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Le grand rendez-vous de la diplomatie autochtone s’ouvre à New York

Entre le forum permanent et les événements parallèles, plus de 1500 Autochtones vont se retrouver pour faire entendre leurs voix devant l'Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones.

Travaux de Instance permanente de l'ONU sur les questions autochtones

La 23e session de l'Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones a commencé lundi et durera 10 jours.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Réseautage, tribune politique, levier pour promouvoir des enjeux, apprentissage de la diplomatie, prise de parole commune ou encore renforcement des liens, l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones reste un événement marquant pour la majorité des personnes qui y assistent. La 23e session s'ouvre lundi à New York.

Ça reste des appuis moraux, mais cette tribune internationale est un bon endroit pour mettre en gros plan nos problèmes, nos enjeux, résume Ghislain Picard, le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), un habitué.

Cette instance est même devenue, selon la directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, Édith Cloutier, l’espace sécuritaire des droits humains des peuples autochtones.

Il y a un siècle, le chef iroquois Deskaheh s’était adressé à la Société des Nations à Genève pour faire entendre la voix des peuples autochtones au sein de cette instance. Mais il aura fallu attendre l’an 2000 pour que l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones soit créée et deux ans de plus pour qu’elle se réunisse une première fois.

Depuis, chaque année, plus de 1500 participants autochtones, politiques ou de la société civile convergent vers New York pour 10 jours.

Le thème cette année est : renforcer le droit des peuples autochtones à l'autodétermination dans le contexte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones : mettre l'accent sur la voix des jeunes Autochtones.

Au Canada, la loi C-15, qui prévoit la mise en application de la Déclaration, a été adoptée en 2021 par le Sénat, mais des défis demeurent puisque des provinces peuvent compliquer sa mise en œuvre, comme le gouvernement Legault qui s’oppose à son application intégrale.

  • Plus de 476 millions de personnes autochtones vivent dans 90 pays du monde, ce qui représente 6,2 % de la population mondiale.
  • Les peuples autochtones parlent une majorité écrasante des quelque 7000 langues existant dans le monde.
  • Les Autochtones sont près de trois fois plus susceptibles de vivre dans l’extrême pauvreté que leurs concitoyens non autochtones.

Source : ONU

Le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, sera le chef de la délégation canadienne qui compte 117 personnes : des ministres, des membres du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, des représentants autochtones, dont des aînés et des jeunes de la société civile et des universitaires.

Plusieurs ont choisi de demander l’accès à l’ONU par l’intermédiaire de la délégation canadienne et ne représentent pas le gouvernement, précise Carolane Gratton, porte-parole des relations médias de Services aux Autochtones Canada (SAC).

Un moment marquant

Pour l’APNQL, il est important d'être présente dans la sphère internationale, surtout à cette instance où il y a une solidarité automatique. La trame commune, selon son chef Ghislain Picard, reste la référence aux terres et aux ressources, l’assise territoriale qui est au cœur de presque tous les conflits à travers le monde.

Écouter ce que les autres ont à dire est important, garder des liens actifs aussi, mais Ghislain Picard retient surtout que c’est une bonne tribune pour apporter un correctif à certains messages des États qui ne reflètent pas la réalité des peuples autochtones. C’est aussi une occasion de mettre sur la table ce que l’APNQL considère comme primordial.

La directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or Édith Cloutier y est allée trois fois.

C’est comme si tu es sur une autre planète, à une autre échelle avec les peuples autochtones dans toute sa grande diversité. Il y a une définition très large de l’autochtonie à l’échelle mondiale, lance-t-elle spontanément.

Lors de sa première présence, elle essayait de saisir le mécanisme du forum et était donc en mode écoute, observation et apprentissage. La deuxième fois, elle était en mission et la troisième, en mode participation.

Édith Cloutier, Ioana Radu et Emmanuelle Piedboeuf dans une salle de l'ONU.

Édith Cloutier en compagnie de la professeure à l'UQAT Ioana Radu et de la coordonnatrice du Réseau DIALOG, Emmanuelle Piedboeuf, dans une salle des Nations unies (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté : Édith Cloutier

Son souvenir marquant remonte à 2016 lors de sa deuxième participation.

Elle a rédigé, avec d’autres, une déclaration lue par l’artiste et militante kanien'keháka (mohawk) Ellen Gabriel, au nom de l’Association nationale des centres d’amitié autochtone, à propos des femmes autochtones de Val-d’Or qui affirment avoir été victimes d’abus de pouvoir et même de sévices sexuels de la part de policiers de la Sûreté du Québec.

Au final, cette recommandation a été incluse et adoptée par l’Instance dans son rapport final en 2016 : le Forum recommande aux États d'adopter des mesures visant à aborder les problèmes spécifiques de la brutalité policière, de la violence policière systémique et de la discrimination contre les femmes autochtones, tels qu'expérimentés, par exemple, par les femmes autochtones à Val-d'Or, au Canada, à Sepur Zarco, au Guatemala, et dans le nord-est de l'Inde.

Là, j’ai compris que cette voix n’était pas vaine. J’ai compris l’utilité d’avoir un levier comme celui-là. C’est un grand moment dans ma carrière. Les conséquences qui restent? Les écrits sont là!

Une citation de Édith Cloutier, directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or

Les États sont en effet présents avec leurs représentants et des observateurs, et aucun pays n’aime se faire pointer du doigt sur des questions, aucun État ne veut être mis sur la sellette. Surtout pour un sujet si sensible.

Le sujet a été encore mis de l’avant l’an dernier. Des délégués autochtones du Canada n’ont pas mâché leurs mots et ont demandé d’aller concrètement de l’avant sur les questions de la sécurité des femmes autochtones, de la protection des territoires et des droits fonciers.

Un emprunt à long terme symbolique

La militante et animatrice à Radio-Canada Melissa Mollen Dupuis est enthousiaste quand elle parle du forum permanent, où elle est allée trois fois. Un de ses périples a été filmé par le Wapikoni mobile. Ses différentes participations lui ont permis de constater que les Greta Thunberg de ce monde font peur, et de réfléchir davantage sur le leadership traditionnel.

Cela m’a aidée à dématérialiser le pouvoir politique, à connaître le pouvoir de prendre la parole, mais aussi à voir les structures politiques traditionnelles dont j’avais envie de m’inspirer.

Une citation de Melissa Mollen Dupuis, militante et animatrice

Une fois, elle devait prendre la parole officiellement, mais elle s’est fait tasser, comme elle dit, par le représentant du Canada et par celui de la Russie.

Les Nations unies étant une structure peu flexible, il faut donc s’inscrire pour prendre la parole, bien planifier l’intervention, être présent et attentif, précise Ghislain Picard, car on peut se faire appeler à la dernière minute ou se faire enlever son moment de parole lorsqu’un État veut parler.

En attendant de retrouver son droit de parole, Melissa Mollen Dupuis a emprunté à long terme une petite pancarte brune avec l’inscription Indigenous peoples (peuples autochtones). C’est un moyen de rappeler que le vrai travail de mobilisation se fait sur le terrain, par les militants, la société civile. Pour ne pas oublier l’importance du grass root [la base].

Malgré la structure rigide, elle aime voir le dynamisme qui est partout autour et les relations qui s’y construisent.

De l’importance des événements parallèles

Cette année, Ghislain Picard participera à l’un des nombreux événements organisés en marge des discussions officielles du forum, mais dont les participants sont tout aussi friands. Il va accompagner de jeunes Abénakis lors d’une conférence de presse au siège des Nations unies sur la fraude identitaire et l’autodétermination des peuples autochtones.

Ces événements permettent de mettre l’accent sur des sujets qui ne sont pas forcément discutés lors du forum et de profiter d’une visibilité.

L’an dernier, sous l’impulsion de l’Innue Barbara Filion, chargée du programme culture, la Commission canadienne pour l’UNESCO a organisé des événements avec des partenaires. Cette année, elle recommence avec le même objectif : parler des langues autochtones. La CCUNESCO ne prend pas la parole en tribune, car seuls les États et les organismes autochtones peuvent le faire.

C’est la décennie des langues autochtones, mais on ne le voit plus à l’agenda et je trouve important de continuer d’en parler pour bâtir des initiatives qui vont faire avancer les objectifs de la décennie, souligne-t-elle.

Ces événements parallèles sont de belles opportunités pour se rencontrer, discuter davantage, faire des liens et créer des partenariats, précise Barbara Filion.

Prendre le plancher [prendre la parole] est fondamentalement politique, mais il y a tout cet aspect qui se passe à côté, c’est le "soft power" de la diplomatie internationale.

Une citation de Barbara Filion, chargée de programme culture à la CCUNESCO

Barbara Filion estime que l’un des impacts les plus importants du forum est de tisser et de renforcer les liens de la diplomatie et de la solidarité internationales autochtones.

Allyson Brinston, Barbara Filion et Tanya Dawn McDougall posent, souriantes, devant le siège des Nations unies.

Allyson Brinston, Barbara Filion et Tanya Dawn McDougall lors de la 22e session en 2023. Barbara Filion garde un souvenir marquant de la danseuse Tanya Dawn McDougall devant le siège de l'ONU.

Photo : Gracieuseté : Barbara Filion

Karine Gentelet ne prend jamais la parole et y va en tant qu’observatrice, soit pour Amnistie internationale, ou comme professeure à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et chercheuse au Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones.

Ce forum est, selon elle, celui de l’affirmation des droits autochtones.

Pour elle, c’est un rendez-vous incontournable tous les deux ans. C’est LA rencontre annuelle sur les peuples autochtones. C’est très diversifié. Si tu veux savoir ce qu’il se passe dans le monde sur les questions autochtones, tu vas là!

Elle se dit soufflée par l’évolution de la diplomatie autochtone, très aguerrie maintenant, avec de plus en plus de participations et de structurations.

Il y a comme une appropriation de ces mécanismes, avance-t-elle. Elle note aussi la sorte de bienveillance, car tout le monde a la même histoire. Il y a une sorte d’humanité qui est bien.

La 23e session de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones se tient du 15 au 26 avril 2024.

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