Impuissance et désespoir des Palestiniens
Un affrontement entre des manifestants palestiniens et l'armée israélienne quelques jours avant le passage de notre équipe au point de contrôle qui sépare Jérusalem-Est de la Cisjordanie a laissé des traces bien visibles : un portrait du premier ministre Nétanyahou calciné sur le mur.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Un affrontement entre des manifestants palestiniens et l'armée israélienne quelques jours avant le passage de notre équipe au point de contrôle qui sépare Jérusalem-Est de la Cisjordanie a laissé des traces bien visibles : un portrait du premier ministre Nétanyahou calciné sur le mur.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Le drame de Gaza trouve un puissant écho en Cisjordanie, territoire palestinien occupé. Des familles et des amis habitent ces deux endroits, mais ils sont aujourd’hui incapables de se rencontrer. Un peuple déjà séparé en raison des mesures de sécurité imposées par Israël est encore plus isolé par la guerre. En Cisjordanie, Frédéric Lacelle et Yanik Dumont Baron ont croisé des Palestiniens désespérés et en colère.
Les étrangers ne passent pas inaperçus devant la principale mosquée de Ramallah, en Cisjordanie.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Un point de contrôle sépare Jérusalem-Est des territoires palestiniens. La route vers Ramallah passe tout près d’une colonie juive et suit des clôtures et des murs destinés à empêcher les entrées en Israël.
Devant la principale mosquée de la ville, les étrangers avec des micros et des caméras attirent les regards et suscitent de la méfiance. On souhaite de meilleurs jours
, explique un homme qui n’en dira pas plus. Un vaste marché public s’étend dans les rues autour. Derrière un étal et avec le sourire, un autre homme nous suggère de retourner au Canada.
Fatigués par le conflit actuel, ces marchands de limettes se sentent impuissants.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Il faudra patienter avant de croiser un vendeur qui souhaitera s’exprimer en public. Nous sommes encerclés! On ne peut rien faire
, explique-t-il en évoquant les restrictions à la circulation pour les Palestiniens.
Ce commerçant demande pourquoi les politiciens des autres pays appuient Israël. Les gouvernements n’ont pas de sentiments. Des innocents, des enfants sont tués chaque jour!
Il souhaite la paix, mais il avoue qu'il a de la difficulté à l’entrevoir. Les gens ont le goût de se venger. Comment peuvent-ils oublier leurs morts?
Ce marchand de Ramallah est exténué par le conflit qui bouleverse le Proche-Orient.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
C’est bien difficile d’être heureux ces jours-ci
, admet un autre vendeur aux cheveux blancs. Ce qu’il évoque ressemble davantage à de l’impuissance qu’à de la rage. Il résume ainsi : le Hamas a décidé d’attaquer des Israéliens; les gens ordinaires en paient le prix.
On est très touchés par tout ça. Les routes sont fermées, mes fruits et légumes ne viennent plus d’Israël. Des maisons sont détruites. On ne veut rien de ça, on veut vivre en paix, être bien avec nos familles.
Quand l'heure de la prière arrive, dans les rues autour de la mosquée de Ramallah, le monde s'arrête.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Avant la prière, l’imam évoque le conflit et les victimes, puis dénonce les mensonges de l’Occident
. Il appelle à la résistance et à la lutte pour la nation palestinienne. Ce prêche est relayé quelques rues plus loin par de puissants haut-parleurs.
Au marché, il ne reste que quelques badauds. La plupart sont debout près de la mosquée. La prière débute. La mosquée déborde, les fidèles s’agenouillent dans les rues, devant les commerces. Un silence enveloppe les rues.
Des centaines de manifestants – hommes, femmes et enfants – défilent calmement dans une rue de Ramallah en signe d'appui au Hamas.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Tout à coup, des cris retentissent, comme une parole libérée. Il y a ces vendeurs qui cherchent à attirer des clients à leurs étals. Et il y a les manifestants qui tentent de rallier les sympathisants. Un drapeau vert du Hamas est levé. C’est un jeune garçon qui le porte fièrement à bout de bras. C’est le signal. Un bruyant cortège s’ébranle dans les rues de Ramallah. D’autres drapeaux verts sont hissés; des sont slogans criés. Hamas, tu es notre arme; nous, nous sommes les balles!
Un père qui tient un drapeau du Hamas marche avec sa fille sur ses épaules lors d'une manifestation à Ramallah.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Les femmes ferment le cortège. La plupart sont voilées. Une d’elles crie sa colère au micro en fendant l’air de son index. Le Hamas protège notre droit d'exister. Ça fait 75 ans qu’on vit sous occupation, 75 ans à se faire tuer, à se faire déplacer.
Juste avant, un père qui portait sa fille sur ses épaules a tenu le même discours. Manifester ainsi, c’est le minimum qu’on peut faire pour aider nos frères de Gaza
. L’attaque du 7 octobre, c’est le début de la libération de la Palestine. C’est le point de départ
.
Les familles ont quitté la manifestation. Quelques badauds échangent entre eux pendant que la tension monte entre de jeunes Palestiniens et des soldats.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Les slogans résonnent dans les rues de Ramallah. Sur les murs, le long du cortège, des graffitis verts, la couleur qui représente l’islam et le Hamas.
Le cortège s’arrête à un rond-point non loin d’un poste de contrôle israélien. Ici se déroule un autre type de manifestation. Certains jeunes se risquent à lancer des pierres en direction des soldats même s’ils savent que les militaires riposteront en tirant de vraies balles. Plusieurs ambulanciers sont déjà sur place. Des journalistes et des badauds également. C’est un rendez-vous fréquent, les vendredis de colère débordante.
Lancer des pierres aux soldats, c'est une façon d'attirer l'attention sur la cause palestinienne, soutient un jeune qui a déjà été blessé aux jambes dans des manifestations passées.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Dans cette foule, il n’y a pas que des curieux. Certains ont lancé des pierres aux soldats dans le passé. Leur peau en porte les cicatrices. Un jeune adulte s’approche; il y a quelques années, il a été blessé aux deux jambes par une balle. Il a dû passer un mois au lit avant de marcher de nouveau. Il sourit lorsqu’on lui demande si les gens autour de lui étaient fiers de son sacrifice. On sait bien que ça ne va pas changer grand-chose, mais c’est notre façon d’attirer l’attention du monde
sur la cause palestinienne.
Atteint par une balle à la jambe, un manifestant palestinien s'apprête à être évacué dans une ambulance à Ramallah.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
La foule se tait. Un homme en noir monte sur un conteneur. Après quelques hésitations, il s’expose et fait tournoyer sa fronde.
Un bruit sec brise le silence, suivi d’un cri déchirant. Une seule balle l’a touché. La douleur semble vive, partagée par la foule. Un ambulancier monte à sa rescousse. Le jeune homme sera évacué rapidement, accompagné par les bruyantes sirènes de l’ambulance. Ce scénario se répétera à plusieurs reprises.
Blessé il y a plus de 20 ans, un vétéran des affrontements avec les soldats israéliens est encore au rendez-vous pour les manifestations.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
En retrait, un homme tient un gros oignon à la main. C’est pour atténuer l’effet piquant des gaz lacrymogènes. Lui aussi a été blessé après avoir lancé des pierres aux soldats. C’était il y a plus de 20 ans. Comme quoi les choses ont peu changé.
Ce sont les soldats israéliens qui m’ont incité à faire ça. Je voyais des jeunes se faire tirer dessus. J’avais la rage. Il fallait que je réagisse
. Il rêve de paix. Mais aujourd’hui, il perd espoir. Comment les gens peuvent-ils oublier tous ces morts?
Des gaz lacrymogènes envahissent une place où, quelques instants plus tôt, une trentaine de journalistes qui couvraient la manifestation étaient rassemblés.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Un autre jeune s’approche des soldats israéliens. Il se cache derrière un conteneur. Il hésite, se lève mais ne lance rien. Après quelques minutes à sautiller, il se replie, incapable de lancer une pierre. Un véhicule militaire s’approche à toute allure. Poum! Poum! Poum! Des cartouches de puissants gaz lacrymogènes tombent près des journalistes. Un épais nuage blanc enveloppe le rond-point. Tout le monde fuit pour que cesse la douleur. La plupart reviendront sûrement vendredi prochain.