre

Édition : Bernard Leduc

Illustrations : Émilie Robert

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