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Envoyé spécial

Quand les colons israéliens font la loi

«Ce qui s’est passé, ce n’est pas normal », tempête Bader Mahmoud Odeh, la petite Misq dans les bras.

«Ce qui s’est passé, ce n’est pas normal », tempête Bader Mahmoud Odeh, la petite Misq dans ses bras.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

«Ce qui s’est passé, ce n’est pas normal », tempête Bader Mahmoud Odeh, la petite Misq dans les bras.

«Ce qui s’est passé, ce n’est pas normal », tempête Bader Mahmoud Odeh, la petite Misq dans ses bras.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

C’est un mélange de peur et de frustration qui s’est abattu sur la Cisjordanie depuis les massacres du Hamas, au début octobre. En quelques semaines, le nombre d’agressions contre les Palestiniens a bondi. Les soldats et les colons israéliens sont montrés du doigt. « Ce qui s’est passé, ce n’est pas normal », tempête Bader Mahmoud Odeh, la petite Misq dans ses bras.

Le 11 octobre, des hommes cagoulés ont tiré sur deux de ses fils. Ce jour-là, quatre Palestiniens ont été tués dans un affrontement lors duquel des pierres ont été lancées vers des civils armés. Ce sont les colons israéliens, assure son fils Mahmoud, qui ajoute que l’armée a attaqué avec eux. Oui, oui, l’armée était avec eux.

Depuis, Mahmoud récupère sur ce divan dans une maison prêtée par des proches. Un docteur lui a certifié qu’il pourra de nouveau marcher dans un mois. Mais pas question pour lui et ses proches de retourner dans leur maison attaquée en octobre. La famille ne s’y sent plus en sécurité.

Une banderole est accrochée à l'extérieur d'une bâtisse.

Des «martyrs héroïques» tombés en défendant la ville de Qusra, proclame cette banderole.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

La petite ville de Qusra est bien tranquille maintenant. Les habitants sont là, mais ils préfèrent rester à l’intérieur. Chaque fois qu’ils passent au centre, ils croisent les visages des six Palestiniens tués lors de l’attaque et les funérailles qui ont suivi. Des martyrs héroïques, tombés en défendant la ville de Qusra, proclame une banderole.

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Les tensions entre Palestiniens et colons ne datent pas d’hier. Cependant, leur intensité a fortement augmenté depuis les attaques d’octobre. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU recense plus de 143 Palestiniens de Cisjordanie tués par des Israéliens depuis le 7 octobre. Un millier d’autres, surtout des Bédouins, ont été contraints de quitter leur domicile sous les menaces, une situation jugée alarmante et urgente.

Hani Awda Abou Alaa.

Hani Awda Abou Alaa, maire de Qusra.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Le maire tire sur sa cigarette et souffle vers le haut plafond de son bureau. Puis il soupire. Ils saisissent nos terres sous nos yeux, crache Hani Awda Abou Alaa. Nous sommes psychologiquement fatigués. Nous avons peur et nous sommes perturbés. L’homme parle peu. Lui aussi, probablement, est affecté par l’ambiance lourde qui plane sur la ville.

Le maire se lève et s’approche d’une grande carte. Il pointe les zones bleues : des colonies israéliennes installées autour de la ville. Depuis les attaques du 7 octobre, la sécurité a été renforcée autour de ces implantations. L’armée contrôle les entrées et les sorties des villes. L’accès à certains champs est interdit aux Palestiniens. L’armée arrive avec des bulldozers et bloque les routes. Nous sommes enfermés.

L'extérieur d'une colonie de peuplement.

Il y a plus de 150 colonies israéliennes en Cisjordanie. Selon le droit international, elles ne devraient pas être là parce qu'elles sont établies sur des terres destinées à un futur État palestinien.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Il y a plus de 150 colonies israéliennes en Cisjordanie. Certaines sont récentes, d’autres existent depuis plusieurs décennies. Selon le droit international, elles ne devraient pas être là parce qu'elles sont établies sur des terres destinées à un futur État palestinien. Ces implantations sont cependant facilitées par Israël, qui les juge légitimes en raison de sa victoire lors d’une guerre menée il y a près de 60 ans.

Certaines colonies sont très petites. D’autres ressemblent davantage à de grandes villes bien organisées. Celle d'Ariel, par exemple, compte environ 20 000 habitants. On estime que 500 000 Israéliens habitent ces colonies de la Cisjordanie. L’avenir de ces colonies devra faire partie d’éventuelles négociations en vue de la création d’un État palestinien.

Hani Awda Abou Alaa.

Hani Awda Abou Alaa assure que l’armée israélienne déracine des oliviers, qui représentent une source de revenus pour les Palestiniens.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Hani Awda Abou Alaa assure que la veille de notre visite, l’armée israélienne a déraciné des oliviers avant que les Palestiniens ne puissent en récolter les olives, une source de revenus pour plusieurs habitants de Qusra. Il nous emmène dans la rue et montre l’horizon, juste à côté de la colonie. Trop loin pour vraiment juger de l’ampleur des dégâts.

Le maire hésite puis nous fait signe de monter dans son véhicule officiel, qui porte les couleurs de la municipalité de Qusra. Nous approchons lentement sur un chemin de terre. D’un côté, des oliviers sous contrôle sécuritaire palestinien. De l’autre, des oliviers palestiniens, mais sur des terres où l’armée israélienne a autorité. De loin, les soldats signalent qu’il ne faut pas approcher davantage. Un demi-tour humiliant pour le maire, impuissant dans sa ville.

Benjamin Myers.

Benjamin Myers nous ouvre les portes de Migdal Oz, dans un autre coin de la Cisjordanie, au sud de Jérusalem. L’homme nous reçoit volontiers, un fusil d’assaut M-16 sur l’épaule. L’arme lui a été prêtée par l’armée israélienne.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

L'atmosphère n’est pas nécessairement plus légère chez les colons israéliens. Benjamin Myers nous ouvre les portes de Migdal Oz, dans un autre coin de la Cisjordanie, au sud de Jérusalem. Cette implantation est située sur des terres importantes pour les croyants. Quand on parle d’Abraham qui a guidé Isaac au mont du Temple... c’est ici qu’ils ont marché!

L’homme nous reçoit volontiers, un fusil d’assaut M-16 sur l’épaule. L’arme lui a été prêtée par l’armée israélienne peu de temps après les attaques du Hamas. Elle est avec moi 24 heures sur 24.

L'entrée d'un kibboutz.

Le kibboutz est entouré d’une haute clôture surmontée de barbelés. Des caméras aident à surveiller les entrées.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Le kibboutz est entouré d’une haute clôture surmontée de barbelés. Des caméras aident à surveiller les entrées. Certains points d’accès sont temporairement fermés depuis le 7 octobre. Benjamin Myers nous guide jusqu'à un de ces points fermés; il montre un village palestinien situé un peu plus loin. La route est bloquée pour des raisons de sécurité.

Je me sens plus en sûreté, explique-t-il. C’est un cercle de protection supplémentaire autour de nous. L’entrée du village est de l’autre côté. On ne court pas le risque qu’ils arrivent par ici et se mettent à tirer dans le kibboutz. Il rappelle que des cocktails Molotov ont déjà été lancés contre la guérite de sécurité. Je veux savoir que nos gens sont protégés.

Sara Brownstein Bitane.

Sara Brownstein Bitane s'est sentie en sécurité jusqu'à une alerte peu après le 7 octobre.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Peu de temps après le 7 octobre, on a entendu l’alerte, ils nous ont dit : "Rentrez vite! Enfermez-vous! Soupçon d’infiltration." Ce soir-là, Sara Brownstein Bitane accueillait une vingtaine d’invités chez elles. Tout le monde s’est vite réfugié dans le mammad, une petite pièce sécurisée, mal équipée pour recevoir tout le monde. L’attente a duré plus de trois heures. Une fausse alerte qui a bien fait réfléchir.

Avant, on n’avait jamais rien fermé à clé. Tout était ouvert. Mais depuis, les habitudes ont changé. Les volets de fer qui donnent sur un balcon à l’étage restent fermés, un bâton de bois bloque la porte patio. Sara Brownstein Bitane s’informe des allées et venues de toute la maisonnée. C’est un grand changement.

Leur sentiment de sécurité a volé en éclats, mais d’un autre côté, ça nous a réveillés. Nous avons appris qu’il ne faut rien tenir pour acquis. On s’est tous dit : tout peut arriver. Tout, comme dans tout type d’attaque contre une communauté qui se veut paisible mais qui vit protégée par des clôtures et par des soldats.

Depuis un mois, les relations sont tendues entre les colons et les ouvriers palestiniens autorisés à travailler dans leurs champs non loin. Ils sont accueillis par un homme armé et doivent présenter leur laisser-passer délivré par l’armée israélienne. Un de ceux qui doivent les surveiller admet que c’est très étrange parce qu’il connaît certains employés depuis bien des années.

Benjamin Myers, lui aussi, préfère être prudent. Il montre les champs à l’horizon, les colonies et les villages palestiniens. Je ne veux pas de morts. Je veux élever mes enfants en paix, qu’ils puissent cultiver la terre. Je veux ça pour toute la région. Il complète son idée en parlant d’autodéfense. Les soldats et les colons qui s’en prennent aux Palestiniens? C’est parce qu’ils jugent que leur sécurité n’est pas assurée présentement. Et s’ils ne respectent pas les lois, c’est aux tribunaux de régler ça.

Bader Mahmoud Odeh.

« Ils nous attaquent et veulent nous chasser », s’insurge Bader Mahmoud Odeh, une mère dont deux fils ont été blessés.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Les Palestiniens de Qusra, eux, n’ont pas l’impression que la loi est de leur côté. Ils croient que colons et soldats font plus que se préoccuper de sécurité. C’est leur façon de nous démoraliser, lance le jeune Mahmoud sur son divan. Et c’est certain qu’ils font ça pour s’approprier la terre.

Cette terre, c’est aussi celle des ancêtres de ces Palestiniens. Et eux non plus ne veulent pas la quitter. Ils nous attaquent et veulent nous chasser, s’insurge Bader Mahmoud Odeh, une mère dont deux fils ont été blessés. Mais c’est à eux [les Israéliens] de partir. Ou bien on partage le territoire, ou bien ils s’en vont d’ici. Ce sont nos maisons, c’est notre terre. Toute notre vie est ici. On ne va pas tout abandonner.

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