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De jeunes juristes préconisent une plus grande perspective autochtone à l’École du Barreau

Trois personnes s'adressent à des étudiants assis dans une salle de classe.

Le droit des Autochtones et le droit autochtone mériteraient une meilleure place dans le cursus, disent des diplômés des Premières Nations.

Photo : Gracieuseté du Barreau du Québec

L’École du Barreau du Québec, passage obligé pour tout futur avocat, s’efforce d'encadrer et de soutenir toujours davantage les étudiants autochtones, de plus en plus nombreux, vers la pratique. Certains prônent cependant une meilleure intégration des perspectives autochtones au cursus. L’intégrité autochtone et la réconciliation « juridique » en dépendent, disent-ils.

Longtemps, les Autochtones étaient écartés de la profession d’avocat, ce qui les empêchait de contribuer au développement du droit au Canada. Jusqu’en 1920, la Loi sur les Indiens prévoyait des dispositions d’émancipation en vertu desquelles les Autochtones étaient retirés des listes de bande s’ils obtenaient un diplôme universitaire et devenaient avocats.

Quelques amendements et plus d’un siècle plus tard, le Barreau du Québec compte parmi ses quelque 30 000 membres environ 150 personnes qui s’identifient comme des Autochtones, un mince taux de représentation de 0,5 %.

Bon an mal an, moins d’une dizaine d’étudiants autochtones atteignent l’étape fatidique – et souvent redoutée – de l’examen de l’École du Barreau.

En raison du stress incommensurable duquel personne ne semble à l’abri, Me Joëlle Perron-Thibodeau, avocate mohawk qui pratique depuis 2021, avance que les étudiants vont se couper du monde pour se concentrer sur le Barreau, une situation qui peut s’avérer particulièrement ardue pour les étudiants autochtones déjà en quête de réappropriation culturelle.

Tommy Launière, membre de la communauté innue de Mashteuiatsh, a notamment dû faire une croix sur la chasse au sein de son territoire ancestral, le Nitassinan.

Mes sept semaines d'études sont tombées en plein à l'automne pendant le temps de la chasse. C'est la seule année où j'ai manqué toute ma saison de chasse, relate-t-il.

Un jeune homme regarde la caméra, diplôme à la main.

Malgré la possibilité d’étudier à distance, Tommy Launière a préféré demeurer à Sherbrooke, où il a terminé son baccalauréat en droit. L'environnement était propice à la concentration et à l’abri de toute distraction.

Photo : Tommy Launière

Quant à Joëlle Perron-Thibodeau, ce n’est qu’au terme de son parcours à l'École du Barreau qu’elle a renoué avec sa communauté de Kanehsatà:ke. J'ai pris plus d'initiatives pour me reconnecter avec la culture, comme aller aux cérémonies, apprendre la langue.

La haute direction du Barreau n’est pas étrangère à tout cela. L'institution s’est dotée d’un groupe d'experts sur le droit des peuples autochtones pour la conseiller.

Parmi les solutions adoptées, on compte une bourse de 650 $ remise à la suite des examens théoriques, qu'ils soient couronnés de succès ou non. Les étudiants autochtones peuvent aussi profiter d’un service de mentorat avec un juriste, autochtone ou non, ayant de bonnes connaissances des réalités autochtones.

Beaucoup des commentaires qu'on avait, c'était que les étudiants autochtones se sentaient un peu dépourvus de repères, qu’ils arrivaient souvent dans un milieu complètement nouveau, soutient Catherine Ouimet, directrice générale du Barreau du Québec, qui souligne l’importance de recréer une nouvelle communauté pour ceux-ci.

Même s’ils étaient au courant de cette possibilité, Joëlle Perron-Thibodeau et Tommy Launière n’en ont pas tiré profit, bien que les deux jeunes Autochtones reconnaissent qu’il s'agit d'une ressource importante.

Enseigner le droit autochtone, une marque de respect pour l’intégrité des étudiants

Le peu d'intérêt pour le mentorat s’expliquerait possiblement par le fait que les étudiants tendent à écarter leur identité autochtone dès leur entrée à l’École du Barreau.

Me Perron-Thibodeau se sent en effet plus à l’aise et plus respectée dans son identité autochtone lorsqu’elle est exposée aux traditions juridiques autochtones, contrairement au droit canadien.

Une jeune femme est assise sur un tabouret.

Pour la Mohawk Joëlle Perron-Thibodeau, la réconciliation avec les peuples autochtones se veut multidisciplinaire. Bien qu’il revienne aux avocats de contribuer à cette réconciliation sur le plan de la justice, elle considère qu’ils ne sont présentement pas outillés pour le faire.

Photo : Joëlle Perron-Thibodeau

J'ai l'impression que le fait de donner une place à ces réalités, à ces ordres juridiques, ça me donne aussi une place. Je pense que d'en parler, ça peut avoir un effet encourageant pour les étudiants autochtones qui s'avancent dans un système très colonial, poursuit-elle.

Or, son expérience à l’École du Barreau a été tout autre. Elle déplore le fait que le cursus soit strictement axé sur le droit canadien, écartant les ordres juridiques autochtones, tout aussi valides.

Une partie de la solution pour favoriser la réconciliation dite juridique résiderait donc dans une plus grande place accordée à ces traditions.

Je pense que ça serait bénéfique pour les étudiants autochtones d'avoir des formations [portant sur les traditions juridiques autochtones] pour qu'ils se sentent plus respectés dans l'intégrité de leur identité. Comme s’ils venaient dans ce système colonial, mais avec un bagage tout aussi valable en matière de traditions juridiques.

Je pense que d'oublier l'existence de ces traditions juridiques, c'est un faux pas. Ça peut nuire à mon avis à la réconciliation par le domaine du droit.

Une citation de Joëlle Perron-Thibodeau, avocate

Enseigner le droit des Autochtones, un premier pas vers la réconciliation juridique

Tommy Launière constate aussi une trop faible exposition aux traditions juridiques autochtones dans son parcours, mais il est d’avis que l’École du Barreau n’est pas nécessairement l’institution désignée pour parfaire ses connaissances en la matière.

Ils pensent peut-être qu'ils ont moins les capacités et les compétences pour enseigner cela, simplement parce que c'est quelque chose de plus traditionnel et culturel, et non pas quelque chose que tu peux aller lire quelque part dans une loi ou un règlement quelconque du gouvernement, soutient-il, admettant qu’il est compréhensible que le Barreau n’ose pas se plonger dans cet univers.

Pour le Pekuakamiulnu, le besoin le plus pressant consisterait plutôt en une plus grande reconnaissance du droit des Autochtones, qu’il ne faut pas confondre avec le droit autochtone.

Quand on parle de droit des Autochtones, on parle vraiment de la Loi sur les Indiens, le droit plus colonial qui a été imposé aux Autochtones, tandis que le droit autochtone, c'est vraiment les traditions juridiques autochtones, explique-t-il.

Le stagiaire au Conseil de bande de Mashteuiatsh se désole de la méconnaissance généralisée de cette première catégorie autour de lui, ce qui tend à renforcer les stéréotypes.

J'ai constaté, en parlant avec des collègues et même des avocats, que la majorité ignore un peu tout de ce qui a trait aux Autochtones. Ça se résume à ''il existe des Indiens, ils ne payent pas de taxes et ils habitent dans des réserves'', déplore-t-il.

Considérant qu’un cours axé sur le droit des Autochtones n’est pas encore obligatoire dans l’ensemble des facultés de droit au Québec, le jeune homme se plaint qu’ il y a certains étudiants, juristes, avocats qui n’auront peut-être jamais au cours de leur carrière entendu parler des questions autochtones.

C’est pourquoi il aimerait que les bases du droit colonial, notamment la Loi sur les Indiens, occupent une plus grande place dans le cursus de l’École du Barreau, voire qu’elles soient imposées à l'ensemble des futurs juristes et avocats qui vont constituer les acteurs de changement de demain.

Une formation obligatoire, mais insuffisante

Ce volet consacré au droit des Autochtones n’est pas tout à fait absent de l’École du Barreau. Celle-ci offre depuis 2018 une formation obligatoire en ligne de trois heures intitulée Droits et réalités autochtones et compétences culturelles pour les avocats.

La logique qui sous-tend cette formation obligatoire est de s'assurer que les futurs avocats sont sensibilisés à ces questions.

On veut que l'étudiant acquière des compétences de savoir-être sur les éléments importants quand on a un client qui vient d'une communauté autochtone, explique Catherine Ouimet, tout en concédant que ce n’est pas nécessairement l'objectif du Barreau de préparer les gens à une pratique aussi spécialisée que le droit des Autochtones.

Une femme se tient devant l'entrée de l'édifice du Barreau du Québec.

Directrice générale du Barreau depuis maintenant quatre ans, Me Catherine Ouimet a oeuvré auparavant pendant cinq ans comme directrice des greffes, poste où elle chapeautait les comités statutaires.

Photo : SYLVAIN LEGARE

Cette formation obligatoire de trois heures consiste en un enregistrement que les étudiants doivent écouter à temps perdu à la suite des examens, une formule que Joëlle Perron-Thibodeau déplore.

Ce n’est pas suffisant parce que c'est un sujet qui est tellement complexe et lourd en histoire que ça soulève nécessairement des questions. Les étudiants ne peuvent pas poser de questions, même s'ils le veulent. Il n'y a pas de ressources pour aller plus loin, critique la jeune avocate mohawk pour qui cette approche revient à accorder un deuxième ordre de priorité à ce domaine.

Contrairement au parcours universitaire où tu peux choisir quel cheminement tu vas prendre, par exemple le droit des Autochtones, au Barreau, c'est vraiment les domaines de droit qui sont les plus communs, poursuit-elle, tout en reconnaissant l’utilité d'avoir ces connaissances.

Elle ajoute que l’institution ne prend pas nécessairement en considération les gens qui ont des chemins plus atypiques, qui sortent de ce moule plus commun d'avocats.

Tommy Launière, bien qu’il admette qu’il s’agit somme toute d’une bonne base pour se familiariser avec ces questions, fait remarquer que la grande majorité des étudiants écoute cette formation comme un bruit de fond.

Ils n’ont pas d'avantages à véritablement écouter la vidéo et ont l'impression de perdre trois heures de leur temps, dénonce-t-il. C'est une checkbox que tu fais à la suite de ton parcours, une fois que tu as eu ton marathon d'études en sept semaines, une fois que tu as la tête pleine.

Me Catherine Ouimet semble néanmoins à l'affût de ce problème. En plus de travailler activement à augmenter la représentativité autochtone dans le corps professoral, il est prévu d’ajouter dans les livres d’étude dès l’an prochain des particularités qui s’appliquent en contexte autochtone dans les troncs communs du droit, comme le droit de la famille et le droit criminel.

Elle ne peut néanmoins confirmer que ces nuances se retrouveront bel et bien à l’examen, laissant plutôt planer cette possibilité.

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