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On aperçoit sur une table un passeport auquel un individu ajoute une photo. Une carte de l'Amérique apparait aussi, ainsi qu'un révolver.
Enquête

Les cartels de l’immigration

Enquête a mis au jour des réseaux de passeurs et de fabricants de faux passeports liés à de puissantes organisations criminelles mexicaines, de plus en plus impliquées dans le trafic d'humains à la frontière canado-américaine.

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, moi, c’est Paco. »

Paco. C’est le nom utilisé par ce passeur que nous avons contacté au début de l’été, en prétendant être Jorge, un migrant d’origine latino-américaine installé à Montréal, désireux d’entrer clandestinement aux États-Unis.

Sur la messagerie sécurisée Whatsapp, il nous donne tous les détails. En espagnol.

Ça coûte 5000 $ US par personne. Tu viens à Montréal un jour avant le départ. Dès notre rencontre, il faut que tu fasses un premier virement de 2000 $, nous écrit-il.

Les 5000 $ incluent tout : l’hébergement, la nourriture, le guide et les chauffeurs.

Une citation de Paco, un passeur

Passer par le Canada pour se rendre au pays de l’Oncle Sam est le nouveau trajet à la mode pour les personnes qui souhaitent entrer illégalement aux États-Unis.

En infiltrant un groupe privé sur Facebook s’adressant aux Mexicains installés au Canada ou souhaitant s’y rendre, nous avons découvert une multitude d’offres pour des passages entre le Québec et les États frontaliers de la Nouvelle-Angleterre.

Voyage de Montréal à New York, service de transport rapide, efficace et sécuritaire ou encore : c’est 100 % garanti; voici les messages qui sont régulièrement mis de l’avant, par le biais d’identités ou de comptes fictifs.

Nous continuons avec des traversées sécurisées et de nouveaux itinéraires. [On a] des garanties, des preuves et des références.

Une citation de Extrait d’une annonce de passages clandestins entre Montréal et New York

Ces propositions sont généralement accompagnées d’un numéro de téléphone. C’est en composant l’un d’entre eux que nous sommes entrés en contact avec le réseau de Paco.

Qui sont les personnes qui ont mis ces annonces? Comment s’organisent ces réseaux? Durant plusieurs mois, nous avons tenté de remonter ces filières afin de découvrir la véritable identité de ces passeurs et des têtes dirigeantes de ces groupes.

« Voyage de Montréal à New York », « service de transport rapide, efficace et sécuritaire », les offres des passeurs sur les réseaux sont nombreuses.

« Voyage de Montréal à New York », « service de transport rapide, efficace et sécuritaire », les offres des passeurs sur les réseaux sont nombreuses.

Photo : Radio-Canada / Mathieu Blanchette

Avant d’effectuer ce passage clandestin, Paco réclame 2000 $ à Jorge. Cette somme servirait à payer les chauffeurs et les guides pour aller jusqu’à la frontière. Il nous envoie, sur Whatsapp, des coordonnées bancaires provenant d’une banque mexicaine. Le montant restant doit être livré en cash ou par transfert à l’arrivée.

Le passage se ferait vers 5 h du matin, nous dit-il. Il y a deux heures de marche et un chauffeur vient vous chercher dans un nouveau van et vous emmène à New York.

C'est la chose la plus sûre qui soit. Mais bien sûr, il y a des risques.

Une citation de Paco, un passeur

Paco insiste pour nous faire passer avec un autre groupe de migrants, en fin de semaine. On lui demande d’attendre. Il insiste. Jorge prétexte alors une blessure, afin de poursuivre la conversation, en demandant un départ à la fin de l’automne.

On verra si la météo le permettra, conclut-il.

Selon nos informations, Paco ne serait pas le seul individu à utiliser ce numéro de téléphone. Ils sont en réalité plusieurs passeurs, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, à gérer ainsi ce trafic d’êtres humains.

Victor Francisco Lopez-Padilla tient une arme à feu.

Victor Francisco Lopez-Padilla

Photo : Facebook

Un passeur lié au cartel de Sinaloa

Paco, c’est justement le surnom utilisé par Victor Francisco Lopez-Padilla, arrêté le 1er août à Trenton, dans le New Jersey, par des agents du département américain de la Sécurité intérieure. Il est accusé de trafic d’êtres humains et serait, selon les enquêteurs américains, l’un des principaux organisateurs de ce réseau.

Lopez-Padilla aurait fait passer, avec des complices et associés à Montréal, au moins 25 migrants de manière illégale aux États-Unis, selon des documents judiciaires, obtenus par Enquête. Mais le chiffre réel est inconnu.

Les organisateurs de Montréal et de Trenton travaillaient ensemble pour planifier des passages clandestins et demandaient en moyenne 2500 dollars par personne – de chaque côté de la frontière – pour faire entrer clandestinement des migrants dans les États Unis.

Une citation de Extrait de la déclaration d’un enquêteur américain

Originaire du Guatemala, Lopez-Padilla est arrivé illégalement aux États-Unis en 2019, en passant par l’Arizona, d’après une déclaration d’un enquêteur américain faite à un juge de la Cour du Vermont. Et il aurait des liens avec une célèbre organisation criminelle.

En espionnant depuis avril 2022 ses différents téléphones et réseaux sociaux, mais aussi en questionnant des complices, les agents américains ont découvert des messages dans lesquels l’accusé fait allusion à un certain jgl.

Ces initiales font référence, selon l’enquêteur américain, au célèbre trafiquant de drogue Joaquin Guzman-Loera, le fondateur du cartel de Sinaloa, l’un des plus riches, des plus puissants et des plus dangereux au monde. Ce dernier a été arrêté en 2016, mais sa capture n’a pas mis fin aux activités de son organisation, toujours extrêmement active au Mexique.

Sur le téléphone de plusieurs de ses associés, le numéro de Lopez-Padilla est aussi identifié comme Jgl Mochomo ou Mochomo. Il s’agit du surnom d’un baron de la drogue mexicain, Alfredo Beltrán Leyva, qui fut lié à El Chapo et au cartel de Sinaloa. Impossible néanmoins de connaître la signification exacte du surnom ou ses liens précis avec ces hauts dirigeants du crime organisé.

Image extraite du dossier judiciaire de Victor Francisco Lopez-Padilla.

Image extraite du dossier judiciaire de Victor Francisco Lopez-Padilla.

Photo : Radio-Canada

Paco est également un adepte des armes à feu. Il les expose régulièrement sur sa page Facebook. L’une de ces photos se retrouve d’ailleurs dans son dossier judiciaire.

Dans celui-ci, on découvre également les sommes versées aux chauffeurs. L’un d’entre eux a admis à la police recevoir entre 200 $ et 300 $ par personne transportée. Un autre a déclaré gagner 2000 $ par voyage réussi.

C’est d’ailleurs l’un des conducteurs interpellés par la police américaine qui a confirmé que Paco était le surnom utilisé par Lopez-Padilla.

C’est grâce à ces intermédiaires que nous avons accès à des images des passages, prises afin de prouver à leurs patrons qu’ils arrivent à déjouer les forces de l’ordre.

Nous avons obtenu une dizaine de ces vidéos, dans lesquelles on aperçoit des migrants assis dans une voiture, puis marcher dans les bois et passer discrètement, en courant, du côté américain, où un autre véhicule les attend pour les conduire vers leur destination finale.

Lopez-Padilla plaide à ce jour non coupable; un procès devrait avoir lieu l’année prochaine. Il risque jusqu’à 10 ans de prison.

Paco n’est pas le seul, d’ailleurs, à être appelé à se présenter devant un juge américain. Cette enquête policière a mené à plusieurs arrestations au cours des dernières semaines.

Mais, selon nos constatations, ce trafic ne s’est pas arrêté. Loin de là. Les numéros que nous avons obtenus sont toujours actifs et le rôle de Paco a été repris par d’autres personnes.

Un commerce lucratif pour les cartels

Au cours des derniers mois, les poursuites judiciaires contre des passeurs se sont, en fait, multipliées aux États-Unis. Et, selon nos constatations, elles regorgent de liens avec Montréal.

Des logements de la métropole et de ses alentours sont par exemple utilisés comme des planques, où les candidats à un passage clandestin attendent le moment jugé adéquat par les organisateurs de ces voyages illégaux.

À l’instar de la filière pour laquelle œuvrait Paco, on parle désormais de réseaux internationaux impliqués dans ce trafic humain, comme le confirme un document confidentiel, préparé par les renseignements canadiens, obtenu par Enquête.

Parmi ces groupes, on retrouve des cartels mexicains, reconnaît Pierre Massé, le directeur du Programme de l’intégrité frontalière de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Lorsqu'il y a un commerce lucratif à faire, on peut s’attendre à ce que le crime organisé soit présent. Dans ce cas, il y a des indications que le crime organisé est présent afin de faciliter des passages clandestins.

Une citation de Pierre Massé, directeur du Programme de l’intégrité frontalière (GRC)
Pierre Massé, directeur du Programme de l’intégrité frontalière (GRC).

Pierre Massé, directeur du Programme de l’intégrité frontalière (GRC).

Photo : Radio-Canada

Les principaux réseaux criminels impliqués seraient le cartel de Sinaloa et celui de Jalisco Nouvelle Génération, connu pour être l’un des plus violents du Mexique.

Des représentants du crime organisé mexicain se seraient même implantés au Canada dans les dernières années, selon divers rapports fédéraux provenant de ministères et d’agences impliqués dans les questions de sécurité, obtenus par la Loi sur l’accès à l’information.

Ils sont soupçonnés, selon nos informations, de blanchir de l’argent ou d’opérer des activités criminelles à distance, parfois en utilisant un faux passeport pour arriver au pays.

Ce n’est pas surprenant, explique le chercheur de l’Université de Montréal Valentin Pereda, qui tente de documenter les liens entre le Canada et les cartels mexicains.

Ce sont les groupes les plus puissants, les plus organisés, les plus sophistiqués au Mexique. Ce sont des groupes tentaculaires.

Une citation de Valentin Pereda, chercheur à l’Université de Montréal

Ces groupes ont beaucoup de présence aux États-Unis, dans des villes comme Buffalo, New York et Chicago, qui ne sont pas loin de la frontière avec le Canada, ajoute-t-il. Ils ont un intérêt d’avoir leur représentant au Canada pour jouer ce rôle de courtier et tisser des liens de plus en plus forts avec des groupes criminels canadiens.

L’immigration, soutient ce chercheur, devient un véritable business pour ces groupes, davantage connus pour le trafic de drogue et d’armes à feu.

L'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau à Montréal.

L'aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Pas de visa, plus de problèmes

Si le Canada est devenu si attractif pour ces organisations criminelles, c’est notamment en raison de la décision du gouvernement de Justin Trudeau, à son arrivée au pouvoir au milieu de la dernière décennie, de ne plus exiger de visa aux Mexicains souhaitant visiter le Canada.

Ottawa avait alors mis de l’avant des avantages commerciaux et touristiques. Mais cette mesure, entrée en vigueur en décembre 2016, a aussi entraîné une hausse constante des demandes d’asile dans les aéroports canadiens. Et elle a facilité l’arrivée de criminels étrangers.

Rien d’étonnant, selon Dimitri Soudas, ex-conseiller du premier ministre Stephen Harper, qui avait introduit en 2009 cette exigence de visa. Les services de renseignements avaient sonné l’alarme, assure-t-il.

À cette époque, il est quasi certain qu’un pourcentage assez important des demandeurs d’asile, même potentiellement certains qui ont été approuvés, faisaient partie du crime organisé, avance Dimitri Soudas, pour justifier la décision alors prise par le gouvernement conservateur.

[Imposer un visa en 2009] a envoyé un message à ceux qui tiraient profit de cette passoire. C’était aussi pour protéger l’intégrité territoriale du Canada.

Une citation de Dimitri Soudas, ex-conseiller du premier ministre Harper

Ces craintes ont été confirmées par la suite par le Service canadien de renseignements criminels (SCRC).

« Des ressortissants mexicains qui entretiennent des liens avec les cartels ont pu recommencer à venir au Canada ou s’y sont établis », peut-on ainsi lire dans un rapport du Service canadien de renseignements criminels de 2020.

Cette problématique, connue par les différentes organisations policières du pays, se serait depuis encore amplifiée.

Dans les aéroports canadiens, notamment au Québec, il y a une très grosse pression à la frontière, décrit un agent des forces de l’ordre canadiennes, bien au fait du dossier, qui a requis l’anonymat puisqu’il n’est pas autorisé à parler publiquement.

Le Canada, c’est quand même un endroit très, très favorable pour toutes les personnes qui trafiquent des humains.

Une citation de Un agent canadien

Cette situation a permis à des trafiquants de s’infiltrer dans cette brèche. Des criminels qui ne sont pas forcément mexicains ont pu obtenir un passeport mexicain pour arriver plus facilement au Canada, comme des touristes, détaille-t-il.

Des membres du crime organisé peuvent se permettre de passer sous le radar [des autorités] et rentrent au Canada comme dans un moulin, juge cette source.

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a quant à elle pas souhaité s’épancher sur ce sujet. Des enquêtes sont en cours, confirme son vice-président Aaron McCrorie.

Nous sommes au courant des menaces de la criminalité en lien avec la frontière. C’est vraiment une menace dynamique qui change avec le temps.

Une citation de Aaron McCrorie, vice-président de l’ASFC

Ce dernier précise néanmoins que la grande majorité des personnes qui arrivent du Mexique ne sont pas des criminels. Mais, avoue-t-il, il existe bien sûr une menace de la criminalité [provenant] du Mexique.

Le Palais des beaux-arts de Mexico.

Le Palais des beaux-arts de Mexico.

Photo : Radio-Canada / Romain Schué

Des faux passeports qui fonctionnent à 100 %

Mais comment ces criminels et ces réseaux réussissent-ils à déjouer les processus de sécurité? Comment des ressortissants ou des criminels étrangers obtiennent-ils des passeports mexicains pour prendre l’avion vers le Canada?

Ces réponses, nous les avons obtenues en allant sur place, au Mexique.

Loin des plages et des temples chers aux touristes, on y retrouve également une multitude d’organisations criminelles très professionnelles et spécialisées dans la production de ces faux documents.

Le responsable de l’une d’entre elles nous a donné rendez-vous dans un quartier réputé dangereux de Mexico. Des gardes du corps nous surveillent en bas de l’édifice abritant une imprimerie, prostrés dans un faux taxi.

Mais cette rencontre est finalement annulée. Sous nos yeux, avant notre entrée dans le bâtiment, la police mexicaine fait une descente dans cet atelier clandestin. Aucune arrestation n’a cependant lieu.

La police voulait son argent et est repartie avec quelques billets, assure l’intermédiaire local, resté à nos côtés, qui était en contact avec le criminel que l’on devait rencontrer.

Ironie de la situation, cette scène se déroule devant une grande place publique sur laquelle est érigé un panneau invitant la population à se méfier des faux documents.

Un homme coiffé d'une casquette se confie à un journaliste dans un café.

Notre journaliste a rencontré « Carlos »

Photo : Radio-Canada / Mathieu Blanchette

Le lendemain, un contact mexicain réussit à convaincre le responsable d’un autre réseau de nous parler.

On retrouve ce dernier dans un café du centre historique de Mexico. Il arrive à vélo, avec des associés ayant le profil de gardes du corps. Ces derniers, visiblement armés, vont nous observer tout au long de cette rencontre, depuis la rue passante. Deux autres personnes, armées elles aussi, s’installent quant à elles au pied d’un escalier, dans l’édifice, à la vue des touristes et des habitants déambulant dans la bâtisse.

Âgé vraisemblablement d’une trentaine d’années, Carlos – un nom fictif – nous montre, sur son téléphone, des vidéos des passeports qu’il fabrique. Il sait que nous sommes des journalistes canadiens, une profession qui n’a pas la cote au Mexique.

L’an passé, 17 journalistes ont été assassinés dans ce pays. Un record. Nous avons des patrons, des gens très puissants avec qui on ne peut pas jouer, prévient notre interlocuteur, un revolver caché sous son chandail.

C’est dangereux de se voir dans mon atelier parce qu'il y a la police et la mafia, précise-t-il. C’est plus dangereux pour vous que pour moi. Si les gardes voient vos caméras, ils vont vous emmener et je ne sais pas ce qui peut vous arriver.

Carlos nous explique sa manière de fonctionner. Ses clients, nous dit-il, peuvent être Mexicains, mais surtout Vénézuéliens, Salvadoriens, Péruviens, Colombiens ou Honduriens. Ils viennent du monde entier, ajoute-t-il. Et il ne pose aucune question sur leurs intentions.

Son réseau réalise trois types de passeports, qui varient selon les besoins. Pour environ 7000 pesos (600 $ CA), on obtient un document bas de gamme. Tout est fait ici. On l’appelle le clone.

Plus on augmente les prix, meilleure sera la qualité. Pour près d’un millier de pesos supplémentaires, Carlos modifie la page d’identification d’un passeport volé ou acheté à un ressortissant mexicain. Tout se fait en quelques heures à peine.

  • Combien de passeports avez-vous fabriqués?

  • Tellement, tellement. Je fais ça depuis 20 ans.

Si vous souhaitez un original qui fonctionne à 100 %, poursuit Carlos, il faut débourser 150 000 pesos. Il s’agit d’un passeport original, dont la page d’identification est ensuite remplie dans son atelier. Il est ensuite enregistré auprès des autorités, certifie-t-il.

C’est avec ce type de passeport que des criminels ou des ressortissants d’un peu partout en Amérique latine entrent au Canada, en se faisant passer pour des Mexicains exempts de tout soupçon. Carlos nous montre même des vidéos, dans lesquelles on découvre des passeports vierges, qui sont ensuite remplis dans son atelier.

Comment se procure-t-il ces véritables documents? C’est la corruption qui règne, souligne-t-il avec un large sourire. Chaque mois, narre-t-il, des policiers lui rendent même visite pour récupérer leur part.

Ils t'arrêtent et ils te demandent de l'argent, lâche-t-il en souriant. À chaque fois, j’ai pu négocier.

La police ne fait rien. Pourquoi? Parce que pour eux, ce commerce est une mine d’or.

Une citation de Carlos

Ces informations seraient connues par les renseignements canadiens. La GRC assure être tout à fait au courant de cette situation au Mexique.

C’est une préoccupation assez significative pour nous, admet Pierre Massé, directeur du Programme de l’intégrité frontalière de la GRC. La corruption au sein de plusieurs pays peut être un enjeu [pour le Canada].

Notre journaliste Romain Schué en compagnie de Victoria Dittmar, chercheuse pour l’organisation InSight Crime.

Notre journaliste Romain Schué en compagnie de Victoria Dittmar, chercheuse pour l’organisation InSight Crime.

Photo : Radio-Canada

Carlos et les différents réseaux de passeurs opérant à partir du Mexique ont d’ailleurs grandement évolué au cours des dernières années.

Le trafic humain s’est perfectionné par rapport aux petits réseaux artisanaux d’avant, explique Victoria Dittmar, chercheuse pour l’organisation InSight Crime.

Ce commerce, rien qu’entre les États-Unis et le Mexique, génère des profits de milliards de dollars, insiste cette spécialiste du crime organisé, rencontrée à Mexico, qui a longuement enquêté sur la diversification des activités des cartels mexicains.

Ces derniers fonctionnent maintenant comme n’importe quelle multinationale, en misant sur les opérations les plus rentables, détaille-t-elle.

Aujourd’hui, on a des réseaux très organisés qui travaillent souvent pour des grands groupes criminels qui sont aussi dans le trafic des drogues et des armes.

Une citation de Victoria Dittmar, chercheuse pour InSight Crime

Pression américaine, résistance canadienne

Les activités de ces organisations criminelles, qui dirigent des milliers de personnes chaque mois vers les États-Unis en passant par le Canada, préoccupent grandement l’administration de Joe Biden.

Selon nos informations, Washington a demandé à Ottawa de réintroduire un visa pour les citoyens mexicains, afin de limiter les risques et d’augmenter les vérifications de sécurité.

Des discussions à ce sujet ont eu lieu ce printemps entre Alejandro Mayorkas, le secrétaire américain à la Sécurité intérieure, et l’ancien ministre canadien de la Sécurité publique Marco Mendicino, nous a confirmé une source gouvernementale bien au fait du dossier.

Alejandro Mayorkas y a d’ailleurs fait publiquement allusion lors de sa visite à Ottawa, à la fin du mois d’avril. Nous parlons de cette question et de nombreuses questions qui ont un impact sur la migration des personnes. Je pense que c'est une décision que les responsables canadiens vont prendre, a-t-il déclaré lors d’une entrevue (Nouvelle fenêtre).

Questionné à nouveau sur ce thème, Washington nous a renvoyés à ces déclarations.

Mais Ottawa serait très réticent à un retour en arrière. Le Canada entretient des liens étroits avec le Mexique, répond le ministère de l’Immigration.

La levée de l’obligation de visa a contribué à renforcer les relations bilatérales entre les deux pays.

Une citation de Rémi Larivière, porte-parole d’Immigration Canada

La levée des visas a généré des résultats positifs pour les Canadiens et les entreprises canadiennes, ajoute-t-il, tout en précisant qu’Ottawa surveille attentivement tout comportement qui menacerait la sécurité du pays.

Les Five Eyes impliqués

Depuis peu, le Canada peut compter sur l’aide des Five Eyes pour lutter contre la migration clandestine et enquêter sur elle. Cette alliance des services de renseignement des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande met en commun désormais des informations sur le trafic d’êtres humains au Canada. Un thème qui n’était pas, par le passé, étudié par ce regroupement.

C’est un phénomène mondial, on le voit au niveau de plusieurs pays, explique Pierre Massé, directeur du Programme de l’intégrité frontalière de la GRC. Ça engendre des victimes et des tragédies humaines. À ce moment-là, ça devient une priorité pour tous les corps policiers.

Au sein des forces policières qui ont déjà, par l’entremise de rapports confidentiels, recommandé de remettre en place ce visa, les avis seraient plus partagés.

Lutter contre l’immigration illégale, on ne sent pas que ce soit une priorité pour le gouvernement du Canada, estime une source policière.

Pour l’instant, les agents d’exécution de la loi au Canada pourraient avoir l’impression qu’on sacrifie la sécurité au profit de l’économie.

Une citation de Un agent canadien
Quatre personnes marchent le long d'un champ de maïs.

Des migrants à la frontière canado-américaine

Photo : Gracieuseté : GRC

Des changements sont aussi réclamés sur le terrain, pour permettre aux agents canadiens d’avoir les outils législatifs adéquats pour démanteler ces réseaux de passeurs.

Nous avons pu constater cette problématique lors d’une patrouille avec des agents de la GRC, dans le secteur de Dundee, en Montérégie. Ce soir-là, au début du mois d’octobre, les policiers ont intercepté un véhicule suspect à quelques dizaines de mètres de la frontière canado-américaine.

Selon les vérifications policières, les quatre personnes à l’arrière du véhicule, d'origine indienne, venaient d’arriver au pays quelques heures plus tôt.

À l’avant de cette voiture immatriculée en Ontario, il y avait deux Ontariens, sans lien personnel avec les autres passagers. Un procédé typique, selon des agents à qui nous avons parlé.

Dès l’arrivée des policiers, les présumés passeurs ont tenté d’effacer des messages et de jouer dans leur téléphone, d’après les policiers.

Pourtant, impossible pour ces derniers de fouiller le véhicule, puisqu’ils n’avaient pas commis, à cet instant, de geste répréhensible. Ils ont pu repartir, librement, au bout d’une heure de vérifications vaines.

Dès le lendemain, les quatre passagers ont à nouveau été vus en train de marcher vers la frontière. Mais les présumés passeurs s’étaient déjà volatilisés.

Ces situations engendrent une frustration grandissante au sein des forces policières présentes sur le terrain. Celles-ci réclament, en coulisses, des modifications législatives, qui permettraient aux agents de la GRC d’accéder plus facilement aux effets personnels des migrants et des passeurs afin de récupérer des preuves permettant d’enquêter sur ces réseaux.

On joue avec les règles du jeu actuelles, déplore Pierre Massé, directeur du Programme de l’intégrité frontalière de la GRC.

Ce dernier ne cache pas que ses homologues américains ont un meilleur arsenal juridique. Ils ont un cadre législatif qui est plus adapté, souligne-t-il.

Paco et ses complices ont quant à eux bien compris les avantages que leur fournit ce gruyère législatif canadien.

Voyage de Vancouver à Seattle, peut-on maintenant lire dans certains groupes, sur les réseaux sociaux.

Pour échapper aux enquêtes et aux patrouilles policières, plus actives dans l’est du pays et aux alentours du Québec, certains réseaux ont également décidé d’étendre leurs activités dans l’ouest du pays, moins surveillé.

La preuve que le crime organisé tente d’avoir toujours un temps d’avance.

Avec la collaboration de Daniel Tremblay et Michael Deetjens

Illustration d'entête par Mathieu Blanchette

Le reportage de Romain Schué et Martin Movilla sera diffusé jeudi soir à 21 h à Enquête, sur les ondes de Radio-Canada.

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