•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Cette petite communauté autochtone qui tient tête aux minières

Rares sont les communautés autochtones qui ont le luxe d’envoyer promener les minières qui leur promettent souvent redevances et emplois. Mais à Kebaowek, on peut se permettre de camper sur ses positions : il n’y a pas un seul trou de mine dans le territoire de cette communauté anishnabe. Et ce n’est pas près de changer.

Un panneau sur lequel on peut lire « No mining Kipawa watershed ».

Depuis des années, les membres de la communauté de Kebaowek refusent toute implantation minière sur leur territoire, spécialement sur les versants de la rivière Kipawa.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

À entendre Pascal Bibeau, la réputation de la communauté de Kebaowek n’est plus à faire. Tout le monde sait que le chef comme les membres parlent d’une même voix pour s’opposer au développement minier sur leur territoire non cédé.

Pascal Bibeau est le coordinateur du Département de gestion territoriale et des ressources naturelles de Kebaowek, petite communauté autochtone située à une heure au sud de Ville-Marie, dans le Témiscamingue. Il n’est pas autochtone, mais il a réussi à faire sa place avec le temps et la patience. Et il connaît le territoire de Kebaowek par cœur maintenant.

Un homme pose devant une porte battante.

Pascal Bibeau travaille pour la communauté depuis 10 ans. Il n'est pas Anishnabe, mais parle désormais au « nous ».

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Ce qu’il veut montrer aujourd’hui, c’est une montagne qui aiguise l'appétit de l’industrie minière. Il faut prendre un camion et, surtout, une scie à chaîne. La nature étant capricieuse, il n’est pas rare de devoir faire face à un chemin obstrué par un arbre couché.

À côté d’une souche, une petite salamandre se fraie un chemin. Sa présence est le signe d’un écosystème en santé, selon M. Bibeau.

Une petite salamandre qui a perdu sa queue.

Selon Pascal Bibeau, la présence de salamandres sur le territoire est le signe d'un écosystème en santé.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

L'industrie minière en terre autochtone

Consulter le dossier complet

un tapis fait tomber des roches sur un tas dans une mine

En haut de la colline, les mouches à chevreuil sont encore nombreuses en ce mois d’août. En contrebas, le lac Sairs, embrassé par une forêt, et sous les pieds de Pascal Bibeau, de la roche striée et dégarnie de sa mousse.

De la roche colorée.

Lors de l'exploration minière, le couvert végétal a été retiré des roches pour découvrir la présence de terres rares.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

C’est elle, cette roche, qui anime les ambitions des entreprises minières. Car elle regorge de terres rares. Depuis quelques années, le secteur minier se rue vers elle, parce qu'elle recèle des composantes essentielles de nombreux appareils électroniques.

Mais ce n’est pas à Kebaowek que le secteur arrivera à percer, malgré les pressions du gouvernement et des minières, comme le mentionne Pascal Bibeau. Plusieurs entreprises s’y sont frottées, mais aucune d’elles n’est repartie avec le gros lot et le contrat.

Un territoire précieux

Les Anishnabeg de la communauté sont catégoriques : il n’y a pas et il n’y aura jamais de mine sur leur territoire.

Beaucoup de nos membres ont des connaissances à Val-d’Or, Malartic… ils voient ce qu’ont fait les mines et ils en ont une image négative, explique le chef Lance Haymond.

Paysage de lac et de forêt.

Le territoire de Kebaowek est encore préservé de toute activité minière.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Les membres de Kebaowek lient activité minière et destruction du territoire.

Une citation de Lance Haymond, chef de Kebaowek

L’opposition vient de l’observation de ce qui s’est fait ailleurs. On constate le passif environnemental que l’industrie minière a laissé dans d’autres régions. Il n’y a pas encore de cicatrices sur ce territoire, de cours d’eau complètement pollués comme en Abitibi où le territoire a été défiguré, dénaturé. Ça change trop pour que la communauté endosse ce genre de développement économique, ajoute Pascal Bibeau.

Des chalets.

Si certaines maisons sont délabrées, d'autres accueillent encore des familles qui viennent passer du temps à Hunter's Point.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Le chef ajoute : On connaît Lac-Simon, Pikogan… ce n’est pas une route très plaisante de rejoindre Malartic et Val-d’Or. On voit ces montagnes de pierres laissées derrière les minières.

Les minières viennent faire ce qu’elles veulent, puis laissent un foutoir.

Une citation de Lance Haymond, chef de Kebaowek

Si la communauté de Kebaowek tient tête aux minières, c’est parce qu’elle est encore très attachée au territoire. Avant d’être déplacés de force par le gouvernement en 1972 dans la réserve d’aujourd’hui, les Anishnabeg vivaient autour du lac Sairs et à Hunter's Point.

L'intérieur d'une église.

Les membres de Kebaowek souhaiteraient que l'église soit réhabilitée.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Kebaowek, c’est la réserve où on a dû déménager lorsque le gouvernement a créé le système de réserve. Mais notre vraie maison, c’est là-bas, au lac Sairs, ajoute encore Lance Haymond.

À Hunter's Point, la vieille église tient encore debout. Et de l’autre côté de la rive, plusieurs Anishnabeg ont un chalet. Il y a encore l’école, construite avant le déplacement vers Kebaowek et qui sert de centre d’accueil pour certaines activités. Il y a aussi encore un cimetière.

Une croix blanche et un terrain avec quelques croix en bois couvert de fougères.

Le cimetière de Hunter's Point est encore visible malgré le départ des Anishnabeg. Ils reviennent régulièrement dans le secteur pour chasser et pêcher.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Même si les broussailles commencent à ensevelir certaines tombes, des photos et des bibelots couvrent toujours la plus récente, qui date de 2021. Il y a des gens qui viennent s'y recueillir.

Et si l’autoroute que représentait la rivière Kipawa a été remplacée par les chemins forestiers, le secteur n’a pas perdu pour autant de sa symbolique pour les Anishnabeg. C’est ce qu’il fallait faire comprendre aux minières désireuses de venir ici.

On ne s’oppose pas seulement aux projets, on explique [aux dirigeants des minières] pourquoi, en les invitant sur le site, car ils ne l’ont jamais vu de leurs yeux, explique le chef en racontant la venue de représentants de la minière Corporation métaux précieux du Québec (QPM).

Une tombe avec une couronne de fleurs aux couleurs de la roue de la médecine.

Il y a encore quelques tombes récentes dans le cimetière de Hunter's Point.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

On voulait leur montrer ce que nous, on voit. On voulait leur montrer l’importance culturelle de cet endroit. Ça leur a permis d’avoir un autre point de vue et c’était une expérience positive, raconte Lance Haymond.

Les raisons pour lesquelles la communauté s’oppose aux minières sont les mêmes que celles qui la poussent à s’opposer au projet de dépotoir de déchets radioactifs de Chalk River : la proximité avec les cours d’eau.

Un homme pose devant un arbre.

Lance Haymond, le chef, se tient droit face aux minières qui veulent exploiter le territoire. Il peut compter sur l'appui de toute la communauté.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

En plus, le chef estime que les mines ont des conséquences directes sur les droits ancestraux des Autochtones. Ces projets sont des dangers pour l’environnement et impactent notre capacité à exercer ces droits constitutionnels, dit-il.

Des arguments qui ne pèsent pas lourd

Les arguments des minières sont toujours les mêmes, y compris à Kebaowek. Des promesses d’emplois, de redevances et d’opportunités d’affaires.

C’est le plein emploi ici, on n’a pas besoin d’emplois. On a une bonne économie liée au tourisme et à la foresterie, affirme le chef Haymond.

Selon les derniers chiffres de Statistique Canada, le taux de chômage s'élève à 10,3 % ici. Une baisse de près de sept points depuis le dernier recensement de 2016.

Ils viennent à tour de rôle vendre leur salade, mais ils se rendent bien compte que la communauté ne donnera jamais son aval.

Une citation de Pascal Bibeau, coordinateur du Département de gestion territoriale et des ressources naturelles de Kebaowek

Le chef Haymond sait pertinemment qu’il n’est plus possible de vivre sur le territoire comme autrefois et qu’il faut de l’argent. Mais il est aussi conscient qu'il incombe à la communauté de protéger ce territoire pour les générations futures.

Une chaise en bois peinte aux couleurs de la communauté.

La communauté estime que les promesses d'emplois des minières ne sont pas un argument pour les laisser investir le territoire.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Sur le bureau du chef Haymond, une grosse pierre qui vient justement de la montagne dont l’un des versants donne sur le lac Sairs. Trois couches peuvent facilement être observées.

De son doigt, il parcourt celle qui recouvre la plus grosse partie de la roche : la couche rosée, la plus prometteuse pour les minières. Kebaowek est assise sur une possibilité de revenus incroyables, assure-t-il. Mais la communauté ne veut pas devenir riche si c’est au détriment de son territoire.

Deux roches posées sur un bureau.

Le chef Lance Haymond garde dans son bureau deux spécimens de pierres contenant des terres rares, découvertes sur le territoire ancestral et non cédé.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Pascal Bibeau et le chef Lance Haymond réitèrent que Kebaowek n’est pas contre toute forme de développement, mais l'impact de celui-ci sur le territoire doit être nul et conforme à ses valeurs.

Récemment, la communauté a construit une marina et projette la création d’un centre culturel. Un membre détient aussi une pourvoirie. Choisi pour diversifier l'économie de Kebaowek, qui ne doit pas reposer sur la seule foresterie, le développement du tourisme est totalement incompatible avec l’activité minière, selon le chef.

Des petites maisons en bord de fleuve.

Il y a peu, la communauté de Kebaowek a construit une marina. Elle souhaite développer le tourisme.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Le tourisme a du sens, continue de protéger la nature et nous permet de mettre en valeur notre culture, notre langue et qui nous sommes auprès des non-Autochtones, insiste le chef.

L'industrie lui rappelle aussi que les terres rares sont destinées au développement d'énergie verte. Mais pour lui, c’est tout simplement un oxymore que de faire de l’extraction minière pour développer une économie moins polluante.

Une stabilité politique

Si la communauté peut également maintenir sa position ferme, c’est parce qu’elle semble plutôt stable politiquement. Lance Haymond a été chef de 1999 à 2009, puis depuis 2015. C’est son dernier mandat, prévient-il, mais il prépare déjà sa relève.

Le chef, durant sa carrière, a été élu par acclamation à deux reprises.

Un bâtiment dans la nature.

L'ancienne école de Hunter's Point est devenue un centre dans lequel se déroulent des activités culturelles, notamment pour les jeunes.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

En plus, le chef Lance Haymond explique que Kebaowek est très liée à l’autre communauté anishnabe proche de Wolf Lake, qui partage le territoire. La solidarité entre les deux communautés est un plus, d'après lui.

Il y a une unité au sein de la communauté et on sent que le conseil a un appui fort. Le chef ne se laisse pas intimider ou impressionner par les différents paliers de gouvernements ou les promoteurs privés. Ce qui nous permet de tenir tête, c’est la bonne gouvernance et le maintien des valeurs environnementales, souligne Pascal Bibeau.

Un homme avec une tronçonneuse coupe un arbre tombé sur le chemin.

Il faut parfois sortir la tronçonneuse pour se frayer un chemin dans la forêt.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Même face au gouvernement, Kebaowek garde la tête froide. Dans le cas de la foresterie, la communauté a cessé depuis deux ans de participer aux comités sur les consultations pour les coupes forestières.

Elle exige un cadre pour ces consultations qui lui correspond et des ressources pour y répondre. De quoi ébranler les piliers du temple, croit M. Bibeau, qui indique que, par conséquent, les Anishnabeg sont entrés dans un cycle de négociations afin de créer un nouveau cadre de consultation.

Le chef a conscience que sa communauté peut se permettre de tenir tête aux projets miniers et au gouvernement. Humblement, il refuse de juger les actions des autres, estimant ne pas vivre leur réalité.

Elles sont parfois dans des situations difficiles. Nous avons ce luxe de pouvoir choisir le genre de développement qu’on veut, toutes les communautés n’ont pas cette chance, constate-t-il.

Rester sur ses gardes

Mais une menace plane toujours au-dessus de la petite communauté de 450 membres (dont 300 sur place). Celle des claims miniers qui n’en finissent pas de tomber. On en compte plus de 300 000 au Québec, qui concernent environ 10 % du territoire de la province.

On ne peut rien y faire, il faut rester vigilant et prendre les devants. On explique d’avance aux minières qu'elles n’auront jamais d’acceptabilité sociale ici, insiste Pascal Bibeau.

Face à la montée de la demande mondiale de terres rares, Kebaowek arrivera-t-elle à garder le cap? La communauté est en tout cas déterminée à préserver son joyau. Quitte à bloquer des chemins.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef