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« La réconciliation est morte » : en Australie, le résultat du référendum divise

Une murale représentant des Aborigènes australiens.

La murale « Still Thriving » de Dylan Mooney, dans le quartier de Darlinghurst, à Sydney

Photo : Radio-Canada / Charlotte Groulx

Radio-Canada

« L’heure est au silence, au deuil et à la réflexion. » C’est ce qu’annonce une déclaration coécrite par plusieurs chefs autochtones du camp du « oui », après une victoire retentissante du camp du « non » lors du référendum australien du 14 octobre. Depuis samedi soir, les drapeaux autochtones ont été mis en berne pour accompagner cette semaine de silence. Pas de manifestations dans les rues de Sydney; le ton est à la sobriété et au recueillement en privé.

Un texte de Charlotte Groulx

En effet, l’Australie a catégoriquement refusé la reconnaissance constitutionnelle des Aborigènes et insulaires du détroit de Torrès (situé entre l'Australie et la Papouasie–Nouvelle-Guinée) sous la forme d’une voix au Parlement. Cet organe consultatif, dont la création aurait été enchâssée dans la Constitution, aurait permis aux premiers peuples australiens d’intervenir au Parlement sur les questions qui les concernent. Une réforme jugée modeste par les partisans du oui et trop risquée par les partisans du non.

L’amendement soumis n’a finalement pas obtenu la double majorité requise : ni la majorité nationale ni la majorité des États australiens. En effet, 60,6 % de la population australienne a voté non et chacun des six États a majoritairement décliné la proposition.

Lors d'un discours prononcé après le dévoilement du résultat, le premier ministre, Anthony Albanese, en s’adressant aux premiers peuples australiens, a affirmé que cette conclusion n’était pas la fin de la réconciliation . Au cours de la même journée, l’activiste et professeure autochtone Marcia Langton a plutôt déclaré que la réconciliation [était] morte. Ayant consacré de nombreuses années à la construction de cette voix, elle a vu ce navire sombrer devant ses yeux avec une écrasante défaite du oui.

De son côté, le chef de l’opposition, Peter Dutton, a critiqué la raison d’être de ce référendum, dont l’Australie n’avait pas besoin.

L’heure est donc aux bilans après un référendum qui a été accusé de semer la division et qui s’est déroulé dans un climat social tendu.

La déclaration de plusieurs chefs autochtones du camp du oui laisse présager un lendemain difficile : C'est d’une amère ironie. Que des gens qui ne sont sur ce continent que depuis 235 ans refusent de reconnaître ceux qui vivent sur cette terre depuis au moins 60 000 ans dépasse l’entendement.

La lettre mentionne aussi un résultat tragique, le besoin de se retirer dans le silence et rejette l’idée de réconciliation.

À propos des conséquences de ce référendum, Mark Rose, membre de la nation Gundjitmara et vice-chancelier à l’Université Deakin, parle lui aussi de la nécessité d’une période de deuil et de guérison. Il finit toutefois avec une note d’espoir : Mais nous sommes des combattants et nous reviendrons.

Une partisane du camp du « non ».

Une partisane du camp du « non » dans les rues de Sydney

Photo : Radio-Canada / Charlotte Groulx

Plusieurs facteurs pointés du doigt

Si le référendum a initialement joui d’un appui populaire, celui-ci a rapidement chuté lorsque l’opposition officielle s’est positionnée contre la voix. Et ce que nous savons historiquement des autres référendums organisés en Australie, c’est qu’aucun d’entre eux n’a été adopté sans un soutien bipartisan, affirme Sarah Maddison, professeure de sciences politiques à l’Université de Melbourne.

Autre explication à l’horizon : le manque d’informations et la désinformation.

L’un des slogans populaires du camp du non était : Si vous ne savez pas, votez "non" (If you don’t know, vote no). Selon Dominic O’Sullivan, professeur de sciences politiques à l’Université Charles Sturt, la dévalorisation de la démocratie qui sous-tend ce slogan est extraordinaire. Il a rendu l’ignorance socialement acceptable pour de nombreuses personnes. Or, voter étant obligatoire en Australie, les électeurs non informés devaient tout de même se prononcer le 14 octobre.

La professeure Maddison souligne également la vague de désinformation qui a alimenté la campagne du non et qui a produit de fausses idées, comme celle que la voix permettrait aux Autochtones de voler les terres des Australiens.

Le moment choisi pour soumettre ce référendum à la population australienne a également été critiqué, alors que celle-ci croule sous le poids du coût de la vie.

Il a effectivement été souligné que les électeurs plus riches avaient davantage tendance à voter favorablement. Les électeurs plus pauvres étaient peut-être préoccupés et peu enclins à réfléchir à quelque chose qui, pour la plupart des gens, ne les touchent pas vraiment, ajoute le professeur O’Sullivan.

Plusieurs craignent d’ailleurs que la crise du coût de la vie éclipse rapidement la question des relations avec les premiers peuples australiens et que les réflexions initiées par ce référendum s’en retrouvent évacuées.

L’après-référendum

En entrevue, la sénatrice indépendante Lidia Thorpe a affirmé que ce projet avait offert une plateforme pour le racisme, qui se retrouvait amplifié envers les Autochtones du pays.

Dans la semaine précédant le référendum, elle a elle-même subi une menace de mort de la part d’un néonazi, qui a brûlé un drapeau aborigène sur les réseaux sociaux après l’avoir dénigrée.

Elle n’est d’ailleurs pas la seule à subir des attaques racistes : une multiplication de celles-ci a été remarquée, en personne et sur les réseaux sociaux, depuis le début de la campagne de la voix.

Une pancarte référendaire.

Une pancarte du camp du « oui », avec les promesses reliées à cette option.

Photo : Radio-Canada / Charlotte Groulx

Et cette vague de racisme à l’égard des Aborigènes et insulaires du détroit de Torrès ne risque que d’augmenter à la suite de ce résultat négatif. Parce que le "non" est une incroyable affirmation de la puissance coloniale, explique le professeur O’Sullivan. Et le colonialisme n’existe que lorsque les gens acceptent une hiérarchie de la valeur humaine déterminée par la race.

Ce référendum manqué va aussi avoir un impact sur la perception de la communauté internationale envers l’Australie. Je pense que cela nuira à sa crédibilité en tant que pays défenseur des droits de la personne dans d’autres parties du monde, ajoute-t-il. Il croit que cette défaite du référendum sera particulièrement reprise par la Chine, pour contre-attaquer certaines critiques envers son propre bilan en matière de droits de la personne.

La professeure Maddison, quant à elle, considère ce résultat comme un embarras international, mais souhaite qu’il permette à l’Australie de se regarder dans le miroir et effectuer un examen de conscience. Elle craint néanmoins que ce soit la véritable tragédie de ce référendum : que de nombreux Australiens s’en lavent les mains et se désengagent à la suite de cette défaite.

Si certains considèrent l’exposition de la vérité et la signature de traités comme les solutions à adopter après l’échec de la voix, pour le moment, la priorité demeure la guérison, comme l’annonce la semaine de silence décrétée depuis samedi soir. Afin de panser les plaies provoquées par ce rendez-vous manqué avec l’Histoire.

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